Analyse BlogInterviewPolitique européenne

José Sócrates (PM portugais) L’Europe c’est: Malgré tout, rester ensemble

La résidence du Premier ministre portugais à Lisbonne où il a reçu quelques journalistes européens, juillet 2007 (© NGV / B2)

(B2) Par Nicolas Gros-Verheyde (à Lisbonne) Dans un entretien accordé à plusieurs journalistes européens, pour sa prise de fonction comme président de l’Union européenne, José Sócrates, le Premier ministre portugais a évoqué quelques priorités de sa présidence… à commencer par le futur Traité européen.

Sur l’issue de la CIG (la conférence intergouvernementale), il se veut confiant. «  Je n’ai pas de doute que le traité sera débattu et approuvé ici à Lisbonne. (…) Je ne pense pas qu’il y ait un pays qui mette en cause et le mandat et le compromis. Tous les pays ont voulu ce compromis. L’accord au Conseil est un accord clair et précis, où le président polonais était présent. Il n’y avait pas 26 Etats membres autour de la table mais 27. » Maintenant « Ce que nous avons c’est un mandat, pas un traité. Le transcrire n’est pas une question toute simple. Il y a toutes sortes d’écueils. Nous sommes préparés à y faire face. » Quant au chaud et froid polonais pour accepter le compromis de Bruxelles — il met cela sur le compte d’un « malentendu mutuel ». «  Tout sera éclairci rapidement. Je ne m’attends pas à des difficultés particulières de leur part. Je ne suis pas de ces leaders européens qui veulent placer la Pologne au centre de tous les regards pour oublier tous les points de vue. Je ne crois pas d’ailleurs que la Pologne soit un partenaire plus difficile que d’autres pays ».

DES DIFFERENCES INDISPENSABLES

Ces pays, José Sócrates n’a pas voulu les citer. Même les opt-out multiples du Royaume-Uni, il s’en accommode, d’une façon assez philosophique. « Nous sommes une Union pas une Alliance. Dans une Union, tous sont indispensables. Nous sommes tous différents et tous très sensibles à nos différences. C’est ce qui est beau en Europe : malgré tout, rester ensemble. Comme disait Ortega y, philosophe (et homme politique) espagnol, “l’Europe c’est comme des abeilles, plusieurs abeilles mais un seul vol“. Ce n’est pas facile d’y arriver. Mais cette idée de vol et d’aventure est une idée très européenne. Comme dans tout nouveau projet, il y a, bien entendu, une part d’aventure. Un poète portugais a dit : “L’aventure ce n’est pas d’arriver mais de partir”. C’est ce que nous sommes en train de faire. »

URGENCE DE L’AFRIQUE

C’est évidemment sur le continent noir, que José Sócrates se veut très déterminé. « L’Europe a payé un prix de ne pas avoir un cadre global structuré avec l’Afrique pendant sept ans. Pendant sept ans, nous avons tenu des sommets avec le monde entier, mais pas avec l’Afrique. L’Europe a subi un tort. S’il y a un pays qui ne résigne pas à cet état, c’est bien le Portugal. L’Europe peut séparer ce que ressort de ses relations bilatérales avec le Zimbabwe, et les relations avec le continent africain. Nous avons à débattre avec le continent africain de questions communes comme l’immigration, les changements climatiques… C’est urgent ».

L’AMI DE LA RUSSIE

Le Premier ministre portugais se montre un chaud partisan d’un rapprochement amical avec la Russie. Il faut mener à bien la « stabilisation de l’Est de l’Europe. Nous avons eu un succès avec l’adhésion des nouveaux Etats membres. Mais il manque des relations stables avec Russie ». Et de défendre ce pays européen. « Nous avons toujours vécu avec la Russie. Les histoires russe et européenne sont intimement liées, imbriquées. J’ai comme référence les grands écrivains russes, comme Dostoïevski. Ils font partie du patrimoine commun de l’Europe ». Plus prosaïquement, il a appelé à faire la part des choses entre les valeurs (démocratie, droits de l’homme…) et les « autres affaires » à débattre avec Russie. « Il ne faut pas souligner uniquement ce qui nous sépare mais souligner ce qui nous rapproche. On a commencé à parler de viandes et maintenant on parle d’armes, de système anti-missile, (c’est dangereux). Les leaders politiques devraient plutôt faire baisser la tension que faire monter la mayonnaise ».

Il se montre ainsi fermement opposé à la politique de muscler encore le discours. « Je ne suis pas d’accord avec cette vision des choses. C’est cela qui jette l’huile sur le feu, les éloigne. C’est irresponsable pour la paix, les peuples européens et la vision de l’Europe. Etre une grande puissance, c’est se comporter avec réalisme et pour défendre sans intérêts, c’est avoir des relations basées sur le principe de la détente. Et non de porter de jugement de morale sur les autres. ( …) Toute vision qui se base sur une vision morale du partenaire conduit immédiatement à un éloignement et un manque de confiance. Ce n’est pas la position et la culture européennes. Par rapport à un discours musclé –que je qualifierais de hard power —, le soft power a déjà fait ses preuves les dernières années ». Et de conclure « Je ne suis pas de l’avis de casser la baraque. Ce n’est pas mon style. » Concernant le projet américain anti-missiles, il se montre prudent « Nous avons ambition de construire un ensemble stratégique  de défense qui inclue l’Europe ».

SOUTIEN A LA TURQUIE

Quant à un débat sur les frontières ou l’élargissement, l’enthousiasme n’est pas de mise « Evidement si un Etat membre fait une proposition et veut la débattre, nous le ferons » estime le Premier Ministre. Mais insiste-t-il aussitôt. « Dans l’approche avec la Turquie, il faut être loyal par rapport à sa parole. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne ». Ce qui n’exclue pas des adaptations. « Peut-être faudra-t-il donner plus de temps pour apprécier, ou qui sait, réviser certains chapitres ». Mais la présidence portugaise de l’Union européenne n’exclut pas d’ouvrir de nouveaux chapitres à la négociation, des chapitres consensuels.

(publié dans Europolitique, juillet 2007)

Bio-express
Né le 6 septembre 1957 à Vilar de Maçada, Vila Real), José Sócrates fêtera ses cinquante durant la présidence portugaise. Diplômé en ingénierie sanitaire, il débute sa carrière politique après la Révolution des Œillets, dans les Jeunesses sociales-démocrates (actuel PSD, parti de Barroso), qu’il quitte rapidement, pour devenir membre du PS (en 1981). Elu député en 1987, il est secrétaire national du parti à partir de 1991 et passe au gouvernement d’António Gutteres en 1995, d’abord comme secrétaire d’État adjoint au ministre de l’Environnement, puis comme Ministre délégué à la Toxicomanie, à la Jeunesse et aux Sports, et à nouveau à l’Environnement jusqu’à 2002. Secrétaire général du PS depuis septembre 2004, il devient Premier ministre à la faveur des législatives de février 2005 qui apporte au PS la majorité absolue.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).