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Le départ des Américains d’Ukraine. Imbécile et lâche

(B2) Les mesures prises par les États-Unis samedi sont étonnantes. Il y a quelques jours encore, la Maison Blanche proclamait urbi et orbi sa solidarité avec l'Ukraine et sa volonté de désescalade. Aujourd'hui, c'est « Courage, Fuyons ! » Décision qui encourage plutôt les Russes d'intervenir qu'elle ne les en empêche. Incompréhensible.

La page facebook de l'ambassade US en Ukraine. Symbolique
  • Non content d'annoncer ce départ, Washington a demandé également samedi (12 février) aux militaires US présents dans la mission de surveillance de l'OSCE de faire de même, comme à tous les Américains résidant en Ukraine de quitter « sans délai » le pays.
  • L'ambassade américaine à Kiev n'est pas une petite représentation. Pas moins de 180 Américains et 560 Ukrainiens y travaillent.

La consécration des zones d'influence

En termes politiques et diplomatiques, cette mesure est un non-sens. C'est céder au jeu du Kremlin. Et surtout cela revient à consacrer la notion de zones d'influence voulue par les Russes. D'un côté, c'est clair aujourd'hui, l'Ukraine obéit à la zone d'influence russe ; et les Américains s'en retirent. De l'autre côté, la Roumanie ou la Pologne sont dans la zone euro-atlantique ; et les Américains s'y renforcent en y envoyant des renforts : 3000 soldats supplémentaires arriveront en Pologne bientôt, en plus des 1700 déjà décidés. Exactement ce que Vladimir Poutine désirait dans sa lettre envoyée à l'OTAN et aux USA.

Une lâcheté militaire incroyable

En termes militaires, c'est le summum de la lâcheté. Jusqu'à présent, en effet, aucun coup de fusil n'a été tiré — à part ceux habituels depuis huit ans dans le Donbass. Aucun militaire russe supplémentaire n'a franchi les frontières de l'Ukraine. On est donc juste dans une crainte éventuelle. Il n'y a donc aucun risque qu'un Américain soit atteint. A contrario, la présence américaine devrait persister. Ne serait-ce qu'en signe de garantie et de solidarité avec les Ukrainiens. Sinon cela ne sert à rien de faire de grandes déclarations de solidarité.

La tradition préservée

Les États-Unis consacrent ainsi la tradition. Face aux Russes, sur le territoire européen, le principe est la non-intervention. C'était valable au temps de la guerre froide en 1956 à Budapest, en 1968 à Prague. C'était un autre temps, que l'on croyait révolu, celui de l'opposition des blocs. C'est resté valable en 1992 pour la Transnistrie, en 2008 pour la Géorgie et l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, en 2014 pour la Crimée et le Donbass. Et aujourd'hui en 2022. Moscou peut donc être rassuré : la tradition américaine est préservée. Washington ne risquera pas la peau d'un seul Américain pour sauver les pays de l'ancien bloc soviétique de la main russe.

(Nicolas Gros-Verheyde)

NB : cette mesure a été suivie par le Royaume-Uni. Les militaires qui participent à la mission d'assistance (Orbital) des Ukrainiens ont été priés de faire leurs bagages. Tandis que Londres annonçait 350 Royal marine supplémentaires en Pologne. De façon plus intelligente, la France n'a pas pris une décision semblable. Suivie par plusieurs pays européens.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “Le départ des Américains d’Ukraine. Imbécile et lâche

  • Imbécile et lâche ? Peut-être, la position étasunienne est pour le moins confuse…
    Cherchent-ils à provoquer la Russie pour forcer l’adhésion de l’Ukraine dans l’Otan ?
    A recréer un conflit localisé dans le cadre d’une stratégie de la tension ? A aboutir à stationnement de l’Us Army aux frontières sud-ouest de la Russie afin de terminer l’encerclement de la Russie à l’ouest, et lui couper la route maritime sud ? Ou bien pour remplacer l’Afghanistan (lâchement livrée aux Talibans l’année dernière après vingt ans de guerre… pour rien ?), comme terrain d’exercices de l’industrie de guerre occidentale ?
    Comme disait le rédacteur du New-York Times (je crois ?), “guerre imminente et impossible”.
    La solution ne peut être que politique et diplomate.
    Ce retrait est-il un geste de désescalade ? Les Etats-unis s’étant rendu compte que la Russie ne reculeraient pas, et que les provocations sont contre-productives ?
    Une finlandisation de l’Ukraine, garantie par les grandes puissances (Chine et Europe comprises), pourrait peut-être représenter une solution ?
    Mais l’Europe, pour le moment, politique comme militaire, est aux abonnés absents, et cela n’est pas une surprise, hélas… !

  • Jean-Pierre Bergerac (ex-RMF OTAN)

    Pour moi la faute des américains n’est pas d’avoir “fled bravely” mais d’avoir fait monter les enchères, en donnant aux Ukrainiens l’illusion qu’ils les défendraient, pour in fine se débiner.
    – L’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN et n’est pas alliée des US : elle n’a donc pas droit à la clause de défense mutuelle, en bi- comme en multilatéral. Si les US estiment une attaque imminente il est logique qu’ils ne laissent pas sur place des “chèvres au piquet ” qui pourraient les entraîner malgré eux dans une confrontation directe avec les forces russes ;
    – Les US militent depuis au moins 20 ans auprès de ses alliés pour que l’OTAN accepte l’adhésion de l’Ukraine. Leur retrait nous permet de douter de la sincérité de cette position.
    Le plus inquiétant dans l’histoire est que les US paraissent signaler par leur geste qu’ils croient vraiment à une attaque russe imminente. A moins qu’il s’agisse d’un coup de poker ou d’un coup de billard à 3 bandes ? (Le cas échéant je n’en vois pas la finalité).

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