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JurisprudenceSanctions

Des proches de Ben Ali obtiennent raison

Logo Cjue(BRUXELLES2) Mohamed Trabelsi, le neveu de l’ancien Président tunisien Ben Ali, Chiboub et Al Matri, ses gendres, ont obtenu, mercredi (28 mai), du Tribunal de l’Union européenne, l'annulation des sanctions prononcées à leur encontre : gel des avoirs, interdiction de visas. Pour les juges, la question est une question de hiérarchie juridique et de motivation de l'acte (affaires T-187/11, T-188/11 et T-200/11).

Différence de motif

Dans la décision (du 31 janvier 2011) qui  a édicté des sanctions contre certains dirigeants tunisiens associés au régime Ben Ali, l'Union européenne entendait viser les personnes « responsables du détournement de fonds publics tunisiens » et celles leur étant associées (1). La décision d'exécution prise sur ce fondement motivait cette inscription sur une "liste noire" par le fait qu’ils faisaient « l’objet d’une enquête judiciaire des autorités tunisiennes » pour des actes accomplis « dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent » (2). Notion qui « ne figurait pas dans la décision » cadre.

Les juges se sont intéressés à cette différence de motif. Est-ce que la notion de « détournement de fonds publics » recouvre ou implique nécessairement celle de « blanchiment d’argent » ? s'interrogent-ils. Sachant que c'est au regard du droit pénal tunisien qu'il faut se placer, cette preuve n'est apportée selon eux. Il n'est établi ainsi qu’un individu puisse être qualifié, conformément au droit pénal tunisien, de « responsable du détournement de fonds publics » ou d’associé à un tel responsable pour la seule raison qu’il est l’objet d’une « enquête judiciaire » pour des faits de « blanchiment d’argent ».

En droit européen (3), complètent les juges, le « blanchiment d’argent » recouvre notamment la conversion et le transfert intentionnels de biens provenant d’une activité criminelle, quelle qu’elle soit, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes. Une définition sensiblement différente du détournement de fond, qui permet de dissimuler l’origine illicite des avoirs issus de détournements de fonds publics.

Décision annulée mais effets maintenus

Cette décision importante devrait sans doute être contestée par les autorités européennes par un recours en cassation devant la Cour de justice. Les juges sont restés prudents. S'ils ont annulé la décision, ils en ont « maintenu les effets (...) jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi contre le présent arrêt ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui‑ci ». Ce faisant, ils ont rejeté les demandes des plaignants qui demandaient la suspension des mesures.

Pour le tribunal, si la sanction était levée, Mohamed Trabelsi et les autres plaignants pourraient être inscrit sur la liste noire européenne (la liste annexée à la décision 2011/72) « pour des raisons autres que celles mentionnées dans la décision attaquée ». Et si la décision était totalement annulée - donc ses effets supprimés de façon rétroactive - il «serait en mesure de transférer tout ou partie de ses actifs hors de l’Union européenne, de sorte qu’une atteinte sérieuse et irréversible risquerait d’être causée à l’efficacité de tout gel d’avoirs susceptible d’être, à l’avenir, décidé par le Conseil à son encontre ».

Les dépens de la procédure ont entièrement été mis à la charge du Conseil de l'UE. Quant à la république Tunisienne, qui intervenait dans la procédure, elle assurera ses propres dépenses. Mais aucune demande de dommages-intérêts des plaignants (ils demandaient 150.000 euros) n'a été accueillie.

Télécharger l'arrêt

  • (1) Décision 2011/72/PESC du Conseil, du 31 janvier 2011 et règlement  (UE) n°101/2011 du CONSEIL, du 4 février 2011 (JO L 31, p. 1).
  • (2) Décision d’exécution 2011/79/PESC du Conseil, du 4 février 2011 (JO L 31, p. 40)
  • (3) Directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005 (JO L 309 p. 15)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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