PNR Européen, les eurodéputés sous pression des Etats membres
(BRUXELLES2) C’est un des points faibles du dispositif européen actuellement. Tous les spécialistes du terrorisme le disent. Il manque un fichier « PNR » européen. Ce dispositif, découlant de l'anglais « Passagers Name Record » existe certes, de façon informelle. Il est tenu par les compagnies aériennes qui collectent les données utiles - nom, téléphone, origine, destination, préférence de repas... - à chaque réservation faite par un passager. Mais il n'y a pas de fichier central, consultable par les autorités de police de chaque pays, permettant pour un individu donné s'il a pris ou non un avion, et vers quelle destination. Une proposition de directive a bien été faite en ce sens par la Commission européenne en février 2011. Mais elle n'a, pour l'instant, pas été adoptée.
Un Parlement européen réticent
Le législateur européen n’est pas très chaud. Le Parlement européen avait déjà refusé en avril 2013, par 30 voix contre 25, cette proposition lors des premières discussions en commission parlementaire, l'estimant liberticide. Un nouveau débat tenu en novembre dernier, au niveau de la plénière, n'avait pas permis de progresser, malgré une demande expresse de l'ensemble des Etats membres. Mais le texte n'avait pas été rejeté. L'assemblée préférant le renvoyer en commission parlementaire pour une nouvelle lecture.
Des Etats membres favorables à un PNR européen
Après les attentats de Paris des 7 au 9 janvier, l'atmosphère a cependant changé. Les Etats membres, tous unis, poussent à un changement de ligne. « Nous sommes convaincus de l’utilité irremplaçable de cet outil, au plan européen, pour suivre ceux qui se rendent sur le théâtre des opérations terroristes pour y combattre, qui en reviennent, et lutter contre toutes les filières terroristes organisées » a expliqué Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur au nom du G10, les dix plus importants pays concernés par l'utilisation de la lutte contre le terrorisme. « Nous savons que le Parlement prend son rôle très au sérieux lorsqu'il s'agit de défendre les libertés des citoyens mais je vous demande également de nous aider à protéger la sécurité de ceux qui vous ont élus », a martelé devant l'assemblée, réunie en plénière à Strasbourg, cette semaine, Donald Tusk, le président du Conseil européen.
Des eurodéputés divisés
Les parlementaires sont résolus à avancer. Pour la droite chrétienne-sociale du PPE, c'est clair. Les eurodéputés UMP ont d'ailleurs demandé en coeur un « examen immédiat du texte par la commission parlementaire des Libertés civiles ».
Les autres députés sont prêts à discuter, mais pas à n'importe quel prix. « Légiférer dans des périodes très émotionnelles est dangereux » souligne, au nom du groupe des Socialistes et démocrates (S&D), l'Espagnol Enrique Guerrero Salom.
Les Libéraux et démocrates (groupe ALDE) sont vent debout contre le texte actuel. « La proposition doit être mieux définie, avec de solides garanties » argumente la libérale néerlandaise Sophie Int’Veld, ardente militante de la protection des données personnelles. L'ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt rappelle que ce texte doit s'accompagner d'un autre ; actuellement bloqué par le Conseil des ministres de l'UE « Nous avons besoin d'une directive sur la protection des données personnelles avant de nous lancer dans le PNR ».
Quant au Front national, il a adopté une posture de sauveur des libertés et de la souveraineté. « Nous refusons tout abandon de souveraineté » a expliqué Marine Le Pen dans l'hémicycle. « Nous refusons que quiconque décide à notre place. Nous devons pouvoir décider qui entre et qui sort à travers nos frontières. »
Une discussion qui va se poursuivre
Une nouvelle discussion du projet de directive devrait avoir lieu à la commission « Libertés publiques » d'ici la fin du mois. Le groupe des Socialistes et démocrates pourrait faire pencher la balance en faveur du texte. Ils sont placés entre deux feux. Ils participent à des gouvernements, dans plusieurs pays, notamment en France, en Italie, en Allemagne, qui militent en faveur d'un PNR européen. Et au Parlement européen, ils sont plutôt dans le camp de ceux qui sont réticents à la proposition actuelle. « Nous ne sommes pas des irresponsables. Nous ne sommes pas hostiles à l'échange des données. Mais il faut un cadre juridique clair » résume ainsi la socialiste française Sylvie Guillaume. « Nous sommes d’autant plus favorables à un PNR européen pour assurer la sécurité des citoyens européens que la multiplication des PNR nationaux et des accords bilatéraux ne nous satisfait pas » détaille sa compatriote Pervenche Bérès. « Ces systèmes offrent moins de garanties à l’égard des droits fondamentaux. Cependant, nous plaidons pour un équilibre avec le respect des libertés garanties par la Charte européenne des droits fondamentaux »
Le risque : plusieurs PNR nationaux sans protection
Le risque, selon un responsable européen des questions policières, est que faute d'accord au plan européen, chaque pays concerné mette en place son propre « fichier », plus ou moins reliés entre eux, au moyen de dispositifs opaques, où les garanties des droits ne seront pas parfaitement assurées au plan européen.
Cette stratégie alternative a déjà commencé. Le Royaume-Uni – qui est hors du système Schengen de contrôle des frontières - s'est doté d'un fichier PNR, en partie calqué sur le système américain. Et la France menace de faire de même si rien n'est fait au niveau européen. Manuel Valls l'a sous-entendu lors de son intervention à l'Assemblée nationale, hier. « La plateforme de contrôle française sera opérationnelle dès septembre 2015 ».
Nicolas Gros-Verheyde
version rallongée d'un article paru dans Ouest-France.fr