[A Lire] Sommes-nous prêts pour la guerre de Jean-Dominique Merchet
(B2) Si la France était attaquée demain, aurait-elle les moyens de se défendre ? C'est autour de cette question que Jean-Dominique Merchet, journaliste de l'Opinion, ex de Libération, et tenancier du blog Secret Défense nous emmène.
Question fondamentale à l'heure de la guerre en Ukraine qui a dépassé ses deux ans. Et alors que le président E. Macron n'a pas exclu, car il faut étudier toutes les options, la présence de « troupes au sol » en Ukraine.
Une formule qu'il décline en une dizaine d'interrogations : faut-il se préparer à une guerre comme en Ukraine ? La France est-elle à l'abri de son parapluie nucléaire ? Sommes-nous assez capables de produire assez d'armes ? Qui sont nos alliés, nos ennemis ? Etc. Sur chaque sujet, de sa plume trempée et vibrante, l'auteur discute chaque élément, l'émaillant de souvenirs historiques, de chiffres, de faits. Il décortique, analyse, commente les faiblesses, les failles de la défense française, mais aussi certaines de qualités, de ses forces. Sans concession.
« A l'abri de sa géographie, de sa dissuasion nucléaire » la France semble protégée. Mais son armée reste une « armée bonsaï ». Un peu de tout, mais pas assez pour faire face à un affrontement de masse, comme celui subi par l'Ukraine face à la Russie en février 2022. « Si l'armée française était déployée demain » dans une situation identique, « elle pourrait tenir un front de 80 km ». Et elle pourrait subir des pertes notables : « 1700 morts et 11 000 blessés ». Sur « une armée de terre de 25 000 hommes et femmes », la taille serait sévère. Et les services de santé des armés, sous dotés, seraient incapables d'y faire face.
La guerre en Ukraine a aussi secoué tous les présupposés de l'armée française qui a toujours minoré certaines armes : le génie, l'artillerie sol-air. L'analyse des premiers jours s'est trouvée faussée par un travers idéologique : la France se sentait plus proche des Russes que des Ukrainiens. Une réalité dont il a fallu se sortir... En matière d'armes, la France est « trop petite pour être indépendante ... seule. Son industrie doit impérativement exporter ». Une source de revenus, mais aussi de faiblesse, en termes de politique étrangère. Le client est « roi ». Et la France a une « certaine complaisance » envers certains pays, tels l'Égypte.
La France a une force, son régime présidentiel, et sa verticale du pouvoir. Mais c'est aussi une faiblesse remarque l'auteur. « Tenir pour acquis que le pouvoir politique serait, par principe à la hauteur d'une situation » est une erreur au regard de l'histoire. Le pouvoir français est solide. Mais sa nature « hyper-présidentialiste » peut se révéler « dans l'épreuve, une nouvelle ligne Maginot : solide, mais finalement contournable ».
Sur un autre sujet, la guerre contre qui ? » l'auteur rappelle ce constat, reprenant le propos de Gérard Challiand : « L'Occident ne gagne plus les guerres ». Le résultat des interventions extérieures de ces vingt dernières années, de l'Afghanistan au Sahel, « n'est pas brillant ». Pire, c'est une certaine cécité sur le résultat. « Les armées soutenues dans leur aveuglement par le pouvoir politique, refusent de parler d'échec de Barkhane. (...) Autant dire que, faute de regarder la réalité en face, on prépare les prochaines défaites ».
C'est cela l'essentiel de ce livre, selon ma lecture, regarder la réalité en face. Car Jean-Do Merchet est tout sauf défaitiste, ou sombre. « J'ai confiance dans les ressources de mon pays et de ses habitants, et dans ses capacités à surmonter les épreuves » conclut-il. L'exemple de la pandémie de Covid-19 ou du terrorisme l'a prouvé. Encore faut-il mettre de côté « certaines chimères de la grandeur et des illusions de la puissance ». Ou pour reprendre la formule de prêtée au Belge Paul-Henri Spaak, « Il n'y a que deux types d'États en Europe: les petits… et ceux qui ne savent pas encore qu'ils le sont. »
(Niolas Gros-Verheyde)
« Sommes-nous prêts pour la guerre. Un essai sur l’illusion de la puissance française », Jean-Dominique Merchet, 216 pages, 18 euros, éditions Robert Laffont