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Nomination du Haut représentant: complexité juridique et risque politique à la clé

(BRUXELLES2) La reconduction de José-Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne pour un nouveau mandat de 5 ans doit être entérinée par le Parlement européen à 13h, à l'issue d'un vote à bulletin totalement secret, manuel (pas de vote électronique). Devraient alors commencer la constitution de la Commission et la valse des prétendants aux postes de commissaires et du Haut représentant à la politique étrangère. Une valse compliquée par la donne juridique.

Complexité juridique...

Le Traité de Lisbonne - soumis à référendum en Irlande et à ratification en Pologne (une formalité) et République tchèque (pas une formalité !) - n'entrera pas en vigueur avant décembre voire 2010 (NB : en supposant que les Irlandais votent Oui. S'ils votent non, le débat sur le futur des institutions prend une autre tournure...). C'est donc sous le Traité actuel, celui de Nice, que doit être avalisée la nomination de la future Commission et du futur Haut représentant à la politique étrangère. Le processus de nomination va donc commencer sous le Traité de Nice et se finir sous le Traité de Lisbonne. Il n'y a pas d'autre moyen ainsi qu'on peut le constater en lisant la note confidentielle, rédigée par les juristes du Parlement que j'ai pu consultée. Or les deux Traités ne prévoient pas la même procédure de nomination, ni le même nombre de commissaires, ni le même rôle des commissaires. Donc problèmes... Ce qui ajoute des risques politiques et juridiques à la nomination de la nouvelle Commission comme du Haut représentant.

L'exclusion d'un commissaire.

Le Traité de Nice prescrit, en effet, une Commission composée de moins de commissaires que d'Etats membres à partir de l'adhésion du 27e Etat membre. La disposition qui paraît satisfaire techniquement et politiquement tout le monde est que le pays qui "ait" le Haut représentant n'ait pas de commissaire, juste pour quelques mois. Avant cela, d'un point de vue formel, les 27 doivent formaliser une décision qui d'une part exclu le droit pour (au moins) un Etat membre de désigner un commissaire, et de mettre en place un dispositif de "rotation égalitaire" entre tous les Etats. Même si ce dispositif n'est pas sensé s'appliquer au-delà de quelques semaines et quelques mois. Une disposition prévue au Traité de Nice, article 4 du protocole sur l'élargissement. Si l'accord oral semble facile à faire, le coucher par écrit et le parfaire juridiquement, sous forme de "rotation égalitaire" n'est pas évident. Ensuite interviendra la nomination des autres commissaires.

Une valse en trois temps (deux temps, une pause, un temps)

La nomination des commissaires obéit à un dispositif désormais assez bien rôdé, en deux temps. Premier temps : proposition par chaque Etat membre et négociation du portefeuille avec le président de la Commission, audition parlementaire ; second temps : vote du Parlement. Le Haut représentant échappe à ce processus, étant désigné sous le Traité de Nice. Du moins théoriquement. Sa nomination ne résulte en effet, juridiquement, que d'un choix des Etats membres. Et il ne passe pas les auditions devant le Parlement. En pratique, la solution la plus probable est que la personnalité du Haut représentant soit inclus dans le premier round, de la négociation politique (entre les gouvernements et le Président de la Commission) et qu'un accord politique se fasse sur la nomination du successeur de Solana. Mais qu'elle ne soit formalisée que quelques semaines ou mois plus tard, quand le Traité de Lisbonne sera en vigueur et la nouvelle commission nommé. Aura alors lieu le crash test démocratique devant le Parlement européen pour le futur Haut représentant. Et un nouveau vote du Parlement soit sur le Haut représentant tout seul, soit sur l'ensemble de la Commission, comme je le crois.

Premier temps, la négociation entre les exécutifs

Tout commence par une proposition de chaque Etat membre indiquant qui il entend nommer. Chaque Etat propose le candidat qu'il désire, selon des procédures propres à chaque Etat. Dans certains - comme en Belgique ou en Allemagne en cas de coalition - le poste de commissaire est négocié lors de la constitution du gouvernement ; dans d'autres - comme en France - cela ne dépend que de la volonté du Chef d'Etat. Mais cette nomination doit se faire "en accord" avec le président de la  Commission, qui peut, en pratique, demander à un Etat de lui présenter un autre choix et a surtout le droit de répartir les portefeuilles comme il l'entend. Devant le nombre de prétendants aux postes emblématiques que sont celui des affaires extérieures (futur Haut représentant), et les portefeuilles "économiques" (Concurrence, Marché intérieur, Services, Economie, Fiscalité), un choix devra se faire. Les Etats qui vont présenter une femme auront une priorité (on manque de femmes). Mais le pouvoir de négociation du président de la Commission est relatif au poids de l'Etat (difficile de contrer une volonté britannique ou allemande, plus facile par rapport à une proposition roumaine ou slovaque, c'est la réalité géopolitique de l'Europe qui parle, tous les Etats ne sont pas tout à fait égaux entre eux...). Même si formellement le Haut représentant - sous la règle du Traité de Nice - n'est nommé que par un seul accord des gouvernements, politiquement il est certain que sa personnalité fera l'objet de nombre de discussions, sans doute parmi les plus âpres. Et qu'il sera un élément de l'équilibre global.

Deuxième temps, le crash test démocratique

La deuxième manche se joue devant le Parlement : chaque commissaire doit venir se présenter devant la ou les commissions parlementaires compétentes en fonction du dossier. Un grand oral qui n'est pas sans risque pour un candidat même expérimenté. C'est un véritable crash test. Certains peuvent choir à l'examen : en 2004, trois commissaires avaient raté leur examen : deux avaient dû abandonné le poste (l'Italien Buttiglione, la Lettone Rute), un avait été repêché mais changé de poste (le Hongrois Kovacs). Le Parlement européen se prononce ensuite par un vote formel sur l'ensemble de la Commission. Mais un avis défavorable en commission parlementaire est rédhibitoire. Le futur Haut représentant  Dans les auditions, les revendications des trois groupes majeurs au Parlement européen donneront le "la" au passage de chaque personnalité : Chrétiens démocrates du PPE, Socialistes & Démocrates (lire: Le groupe socialiste et démocrate veut un Haut représentant, socialiste), Libéral et démocrate (pour une politique d'encadrement du secteur financier et vers les postes à visée économique). Même si le Haut représentant ne subira pas cette épreuve (du moins pas tout de suite), il est à gager que sa personnalité ne satisfait pas un ou plusieurs des groupes, ceux-ci prennent en "otage" un ou plusieurs commissaires du même bord politique pour manifester leur mauvaise humeur. Voire si l'humeur est très mauvaise prennent en otage toute la Commission. Hypothèse difficilement envisageable. Mais il ne faut jamais parier sur les "humeurs" du Parlement européen qui peut toujours se révéler moins facilement domptable qu'on ne le croit.

Troisième temps, Nouveau vote nécessaire à l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne

L'incorporation du Haut représentant dans la Commission européenne suppose le respect de toute la procédure, selon mon analyse. Il y a nomination d'un nouveau commissaire : avec décision du Conseil, de la Commission, audition du nouveau commissaire et vote du Parlement européen. Cela paraît clair. Mais cela ne me semble pas suffisant. En effet, ce n'est pas la simple succession d'un commissaire à un autre, ou d'un changement de portefeuille. Il y a un véritable changement de structure de la Commission : non seulement une augmentation du nombre de commissaires, mais aussi de ses pouvoirs, de son organisation et de son équilibre internes (le Haut représentant n'est pas un simple commissaire ou même un simple vice-président, c'est une personnalité et une quasi-institution à lui toute seul), il faut donc au minimum politiquement, et même juridiquement, un nouveau vote sur l'ensemble de la Commission, à la majorité absolue (les abstentions, et autres absences se décomptant sur les votes "contre", le blocage de la Commission sera plus facile mathématiquement)... On le voit le parcours du futur Haut représentant est semé d'embûche. Et l'homme - ou la femme - devra être fin(e) politiquement et rodé aux négociations européennes... Un autre critère à ceux que j'avais déjà esquissé (lire: il faut engager le débat sur le Haut représentant).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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