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Crise du coronavirus. La Commission von der Leyen manque d’audace. Faiblesse congénitale ?

(B2) Face à l’ampleur de la crise actuelle du Coronavirus, la réponse européenne parait encore bien timide. Audacieuse sur l’économie, faible sur la gestion de crise. Étonnant pour une Commission qui se prétend géopolitique

La présidente de la Commission européenne en réunion par visio conférence (crédit : Commission européenne)

Cela fait plus de trente ans que l’aide humanitaire fonctionne au niveau européen. Et en autant de temps que je l’observe, je n’ai rarement vu une telle réaction aussi sous-proportionnée.

Une Europe ni inactive ni impuissante

Dans la crise actuelle, épidémique, les institutions européennes ne sont pas restées sans rien faire. Au contraire. Les mesures prises, notamment, pour soutenir l’activité ou préserver le marché unique sont plutôt audacieuses et rapides.

Des tabous qui volent en éclat au plan économique

On déroge au pacte de stabilité (une petite révolution). On ferme les frontières extérieures. On tolère la fermeture des frontières intérieures, avec juste la préconisation de couloirs ‘verts’ pour l’acheminement de marchandises. Les aides d’États exceptionnelles sont approuvées à la file, de façon quasi-automatique. Sans oublier le mode de décision totalement revu. En quelques jours, ce qui était impossible hier (visio-conférence, vote par mail, délégation de décision aux ambassadeurs, etc.) devient possible aujourd’hui.

Une protection civile déclenchée…

Le mécanisme de protection civile a été déclenché. Dès le 28 janvier, à la demande la France, surtout pour organiser les rapatriements de citoyens coincés à l’étranger. Un marché public a été lancé en urgence, pour acheter des masques et des respirateurs (masques avec respiration). Mais le rythme reste lent, très lent, par rapport à l’ampleur de la crise (1). Les premières livraisons n’auront lieu que début avril. C’est tard… Et finalement c’est faible. Alors que les hôpitaux italiens crient famine, que l’Espagne pourrait à son tour être submergée, la réponse n’est pas à la hauteur.

… Mais en sous-régime par rapport à l’ampleur de la crise

Le corps médical européen n’a pas été déclenché, il a disparu corps et bien (lire : Le corps médical européen ne répond plus). La fameuse décision prise sous Jean-Claude Juncker de pouvoir utiliser l’instrument de l’aide humanitaire sur le territoire européen, laissé de côté (2). Quant au commandement médical européen (un projet de la PESCO) ou au hub logistique, il est encore dans les cartons. Les structures militaires de l’UE (état-major de l’UE … ), ou proches d’elle, continuent de fonctionner, mais sans aucune coordination. L’Allemagne et l’Autriche déclenchent au bout de trois semaines la clause de solidarité. Personne ne répond au bout du fil. Etc.

Étonnant !

Dans les années 1990 l’aide humanitaire pulsait le rythme européen

En 1989, quand il s’est agi d’envoyer des secours en Roumanie, lors de la révolution de palais qui a mis à bas Ceaușescu, en pleines vacances de Noël, il ne fallait que quelques heures pour débloquer les fonds, choisir des opérateurs et les camions de secours partaient (lire : La Commission européenne déclenche une aide d’urgence à la Roumanie). Idem durant la guerre de Yougoslavie qui a servi de test grandeur nature à l’office européen d’aide humanitaire (ECHO), créé en 1992, devenue une direction générale complète. Durant des années, les ‘humanitaires’ européens ont été sur tous les fronts : de la Tchétchénie à la Syrie aujourd’hui. Et certains ont perdu la vie. Pourquoi ne sont-ils pas sur le front aujourd’hui ?

L’Europe est aujourd’hui bien armée et bien dotée

L’Union dispose d’une compétence claire, rénovée par le Traité de Lisbonne (3). Elle a des moyens humains : une direction générale entière consacrée à l’aide humanitaire et la protection civile, une salle de crise fonctionnant 24h/24 bien équipée. Elle dispose d’un dispositif d’analyse des informations et de renseignement qui aurait dû la conduire à anticiper la crise (4). On est loin du petit bureau niché au fin fond de la DG Environnement. Le CERU — centre européen de réponse d’urgence — est doté de gens compétents. Elle a un budget (non négligeable). Et plusieurs dispositifs ont été mis en place — mécanisme de protection civile, réserve opérationnelle (RescEU), corps médical européen… À quoi cela sert d’avoir tout ça ?

Les Européens auraient-ils oublié l’audace ?

On a l’impression que toute la structure européenne reste, aujourd’hui, paralysée, le doigt sur la couture du pantalon, attendant l’ordre (de Ursula ou d’un autre). Aurait-elle perdu cette capacité d’innovation, d’anticipation, d’audace, qui a toujours caractérisé l’aide humanitaire à l’européenne. D’ordinaire, durant la crise, on improvise, puis on formalise. Aujourd’hui cela a tout l’air d’être le contraire. Toutes les belles déclarations — une ‘vision intégrée’, une ‘Europe globale’, ‘une Commission géopolitique’, etc. — seraient-elles juste du vent ? Et l’Europe continuerait alors de fonctionner en ‘silo’, institution par institution, au lieu de travailler en réseau. Les déclarations politiques de Ursula von der Leyen dans son discours d’intronisation seraient-elles du vent ?

Ursula est-elle à la hauteur ?

L’actuelle présidente de la Commission européenne serait-elle si obnubilée par l’économique qu’elle en oublierait le monde d’où elle vient : la défense ? Ou est-elle tout bonnement (osons le mot) ‘non compétente’ ? Quand Ursula von der Leyen, dans un message solennel sur twitter (prononcé en trois langues) explique que « la lutte contre le virus prendra beaucoup de temps. La force et les moyens de remporter cette lutte viendront de notre grand marché unique. C’est la raison pour laquelle nous devons le protéger », on peut être étonné d’une telle myopie. La première urgence aujourd’hui, n’est-ce pas de sauver des vies ? Le marché unique est un actif essentiel à préserver, certes. Mais un actif secondaire aux côtés de l’urgence médicale, sanitaire. Ou alors, en effet, l’Europe n’est qu’un marché. Et la Commission géopolitique peut fermer ses portes.

Lenarčič est-il toujours vivant ?

Quant au commissaire européen Janez Lenarčič, chargé de la gestion de crises (5), c’est pour moi un mystère. Il devrait être aujourd’hui, en première ligne, présent tous les jours, devant nous. Il est inexistant. Nous avons eu un entretien (par voie de mail) avec lui. On ne peut pas dire que ce soit transcendant (lire : Nous devons constituer un stock stratégique de matériel médical (Janez Lenarčič)). La hauteur de vues et l’audace ne semblent pas être son fort. Sans vouloir jouer l’ancien combattant, avec Emma Bonino, Louis Michel ou Kristalina Georgieva — chacun(e) dans son style — ça déménageait autrement !

Déployer en interne…

L’Europe peut-elle agir ? Oui. Il n’est pas trop tard encore. Mais il faut prendre le taureau par les cornes dès aujourd’hui. L’Union pourrait jouer un rôle en mobilisant très vite ses fonctionnaires. Tout ce que la Commission européenne compte de compétences médicales, ou logistiques, en interne, doit être mis à disposition des États qui le demandent. Elle doit également mobiliser et financer ONG et organisations de volontaires, pour déployer rapidement des hôpitaux de campagne dans toutes les zones rouges (de crise) et orange (potentiellement de crises). Elle ne doit pas hésiter à affréter elle-même des avions pour ramener les équipements médicaux manquants dans les pays en grave besoin, au besoin en passant un contrat avec les transporteurs privés, ou en passant par les États membres. Le financement devra intégralement être pris en charge par le budget de l’UE, quitte à faire une modification d’urgence au système RescEU. Il faut être aussi révolutionnaire en matière de protection civile qu’on l’est en matière économique.

Anticiper à l’externe…

Et surtout il faut préparer le coup d’après. L’UE doit mobiliser dès maintenant tous ses moyens, civils et militaires, sur cette crise, notamment l’entrepôt de gestion de crises de l’UE qui est à Stockholm (financé par le budget européen). Elle doit préparer le déploiement d’un battlegroup médical soit en Europe, soit dans le monde, quand la crise atteindra le Sahel par exemple ou d’autres pays du voisinage. Une opération de secours type PSDC pourrait très bien être préparée également pour rapatrier les citoyens européens (6). L’état-major de l’UE peut prêter main forte en cas de demande ou, à l’extérieur, le commandement européen de l’aviation de transport (EATC), pour planifier des transports. Et si nécessaire, l’Union pourrait recourir à l’OTAN, au nom de cette coopération UE-OTAN tant vantée par ailleurs, dont on n’a jamais la réalité autrement que dans de beaux discours.

Il y a urgence !

Mesdames et messieurs du Berlaymont. Il ne vous reste que quelques jours pour sauver votre honneur et la crédibilité européenne. Bougez-vous !

(Nicolas Gros-Verheyde)


Santé publique, non. De la gestion de crises

Certains ‘experts’ européens, en mal d’inspiration serinent à longueur de journée : l’Europe n’a pas de compétence en matière de santé publique. C’est pour cela qu’elle ne peut agir dans cette crise. C’est vrai en santé publique, l’Union européenne a des compétences limitées. Mais la santé publique, c’est la gestion des hôpitaux, la politique de vaccination, la prévention de telle ou telle maladie. On n’est (malheureusement) plus aujourd’hui dans cette problématique (même si le corps médical est mis à grande contribution). Ici, on est dans la gestion de crises, l’urgence, la protection civile. Dans ce domaine, l’Union européenne a des compétences claires et précises (cf. note 3).


  1. Les spécialistes européens jureront que ce délai est ultra-court, au regard des procédures habituelles de marché public européen (terriblement lentes). C’est la réalité. Mais un mois dans l’urgence actuelle, au regard de la flambée de l’épidémie et du taux de mortalité, c’est toujours trop lent.
  2. Décision prise sous couvert de l’article 122.2 du Traité sur le fonctionnement de l’UE : « Lorsqu’un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise. »
  3. « L’action de l’Union vise : a) à soutenir et à compléter l’action des États membres aux niveaux national, régional et local portant sur la prévention des risques, sur la préparation des acteurs de la protection civile dans les États membres et sur l’intervention en cas de catastrophes naturelles ou d’origine humaine à l’intérieur de l’Union ; b) à promouvoir une coopération opérationnelle rapide et efficace à l’intérieur de l’Union entre les services de protection civile nationaux ; c) à favoriser la cohérence des actions entreprises au niveau international en matière de protection civile. » (Article 196 du Traité FUE)
  4. L’IntCen qui fait de l’analyse du renseignement envoie ses synthèses (quotidienne, hebdo ou spécifiques) aux différents responsables européens. Le Haut représentant de l’UE mais aussi la présidente de la Commission européenne et tous les commissaires à des postes ‘sensibles’ sont receveurs de cette prose. Ils ne peuvent nier avoir reçu l’alerte à temps.
  5. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a préféré ce titre à celui habituel de la ‘réponse de crises (terme politique de l’aide humanitaire et la protection civile). ‘Gestion de crises’ (crisis management) a une signification très précise en termes politique et juridique, correspondant (selon le Traité) aux missions de sécurité et de défense commune. Dans le champ politique, on n’est plus dans la réponse habituelle (protection civile), mais dans la réponse intégrée (englobant le sécuritaire et le militaire en théorie).
  6. Parmi les missions extérieures possibles figure « les missions humanitaires et d’évacuation ». (Article 43.1 Traité UE)

Lire aussi : L’Office européen d’aide humanitaire, ECHO, un système rodé aux crises

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Crise du coronavirus. La Commission von der Leyen manque d’audace. Faiblesse congénitale ?

  • Hughes Belin

    Merci Nicolas de dire tout haut ce que personne ne veut entendre au Berlaymont. Dans tout ce bruit des déclarations solennelles il manque clairement des signaux sur la nature véritable des problèmes. Serait-ce un problème de personnes ou bien de circuits de décision au mieux inadéquats, au pire obsolètes ? Comme vous le dites si bien, la bureaucratie européenne n’a jamais empêché une action coordonnées et rapide pour faire face à des crises. Les cordonniers sont bien mal chaussés aujourd’hui. Quel contraste entre la femme arrivée par hasard à la tête du Gouvernement belge, qui a pris la mesure immense de son rôle, et celle qui dirige la Commission européenne, qui n’ose pas prendre le leadership qu’on attend d’elle !

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