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Retour sur l’incident naval turco-français. Volonté de provoquer ou d’assurer le respect de la loi ? (v2)

(B2) L'incident du Cirkin, ce cargo turc soupçonné de trafic d'armes vers la Libye, s'est-il exactement déroulé comme les Français le disent ?

Le rapport établi par l'OTAN, examiné par le comité militaire de l'Alliance, s'avère plus nuancé, selon un témoin digne de foi. Une nuance qui n'obéit pas seulement à la nécessité de ménager deux Alliés essentiels, la Turquie et la France, mais obéit aussi à une certaine logique des faits implacable.

Des faits controversés

Trois contrôles dans la même journée

L'affaire commence en fait avec le contrôle par la marine grecque, le Spetsai dans le cadre de l'opération de l'UE (EUNAVFOR Med Irini) (lire : Un cargo sous escorte turque soupçonné de violer l’embargo sur les armes (v3)). Elle se poursuit avec un second contrôle, fait par la marine italienne, cette fois dans le cadre de l'opération de l'OTAN Sea Guardian. Officiellement, les deux opérations ne se parlent pas entre elles. Mais leurs officiers de différentes nationalités, oui. Deux contrôles dans la même journée, c'est peu banal. C'est alors qu'intervient un troisième contrôle, de la frégate française Courbet (lire : Le Cirkin n’en était pas à son coup d’essai. Un navire français illuminé au radar).

Une volonté française de provoquer

La frégate Courbet fonce sur l'objectif, semble-t-il, en sachant très bien le résultat. Le résultat est, en effet, connu d'avance. Le navire marchand, battant pavillon tanzanien, ayant été placé sous protection turque, il ne peut être interpelé et encore moins fouillé. C'est la règle intangible du droit de la mer (lire article à suivre) que ne peut briser un commandant de navire, fut-il sur ordre présidentiel, sauf à vouloir commettre un acte de guerre.

... ou de mettre les Turcs face à leurs responsabilités

La volonté « de provocation » française des Turcs n'est donc, semble-t-il, pas absente, selon les observateurs 'neutres' du dossier. Il s'agit de créer un précédent, de mettre les Turcs face à leurs responsabilités aux yeux de tous. Ce qui conforte d'une certaine façon la version turque de l'incident et explique, en partie, le silence plutôt gêné des autres Européens et Alliés, qui ne se sont pas pressé d'aller au secours de la France, bien isolée lors de la dernière réunion des ministres de l'OTAN.

Un pieux mensonge turc

Quoi qu'il en soit, il ne faut pas oublier un point important, passé un peu inaperçu dans ce brouhaha politique. La réponse officielle des Turcs était que ce navire Cirkin transportait « de l'aide humanitaire » destinée à la Libye pour faire face à la crise du Covid-19. Ce qui peut être vrai... en partie. Il suffit d'avoir une cargaison de masques et de produits désinfectants. Mais avec les preuves patentes du déchargement de véhicules et d'armes à Misrata, il s'avèrera que non seulement la Turquie a violé sciemment l'embargo sur les armes vers la Libye, mais a menti frontalement à ses alliés sur la motivation de protection de ce cargo (1).

Un silence troublant

C'est là le point focal de l'histoire. Le silence des Européens, comme des autres Alliés, sur cet élément est pour le moins très troublant. Ne pas se prononcer sur un incident entre deux alliés, cela peut se comprendre, mais ne pas pointer officiellement du doigt un tel mensonge et un tel affront de Ankara tant à l'Union européenne qu'à l'OTAN est étonnant. Affirmer tous les matins vouloir contrôler l'embargo sur les armes vers la Libye et, au premier incident, rentrer la tête sous le sable n'est ni courageux ni lucide. Car la Turquie n'est pas seule à violer l'embargo. Des preuves existent, remontées aux Européens et aux alliés, de la violation de l'embargo par des appareils militaires et civils russes, comme émiratis.

Un feu vert tacite

Ce silence avéré, le manque de soutien au navire grec confronté en premier lieu à la marine turque est un comportement suicidaire pour la crédibilité européenne, une sorte de feu vert tacite à toutes les violations de l'embargo.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Un navire transportant de l'aide humanitaire n'a pas besoin en soi d'être protégé par trois navires militaires dans des eaux, la Méditerranée, où les risques d'attaques pirates sont nuls.

Lire aussi :

Mis à jour pour préciser certaines formulations, notamment la notion de provocation et de mise en face des responsabilités et le silence troublant des alliés

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “Retour sur l’incident naval turco-français. Volonté de provoquer ou d’assurer le respect de la loi ? (v2)

  • Il serait bon que ce site, d’excellente qualité par ailleurs, ne commette pas autant d’erreurs grossières.
    Je vous suggère la prochaine fois de vous faire aider par un connaisseur du droit maritime. La “loi intangible du droit de la mer” semble sortie tout droit d’une imagination particulièrement fertile.
    Avez-vous entendu parler des enquêtes de pavillon?
    Et surtout, ne pas oublier que le principe intangible du droit de la mer est celui … de la loi du pavillon, qui n’a rien à voir avec une quelconque immunité qui serait prodiguée par la protection par des navires d’un autre état.
    Enfin, demandez-vous dans quel cadre agissait le Courbet. Sous quel commandement.
    Un peu de rigueur ne nuit pas.

    Cordialement

    • Conseil judicieux. Dommage que le commentaire anonyme nous empêche d’apprécier totalement sa crédibilité. Notre imagination est fertile certes, mais nous préférons les faits : la convention ‘droit de la mer’ (UNCLOS) prévoit bien cette notion d’immunité souveraine, à laquelle nous nous référons, empêchant toute ‘visite’ (sauf accord ud capitaine du navire). C’est cela qui est visé notamment dans les règles d’engagement de l’opération Irini notamment. Tous les marins consultés nous ont confirmé cet élément. Cela n’empêche pas une enquête de pavillon bien sûr (tanzanien en l’occurrence). Mais celle-ci survient a posteriori – donc sans possibilité d’avoir une preuve patente immédiate (de type flagrant délit). Un article à suivre précisera tout cela, avec toute la rigueur désirée 😉

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