La France se retire de l’opération Sea Guardian. La colère contre Ankara n’est pas finie
(B2) La ministre française des armées, Florence Parly, a enfoncé le clou devant les eurodéputés ce jeudi (2 juillet). La Turquie n'est plus tout à fait un Allié fiable. Et la France est très, très fâchée
L'essentiel du propos était dédié à l'Europe de la défense (lire : Le plaidoyer de Florence Parly pour une Europe de la défense). Mais inévitablement le sujet des relations avec la Turquie est revenu au devant de la table, en particulier sur l'incident franco-turc en Méditerranée (lire : Le Cirkin n’en était pas à son coup d’essai. Un navire français illuminé au radar). Un propos d'autant plus intéressant que, la veille, l'ambassadeur turc en France avait donné une autre version de cet incident (lire : Incident naval entre la France et la Turquie. L’ambassadeur turc à Paris s’explique. Nous avons été provoqués).
Un acte agressif et indigne
L'illumination de la frégate Courbet par les Turcs au moyen d'un radar de conduite est un « acte agressif et indigne d’un allié de l’OTAN ». Le comportement de la Turquie est « très préoccupant » a redit la ministre française des Armées, avant d'enfoncer le clou. « Nous sommes censés être une Alliance. Un allié qui viole consciencieusement les règles que l’Alliance est censée faire respecter et tente de menacer ceux qui l’interrogent, ce n’est pas acceptable. »
Quatre propositions
« Pour que ce type d’incidents ne se reproduise pas », Paris demande quatre choses à ses Alliés :
- une réaffirmation solennelle du respect de l’embargo ;
- un rejet catégorique de l’utilisation par la Turquie des indicatifs OTAN pour mener ses trafics ;
- une meilleure coopération entre UE et OTAN ;
- des mécanismes de déconfliction.
Retrait de Sea Guardian
En attendant une avancée sur ces sujets, la France a décidé de retirer les moyens français de l'opération de l'OTAN en Méditerranée, Sea Guardian. « Ceci, jusqu’à nouvel ordre », a confirmé Florence Parly. Un geste plutôt inhabituel, d'autant qu'il s'accompagne d'une certaine publicité.
Commentaire : un geste rare, un élément très politique
Des décisions de retrait d'opérations ont déjà eu lieu dans le passé. Mais d'ordinaire, elles se font plutôt discrètement, au sein de conférences de génération de forces, soit pour un désaccord sur le fond (l'objectif de l'opération), soit sur une question de budget ou de moyens (un pays préférant missions/opérations, internationales ou nationales), ou une problématique interne.
Une façon de faire non anodine
Un retrait aussi public et spectaculaire mettant en cause clairement le comportement d'un autre membre de l'OTAN est rare. Un point que m'a confirmé un diplomate bon connaisseur du sérail de l'Alliance. Soyons clairs : en termes purement opérationnels, cette décision a une portée assez limitée. L'opération Sea Guardian fonctionne en effet par intermittence en fonction des disponibilités des nations. Un État peut ainsi mettre un navire ou le retirer selon son bon vouloir, sans vraiment de préavis. C'est davantage l'acte politique qui doit, ici, être analysé que l'acte opérationnel.
Où et comment s'arrêtera cette escalade
C'est une gradation de plus dans la volonté française de ne plus rien laisser aux Turcs, ni à l'OTAN. La question est maintenant de savoir où et comment s'arrêtera cette escalade. Dans tous les cas, inutile de préciser que du côté de l'Alliance, on est très « embêtés » par la question franco-turque, qui vient s'ajouter à un lent désintérêt pour l'Europe du côté américain. Autant dire que l'arbre est secoué !
(Nicolas Gros-Verheyde, avec Aurélie Pugnet au Parlement européen)