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Le premier raté de la présidence française. Russes et Américains négocient la sécurité européenne. Macron va faire le kakou à Nice

(B2) Les dix premiers jours de la présidence française du Conseil de l'Union européenne sont passés. Deux évènements majeurs se déroulent à l'Est. Et rien. Sinon quelques beaux mots. Et aucune proposition concrète. Ce qui est inquiétant pour une présidence qui ne comptera en réalité que 100 jours.

Les chaises face à la mer, symbole de la Promenade des Anglais, mais aussi d'une absence européenne (crédit : Ville de Nice)

Une présidence électorale déjà rincée

Avant Noël, les trompettes étaient de sortie. On allait voir ce qu'on allait voir ! La présidence française du conseil de l'Union européenne était dans les starting blocks. Prête à rugir pour défendre la place de l'Europe dans le monde et promouvoir l'autonomie stratégique (lire : Emmanuel Macron lance la PFUE. La souveraineté en haut de l’affiche). Noël et le nouvel an ont passé. Et on ne peut qu'être surpris de l'atmosphère d'inertie qui semble étreindre l'Élysée, face à deux évènements majeurs dans le voisinage géopolitique européen. Comme si elle n'avait déjà plus de ressort.

Moscou met sur la table une proposition de traité..., la France minaude

La proposition russe d'un nouveau cadre de sécurité européenne et la volonté des Américains de négocier était cependant une excellente occasion de mettre en pratique cette fameuse "souveraineté européenne". On se contentera surtout de phrases creuses. La situation « impose que l'Union européenne puisse proposer sa vision des choses, agir et se mettre autour de la table avec les parties prenantes pour avancer sur ce sujet », lâche Emmanuel Macron recevant Ursula von der Leyen à Paris vendredi (7 janvier). Il promet bien une proposition sur « une architecture européenne de sécurité ». Mais sans aucune date précise. Le président français, qu'on a connu plus vivace, est en retard d'une guerre.

Washington relève le gant. L'Europe réfléchit et regarde passer les trains

Les premières négociations sont en effet déjà entamées entre Russes et Américains. Elles s'ouvrent formellement ce dimanche à Genève. Entre les deux Grands. Sans les Européens, qui sont restés silencieux. On n'a en effet encore entendu aucune contre-proposition. Les Européens n'auront, en fait, fixé leur position sur l'architecture européenne de sécurité que... fin mars. Soit très tard. Trop tard. Et encore, pour ce que connaît B2, il ne faut rien attendre de trop fracassant. La Boussole stratégique, telle que nous l'avons lue est un texte sympathique, intéressant, mais plutôt général, et finalement très en-dessous des enjeux du nouveau monde qui se dessine. Son détricotage a d'ailleurs déjà commencé (lire : Le premier texte de boussole stratégique. Quelques points phares. Les divergences pèsent).

La Russie remet de l'ordre dans son pré-carré

Interrogé sur les émeutes et la répression au Kazakhstan, le président français se contente, là encore, de quelques bons mots, des cuicuis d'oiseaux : « Nous sommes préoccupés, vigilants, prêts et mobilisés pour être actifs ». Et c'est tout ! Il renvoie à sa voisine Ursula von der Leyen pour le reste. Mais la présidente de la Commission européenne n'a pas grand chose à proposer. « Je suis la situation avec inquiétude. [...] les violences doivent cesser. » Pour finir par une pirouette, en forme d'aveu d'impuissance : « L'Union européenne apportera son aide où elle le peut. » Pendant ce temps, les forces spéciales russes (de la 45e brigade aéroportée des Spetnaz notamment), biélorusses, arméniennes etc. embarquent dans des avions, prêtes à intervenir au Kazakhstan pour ramener l'ordre (pardon, pour « maintenir la paix »).

Un superbe raté

Le président français avait là deux superbes occasions de démontrer comment il pouvait mettre en pratique ses idées sur la « puissance européenne ». Il n'en a rien fait. Contrairement à son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, qui en 2008 avait bondi dans l'avion vers Moscou à l'annonce de l'intervention en Géorgie (1), il n'a pas su saisir le vent de l'histoire. Comme déjà rincé par la campagne électorale qu'il mène de front avec son job européen. Lundi, au moment où Russes et Américains négocieront, le « président de l'Europe » sera d'ailleurs dans les Alpes-maritimes, pour inaugurer l'hôtel de police de Nice. Dans un rôle plus domestique. Une visite qui tient surtout au fait que le maire de Nice, Christian Estrosi, lui a affiché son soutien. L'Européen aux manettes de l'Europe se révèle en fait un simple préfet...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Lire sur la présidence française de 2008, notre dossier complet N°90. Retour sur la présidence française de l’UE de 2008. Marquée par des crises. Vibrionnante. Un simple énoncé des évènements, mis en contexte, suffit à comprendre le gap de qualité entre la présidence Sarkozy, qui a été (de l'avis de tous, même les plus sceptiques sur la France), un "grand moment" de l'histoire européenne, et la présidence Macron, qui ressemble davantage à un grand exercice de communication d'une junior entreprise.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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