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[Analyse] Une nouvelle opération maritime au large de la Libye pour contrer les flux de migrants. Est-ce réaliste ?

(B2) C'est la volonté du gouvernement italien affichée par sa première ministre Giorgia Meloni comme son ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani. Voir une opération maritime type Sophia reprendre du galon au large des côtes africaines, de la Libye et Tunisie en particulier.

Briefing interne à Eunavfor Med en août 2015 (photo : EUNAVFOR / Archives B2)

La Commission européenne vient de proposer une série de propositions pratiques (lire : [Actualité] L'Italie appelle l'Europe à l'aide. Le plan en dix points de la Commission. Une nouvelle opération maritime à l'étude). Un sujet que Ursula von der Leyen connait bien, pour avoir été ministre de la Défense au moment de la crise migratoire de 2015-2016 (1).

Sur le papier, l'opération maritime pour contrer les réseaux de trafic de migrants parait être une belle idée. Dans les faits, cette opération a déjà été tentée dans le passé. Il faut donc se rappeler les raisons de l'échec de l'opération Sophia, du moins sous l'angle de la lutte contre la migration illégale, avant de remonter une autre opération qui pourrait connaitre les mêmes difficultés. Et elles sont multiples.

La première d'entre elle est que l'opération Sophia n'a jamais reçu l'autorisation d'aller dans les eaux territoriales libyennes ou tunisiennes, et encore moins dans les ports de ces pays pour bloquer les départs de bateaux. Il n'est pas sûr qu'elle obtienne cette autorisation aujourd'hui de Tripoli comme de Tunis. L'autre solution, d'obtenir une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sous le chapitre VII (avec usage de la force), parait hors de portée (elle se heurterait à un veto russe ou chinois ou les deux à la fois).

Son alternative, une mission menée par Frontex avec des moyens des garde-côtes européens n'a pas la même envergure que les navires militaires, pour des raisons juridiques et pratiques en particulier en haute mer. La taille des navires des garde-côtes n'est pas la même que celle des navires militaires, comme d'intervention de force auprès de navires de trafiquants.

Deuxièmement, elle repose sur une obligation internationale issue du droit de la mer, de recueillir les naufragés en mer et de les amener au plus proche port sûr. En l'espèce, les ports libyens ne sont pas reconnus automatiquement comme sûrs, du moins pour des réfugiés (lire : La Libye n’est pas un pays sûr. Fed. Mogherini joue la franchise). Cela nécessiterait alors de les rapatrier vers un port européen et que leurs demandes d'asile soient traitées comme telle (soit par le pays du port d'arrivée, soit par le pays du pavillon du navire). Une opération maritime ne règlerait pas ainsi l'arrivée de réfugiés ou migrants. En revanche, elle permet de la réguler... et de sauver des vies en mer.

Troisièmement, l'exit strategy de l'opération reposait sur la formation des garde-côtes libyens, en nombre, respectant les normes internationales de droits de l'Homme. Cette stratégie a avorté du fait de l'interruption puis du refus persistant par Tripoli de poursuivre cette formation. La Libye préférant alors l'offre turque jugée moins conditionnée au respect de certaines règles (lire : La formation des garde-côtes libyens : aux mains des Turcs ? Mauvais signal pour les Européens).

Quatrièmement, elle nécessite des moyens. Or, un à un, les États membres ont à l'époque abandonné l'opération Sophia, pour des raisons essentiellement politiques. Débordée, l'Italie (de Giuseppe Conte et Matteo Salvini) refuse le débarquement des personnes recueillies en mer dans ses ports des navires de l'opération. La France et l'Allemagne, notamment (lire : L’Allemagne se retire de l’opération Sophia), suivie par d'autres (Irlande, etc.) décident de ne plus fournir de moyens à l'opération.

Celle-ci finira par tourner à vide... sans navires. L'Autriche et la Hongrie (notamment) lui donnent le coup de grâce refusant que l'opération serve les valeurs qui l'avaient fondées (sauver des vies en mer). Seule l'Espagne se dit prête à mettre un navire dans l’opération Sophia. Un vrai plouf comme nous l'appelions alors (lire : Points de suture pour l’opération Sophia qui repart pour six mois … sans bateaux).

Réussir une nouvelle opération maritime supposerait que ces problèmes soient réglés aujourd'hui. Ce qui est loin d'être le cas...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire pour mémoire : ‘Ite missa est’ pour l’opération Sophia ?


Un bilan de Sophia non négligeable

Pour mémoire, début 2017, plus de 18 mois après son lancement au printemps 2015, l'opération affiche un bilan qui n'est pas négligeable : 32.000 migrants secourus, 372 navires de trafiquants détruits, 100 suspects remis à la police et justice italiennes pour être jugés. Mais les trafiquants s'adaptent à la nouvelle donne (lire : Méditerranée. Les flux de migrants se renversent, les trafiquants s’adaptent). Et les problèmes demeurent (lire : L’opération Sophia rame. Pourquoi ?).


  1. En 2018 - 2019, Ursula von der Leyen avait fortement critiqué l'attitude de Rome, dirigée par Giuseppe Conte et Matteo Salvini. Le dirigeant de la Lega était alors ministre de l'Intérieur. Lire : Von der Leyen (ministre allemande de la Défense) tâcle l’Italie pour avoir saboté l’opération Sophia (V2)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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