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[Analyse] L’Alliance atlantique : un colosse aux pieds d’argile. Une OTAN empêchée (v2)

(B2) Avec la récente adhésion de la Suède, devenue le 32e pays membre, on aurait pu croire au triomphe de l'OTAN. Il n'en est rien. Malgré des airs de solidité, l'Alliance atlantique connait aujourd'hui à 75 ans certaines fragilités et des difficultés d'existence inégalées. Un peu aigrie et jalouse des avancées de l'Union européenne, elle marche clopin-clopant. Explications...

L'OTAN fêtera jeudi (4 avril), en grande pompe, le 75e anniversaire du Traité de Washington comme les vingt ans de l'adhésion des douze pays d'Europe de l'Est et des Balkans (lire : [Avant-première] À l’agenda de la ministérielle Affaires étrangères de l’OTAN (3 et 4 avril 2024). Préparer le sommet de Washington). De quoi auto-célébrer sa solidité et sa force. L'organisation n'est pas en « mort cérébrale » comme Emmanuel Macron l'avait indiquée. Mais elle n'est plus l'organisation dominante des années 2000.

Une OTAN faible dans le soutien concret à l'Ukraine

Même si le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, n'a pas de mots assez durs sur l'action de la Russie, et si l'action de défense du territoire des pays de l'Alliance est indéniable, les résultats concrets de l'organisation dans le soutien à l'Ukraine sont plutôt limités, voire nuls.

Pas d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN

L'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, c'est Non. Les principaux membres de l'Alliance l'ont dit à Vilnius en juillet 2023. Et il ne semble pas question de faire évoluer ce point de vue, logique du côté de l'Alliance. Mais en comparaison avec l'Union européenne, qui accélère le processus d'adhésion, la sensation d'immobilisme est prégnante. Ce qui est une première. D'ordinaire, les adhésions à l'OTAN précédaient ou étaient simultanées à celles à l'Union européenne. Du moins pour les pays non neutres.

L'assistance militaire... non létale

Pour l'assistance militaire à l'Ukraine, l'Alliance apparait aussi en mode « pause ». L'aide militaire est faite par ses États membres, en marge des réunions de l'OTAN, lors de réunions ad hoc, type Ramstein ou Paris. L'Alliance n'a pas réussi à mettre sur pied un vrai fonds d'assistance, se résignant uniquement à faire de l'assistance non létale » (cf. les conclusions du sommet de Vilnius). À l'inverse, l'Union européenne a pris le taureau par les cornes. Rien que sur l'aide militaire stricto sensu, le budget engagé en commun atteint aujourd'hui plus de 11 milliards € : 5,6 milliards déjà engagés au titre de la facilité européenne pour la paix auxquels s'ajoutent désormais les cinq milliards approuvés le 18 mars. Sans compter l'aide civile (aide humanitaire, protection civile, aide aux réfugiés), l'aide budgétaire, etc.

Absente de la formation des militaires ukrainiens

Idem pour la formation des forces ukrainiennes, assurées soit par les Britanniques et Canadiens, soit par les Européens. Ceux-ci auront formé d'ici la fin de l'année 2024 pas moins de 60.000 militaires ukrainiens dans le cadre de la mission EUMAM Ukraine, établie en Pologne et en Allemagne, mais aussi en Espagne, France ou Tchéquie. Un nombre jamais atteint dans des formations de pays tiers dans la période moderne.

Une faiblesse bien ressentie à la tête de l'OTAN

Chez Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'OTAN, on est si conscient de cette faiblesse qu'on cherche par tous les moyens à récupérer un rôle notable sur l'Ukraine, que ce soit par la formation des militaires ukrainiens ou par la reprise en main du groupe de contact Ramstein. Un sujet qui sera à l'agenda de la réunion des ministres des Affaires étrangères des 32 ce mercredi, comme du sommet de Washington de l'Alliance en juillet.

Une OTAN empêchée d'agir dans le monde

Dans la foulée du retrait d'Afghanistan, l'OTAN a aujourd'hui renoncé à être le « gendarme du monde » et une organisation multipolaire, comme elle en rêvait dans les années 2000.

Une protection réduite aux bordures de l'Alliance

Pour protéger les pays en bordure de l'Alliance (Moldavie, Géorgie, Arménie, etc.), l'OTAN reste un peu aux abonnés absents. C'est l'Union européenne qui a déployé des missions civiles ou militaires d'observation ou d'assistance cyber et intérieure. En Géorgie et Arménie, des observateurs européens patrouillent aux frontières, pour éviter tout incident : avec les Russes d'un côté, avec les Azéris de l'autre. En Moldavie, c'est une mission civile mais visant à renforcer la lutte contre l'espionnage russe, ses menaces hybrides ou cyber, qui a été mise en place. Autrement dit une mission civile à haut potentiel militaire.

Un soutien politique a minima et militaire réduit à zéro

L'Union européenne et certains États membres de l'UE fournissent également à ces pays voisins de la Russie, et possibles cibles de Moscou, les dizaines de millions d'euros nécessaires pour s'équiper et moderniser leurs armées. Un soutien qui n'est pas mineur. Le seul soutien européen à la Moldavie, un des pays les plus pauvres d'Europe, aboutit à quasiment presque à doubler son budget militaire. Enfin la Moldavie et la Géorgie sont déjà intégrés dans un processus d'adhésion, à forte visée intégratrice. Là où Tbilissi comme Chisinau ne peuvent ou ne veulent pas le faire avec l'Alliance atlantique (1).

Absence maritime dans le Golfe et le Moyen-Orient

Face aux autres risques dans le monde, par exemple face aux Houthis en mer Rouge, les Américains et Britanniques ont préféré partir seuls de leur côté plutôt que d'attendre une action de l'Alliance. Idem pour les Européens avec l'opération EUNAVFOR Aspides. Comble du malheur pour l'Alliance, personne n'a demandé, ni même songé à transformer l'opération maritime en une opération de l'OTAN. Une certaine dégringolade dans l'échelon opérationnel, à comparer avec la présence d'une opération anti-piraterie de l'OTAN en 2008-2009 ou de l'action maritime au large de la Libye en 2011.

Honnie en Afrique

En Afrique, malgré quelques tentatives (Tunisie...), l'Alliance reste aussi sur la touche. Le souvenir de l'opération de bombardement en Libye de 2011 reste amer. Opération d'intermédiation entre des forces rebelles et un gouvernement central, au départ, au nom d'impératifs « humanitaires », elle se transforme en opération de transformation de régime, et finit en queue de poisson par un arrêt de l'opération, « objectif atteint », mais laissant un trou noir : un pays failli. L'exemple à ne pas suivre en matière d'intervention. Et un mémorable échec politico-militaire.

L'échec mémorable de l'opération en Libye

Plus de dix ans après, la Libye reste plus instable et plus pauvre que sous le régime de M. Kadhafi, à peine plus démocratique, et toujours en recherche de sa paix intérieure. Pire, elle demeure un foyer d'instabilité pour les pays européens les plus proches (Italie, Malte, ...). Il ne faut pas s'étonner aujourd'hui des méfiances résurgentes en Afrique vis-à-vis de la France et plus généralement du monde occidental ou d'une présence russe (et turque) accrue sur plusieurs pays. L'OTAN leur a tissé un boulevard.

La gardienne du territoire

Le seul résultat crédible et réel à mettre au crédit de l'Alliance est finalement son rôle primaire. Ce pour quoi elle a été créée : sa ferme défense du territoire européen. Là, les résultats sont notables : nouveaux plans intégrés de l'Alliance ; parapluie nucléaire persistant ; déploiements de bataillons à l'Est du territoire de l'Alliance face à la Russie ; surveillance aérienne des pays baltes, de l'Islande, comme de certains pays baltes ; patrouilles maritimes en Méditerranée, en Baltique et en mer du Nord ; intégration de la Finlande et de la Suède permettant de "fermer" la frontière au Nord et sur la Baltique, etc.

Le nœud de l'intégration des armées européennes

L'interopérabilité accrue entre toutes les armées alliées - des Américains aux Estoniens — est un atout certain aujourd'hui. Au prix d'efforts et d'exercices quasi-permanents, il permet aujourd'hui à toute armée de l'OTAN de se fondre dans une opération multinationale (OTAN, UE, ONU) assez facilement, chacun des alliés partageant les mêmes standards, procédures, voire les mêmes matériels. Une qualité certaine de l'Alliance qui n'est égalable dans aucune structure militaire aujourd'hui.

Une petite jalousie des réussites du voisin européen

Jens Stoltenberg au rapport (Photo : OTAN)

Cette réussite, incontestable et précieuse par les Européens, n'empêche pas les récriminations de l'Alliance vis-à-vis de l'Union européenne.

Pas touche à ma compétence

« Il est important bien sûr que l'UE se concentre sur les domaines où elle apporte en fait de la valeur ajoutée à l'OTAN. Mais sans entrer en compétition avec l'OTAN lorsqu'il s'agit de responsabilités fondamentales, comme la planification de défense, la fixation des normes, des objectifs capacitaires » lâche ainsi le secrétaire général Jens Stoltenberg venu présenter à la mi-mars face à la presse son bilan annuel (lire : [Actualité] Année faste pour l'OTAN en 2023 : dépenses de défense en hausse, fort soutien public). « Nous avons encore besoin de nombreuses acquisitions conjointes menées dans le cadre de l'OTAN » ajoute-t-il un rien aigri face à l'efficacité des fonds de défense de l'UE.

Une industrie européenne ouverte aux Alliés

Un propos particulièrement vindicatif vis-à-vis de l'UE chez le Norvégien, d'habitude plus consensuel, qui n'est pas de façade et  traduit une certaine jalousie envers l'institution européenne. Et de façon plus profonde, une volonté de miner toute velléité d'autonomie stratégique de l'Union européenne, notamment au niveau industriel. Déjà en mai dernier (2023), Jens Stoltenberg avait averti les Européens de ne pas « créer de nouvelles barrières entre les Alliés de l'OTAN » et d'avoir  « une base industrielle transatlantique ». Une critique directe aux différents projets européens de soutien à l'industrie de défense (lire : [Verbatim] Entre OTAN et UE, un zeste de divergence sur la base industrielle).

Un double langage persistant

Ce propos apparait en contradiction totale avec les injonctions américaines et euro-atlantiques à dépenser davantage pour la défense, à faire un effort pour partager la charge de la défense, à renforcer le tissu industriel. Tout effort notable des Européens est immédiatement contrecarré par cette obligation posée par l'Alliance atlantique : ouvrir (encore plus) ses marchés aux Alliés. Une maxime qui ne connait pas l'équilibre. L'opacité du marché turc, le protectionnisme affiché du marché américain de défense ne sont jamais remis en cause de façon équivalente par le secrétaire général de l'OTAN. Jamais ! Trop risqué. En fait, le motto est clair : dépensez européen, achetez américain !

Une fragilité politique

Solide dans l'apparence, l'Alliance se révèle en effet un colosse aux pieds d'argile. Minée par certaines divisions intérieures.

La fin du consensus d'apparence

Le blocage assez régulier par la Turquie - que ce soit sur les plans de l'Alliance, son refus de sanctionner la Russie, ou son retard à donner son accord à l'adhésion de la Finlande et de la Suède - , même s'il a été à chaque fois surmonté, ne peut pas être négligé. S'il est habituel pour Ankara d'afficher une position singulière, cette constance dans la résistance à la centralité euro-atlantique n'est pas anodine. D'autant que l'ancien empire ottoman n'est plus seul sur cette position ambigüe.

Des fêlures visibles

La Hongrie l'a rejoint affichant clairement sa « neutralité » dans le soutien à l'Ukraine et contre la Russie, retardant jusqu'au bout les deux adhésions de pays nordiques, sous différents prétextes. D'autres fêlures apparaissent. La récente candidature ouverte du président roumain Klaus Iohannis, contre le candidat soutenu par les Allemands ou Américains, illustre la fin du consensus d'apparence qui marquait l'Alliance jusqu'à récemment.

Le complexe américain

Le possible retour de Donald Trump à la tête des USA, mais surtout le raidissement du camp républicain, auparavant le plus fidèle tenant de la fermeté par rapport à la Russie, est un autre signe de fragilité politique. Il ne faut pas se leurrer : le tournant américain ne semble pas un épiphénomène. La timidité américaine vis-à-vis de la Russie comme de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN est bien réelle également sous un gouvernement démocrate.

Une habitude de discussion ouverte difficile à gérer

Ces débats ne sont pas étonnants. Qu'ils soient plus ouverts n'est pas négatif. Mais l'Alliance n'a pas eu, contrairement à l'Union européenne, le loisir de les organiser, de les discipliner. Au final la gestion des divisions internes apparait plus négatif dans une  que dans une organisation avant tout politico-militaire, et où la discipline doit régner, que dans une organisation politico-économique comme l'est l'Union européenne où le mot d'ordre est "unis dans la diversité". On pourrait même dire : d'abord divers, puis unis...

(Nicolas Gros-Verheyde)


Qui est Mars, qui est Vénus ?

Entre les deux organisations européennes (UE et OTAN), n'est pas Mars qui croit finalement, si on reprend la belle formule de Kagan, politologue américain.

Concrètement face à la Russie, l'Union européenne qui n'a pas à souffrir ni des réticences turques, ni des atermoiements américains, agit finalement plus vite, plus fort, plus loin. Les sanctions prononcées par les Européens contre la Russie ont un effet plus réel que celles prononcées par les Américains, qui restent avant tout symboliques, les relations économiques entre USA et Russie étant à peine de un dixième de celles prévalant entre Europe et Russie.

L'aide militaire européenne (fonds d'assistance, formation, ...) est équivalente voire supérieure à celle des USA, et sans commune mesure avec celle de l'Alliance. Le positionnement politique, aussi, est, malgré des discussions, plus ferme finalement que celui des Américains qui semblent vouloir terminer ce conflit, ou du moins revenir à une position gelée, comme après 2014, finalement plus confortable.

Si on fait l'addition de tous ces éléments, l'Alliance atlantique représente certes Mars, mais un Mars antique, défensif, immobilisé politiquement. Tandis que l'Union européenne reste effectivement une Vénus dans l'âme, mais qui s'est armée, solidifiée, a montré ses capacités de réaction... En fait, si hier Vénus n'était rien sans ce Mars. Aujourd'hui Mars n'est rien sans cette Vénus nouvelle mouture.


  1. Sans oublier la Communauté politique européenne qui réunit une fois tous les six mois, les pays de la bordure, avec leurs homologues européens au sens large (Balkans et Turquie, Ukraine et Moldavie, Royaume-Uni, Norvège et Suisse, y compris les pays du large : Arménie, Azerbaïdjan).

Mis à jour : complété sur la partie double langage et de la section "jalousie", précision apportée sur le 75e anniversaire de l'alliance en contre-chapô.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “[Analyse] L’Alliance atlantique : un colosse aux pieds d’argile. Une OTAN empêchée (v2)

  • Disons que la Vénus européenne est Ishtar, déité de l’amour et de la guerre.

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  • Bravo Nicolas!
    C’est exactement ce qu’il fallait trouver l’honnêteté de dire!
    En réalité, l’OTAN a fait trois choses depuis la fin de la guerre froide:
    1) le Kosovo – avec des résultats plus que controversés, et qui continuent de compliquer la stabilité des Balkans (et de relativiser l’annexion de la Crimée).
    2) L’Afghanistan: un fiasco qui aboutissait à une défaite militaire claire et nette.
    3) La Libye: un désastre non seulement pour la Libye elle-même mais pour la totalité du Sahel, sans parler de son coup d’envoi pour le flux des migrants vers l’Europe.
    L’OTAN, c’est essentiellement le leadership américain et un processus discursif.
    Drôle de bilan…
    Jolyon

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