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[Reportage] Des Mirage français (et des F-16 belges) au-dessus de la Lituanie

(B2) Pour la dixième fois consécutive depuis 2004, des avions français seront basés dans les pays baltes. Prêts à faire face à toute alerte. Notamment des avions militaires russes toujours tentés de faire un peu de provoc' aux bordures des pays baltes.

Escorte de Mirage 2000 (© NGV / B2)

B2 a pu accompagner les pilotes de l'armée de l'air et de l'espace qui se déploient en Lituanie ces jours-ci. Avec une bonne vingtaine de journalistes de différents pays de l'OTAN, nous avons pris ainsi place à bord d'un A300M MRTT (1). Départ au petit matin, sur la base de Istres, dans le sud de la France (la BA 125 pour les intimes de la chose aérienne). Direction Šiauliai en Lituanie, alors que le soleil pointe à peine le bout de son nez sur la Méditerranée.

Dixième participation française

Durant quatre mois, de fin novembre 2023 à fin mars 2024, des avions Mirage 2000-5F assureront la police du ciel au-dessus des pays baltes. Aux côtés des F-16 belges et polonais.

Une présence active des avions alliés sur le ciel balte

C'est la dixième participation à la surveillance du ciel balte (Baltic Air Policy), précise l'état-major des armées, la septième en Lituanie (2), en 20 ans. La présence aérienne alliée a, en effet, été renforcée depuis 2014 et la première intervention militaire russe en Ukraine (Crimée et Donbass). Elle est encore plus actuelle depuis 2022, et la seconde intervention russe en Ukraine (plus massive). Les moyens ont été densifiés.

En relais des Italiens et Espagnols

Les Français viennent s'insérer dans un dispositif rodé depuis des années. Ils seront aux côtés des Belges qui assureront la Baltic air policing classique. Tandis que les Polonais seront à Amari (Estonie) relayant les Espagnols. Ils auront fort à faire. La Quick reaction rapid italienne a réalisé, en quatre mois de présence (1er aout à novembre) 60 alertes. 70% étant liés au survol d'avions russes à destination ou au départ de l'enclave russe de Kaliningrad.

Deux fois deux Mirage

Quatre avions Mirage 2000-5F du groupe de chasse 1/2 « Cigognes » sont déployés pour cette mission. Ils seront basés à Šiauliai, en Lituanie. Les Mirage évoluent, en général, par paire. Ces avions de chasse monoplaces, normalement dédiés à la défense aérienne, sont capables d’interdire toute intrusion aérienne sur un large territoire mais aussi d’assurer la protection de bombardiers ou d’autres aéronefs stratégiques. Ils sont équipés d’un radar multi-cibles performant et peuvent être dotés de missiles air-air de type MICA.

Un détachement d'une centaine de militaires

Le détachement Air français se compose d’une centaine de personnels : six pilotes de chasse, une quarantaine de mécaniciens, une quinzaine de fusiliers et commandos de l’air, des pompiers de l’air (3), ainsi que des soignants du service de santé des armées, des militaires du service de l’énergie ou des spécialistes des systèmes d’information et de communication (CIS). Ce qui est relativement peu en soi. Tout simplement car la plupart de la logistique (fuels, etc.) est assurée sur place, soit par les Lituaniens, soit par d'autres Nations OTAN.

Pleine interopérabilité OTAN

Toutes les actions aériennes des pays alliés sont normalisées dans des procédures de type OTAN, bien intégrées par chacune des forces. Des normes utilisées tant sur le sol national qu'en opérations extérieures. Des procédures de vols, à l'atterrissage ou au ravitaillement en vol, jusqu'aux multiples détails, tels les signaux de parking sur une piste, tous les appareils de l'Alliance opèrent ainsi selon les mêmes modalités, assurant une « complète interopérabilité ». Ce qui « facilite énormément l'interaction entre tous les alliés », témoigne le colonel Gaudillière, porte-parole des opérations de l'armée française, qui parle en connaissance de cause (ancien pilote de Rafale, il a aussi commandé la BA125, la base aérienne d'Istres).

Ravitaillement en vol d'un F-18 finlandais (© NGV / B2)

Objectif : Identifier et dissuader

La mission de tous les aéronefs engagés dans le dispositif répond à un mode opératoire assez similaire, assez classique dans la sûreté aérienne : qui répond à quatre missions : identifier, contrôler, surveiller ou intercepter. En premier lieu, il s'agit d'identifier tout aéronef suspect (« douteux » dans le langage aéronautique) pénétrant ou survolant l’espace aérien balte.

Trois critères d'appréciation d'un avion douteux

Un avion est considéré comme suspect, s'il ne répond pas à certains critères : 1° pas de contact radio avec les organismes de contrôle civil, 2° pas de dépôt d’un plan de vol ou non-respect de ce plan de vol, 3° coupure du transpondeur et donc pas de moyen d'identification de l’aéronef. En cas de doute, deux avions décollent pour « prendre liaison, à des fins de vérification » avec l'avion. C'est ce qu'on appelle un « Alpha scramble », pour une alerte réelle (à distinguer d'un « Tango scramble » dédiée aux décollages pour entraînement).

Contact par tous moyens

De façon concrète, un contact radio est pris, à proximité, par tous les moyens possibles (UHF, canal de détresse, etc.). À défaut, c'est un contact visuel — de cockpit à cockpit — qui est assuré (par le biais de petites affiches que montre le pilote). Au besoin, l'avion est escorté jusqu'au sortir de l'espace aérien balte, et pris en charge par les avions polonais, finlandais ou suédois, selon sa direction (cf. carte).

De la simple perte de contact radio à l'intention volontaire

Parfois, il s'agit d'une  simple perte de contact radio avec le sol (panne ou défaillance), il s'agit alors pour les avions de l'OTAN de « porter une assistance en vol » à l'appareil en détresse, de l'escorter et le guider au besoin jusqu'à sa destination ou (en cas d'urgence), le terrain le plus proche. C'est souvent le cas pour les avions civils. Pour les avions russes (militaires et parfois civils), la donne est différente. De façon volontaire, les avions russes coupent leur transpondeur ou transgressent leur plan de vol.

La FIR ou l'espace territorial ?

Précision importante : les avions russes ne violent pas généralement l'espace aérien balte, au sens territorial du terme. Ils évoluent en marge de celui-ci, dans la FIR, la zone de responsabilité du contrôle aérien d'un des pays baltes. Le tout pour provoquer ou « stimuler » le contrôle aérien balte. Ces vols sont parfois à visée très provocatrice, coïncidant avec des évènements particuliers (fête nationale, visite d'une personnalité d'un pays de l'OTAN). Histoire pour Moscou de marquer son empreinte sur la zone.

(Nicolas Gros-Verheyde, à bord d'un MRTT et à Siauliai en Lituanie)

Lire aussi notre [Fiche-Mémo] La surveillance aérienne de l'OTAN au-dessus des pays baltes

  1. C'est désormais l'appareil multirôle standard de l'armée de l'Air (avec l'A400M) permettant aussi bien le transport de personnes, de fret, que de blessés (avec le kit Morphée permettant d'avoir une vraie salle de réanimation volante) ou le ravitaillement en vol. L'armée de l'air est déjà dotée de 12 appareils de ce type. 15 à l'échéance sont prévues.
  2. Les précédents ont eu lieu en 2007, 2010, 2011, 2013, 2016 et 2022.
  3. La plupart des aviateurs déployés proviennent de la 2e escadre de chasse, stationnée sur la base aérienne BA116 de Luxeuil-Saint-Sauveur. Une unité héritière de la légendaire escadrille des Cigognes.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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