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Liste anti-terroriste. Les anciens inscrits peuvent contester la décision

une salle d'audience - photo d'archives (Crédit : Cour de justice de l'UE)(BRUXELLES2) C'est un arrêt de principe qu'a rendu la Grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne aujourd'hui (28 mai) à Luxembourg dans l'affaire Abdulrahim (C-239/12 P). Nous en recommandons chaudement la lecture. Car ses conséquences peuvent être importantes pour la politique de sanctions de l'Union européenne. NB : Ceci est une première lecture à chaud. Cet article sera complété prochainement (signe "MAJ" dans le titre).

Les faits

Abdulrahim, un Britannique résidant à Londres, avait été inscrit en 2008 sur la liste anti-terroristes de l'ONU (Afghanistan - talibans) puis sur celle de l'UE. Avant d'être radié deux ans plus tard. Il avait encore fallu un an pour que le tribunal européen de Première instance, qui avait été saisi, prononce un non-lieu à statuer et déboute le plaignant, estimant qu'il n'avait plus d'intérêt à agir.

La décision

L'instance suprême de l'UE contredit cette décision. « Une personne ayant fait l'objet d'une mesure de gel de fonds conserve un intérêt à ce qu’elle soit annulée par la justice européenne, même si elle a été abrogée en cours d’instance » explique la Cour. Car même si l'acte a été abrogé, « la reconnaissance de l’illégalité peut constituer une forme de réparation du préjudice moral subi ». L'arrêt du tribunal est donc cassé. Et la Cour renvoie l’affaire devant le Tribunal afin que l'intéressé soit rejugé.

L'argumentation des juges

Pour la Cour, il faut distinguer l’abrogation d’un acte (qui n’implique pas la reconnaissance rétroactive de son illégalité) et son annulation (en vertu duquel l’acte est éliminé rétroactivement de l’ordre juridique et est censé n’avoir jamais existé). En l'espèce, l'acte n'a été qu'abrogé et non annulé.

La personne concernée par un acte « conserve un intérêt à ce qu’il soit annulé » à un double titre ; individuel, pour obtenir une remise en état de sa situation, et introduire un éventuel recours en responsabilité ; mais aussi collectif « pour amener l’auteur de l’acte attaqué à apporter, à l’avenir, les modifications appropriées et ainsi éviter le risque de répétition de l’illégalité ».

Or, les mesures restrictives ont des « conséquences négatives concrètes sur les droits et libertés des personnes visées : le gel des fonds bouleverse leur vie professionnelle et familiale et entrave leur liberté de conclure des actes juridiques » estime l'arrêt. De plus, elles entraînent « l’opprobre et la méfiance sociale ».

« L’ampleur de l’atteinte à sa réputation » ne peut être contestée. M. Abdulrahim dispose donc « d’un intérêt à agir » pour demander l’annulation du règlement.

Premières leçons de cet arrêt

Cet arrêt qui vient de tomber est intéressant à plus d'un titre. Et il faudra le lire avec attention. Car il n'a pas qu'une portée de principe, pour des puristes du droit. Il entraîne également des conséquences concrètes pour les institutions européennes.

D'une part, il autorise désormais les personnes retirées d'une liste noire à contester en justice leur inscription dans l'objectif d'en obtenir l'annulation. Ce qui ouvre une nouvelle voie dans un contentieux déjà bien chargé.

Ensuite, il va falloir définir des critères pour cette annulation. Car, ainsi que le rappelle la Cour, l'annulation a pour objet de faire disparaître entièrement l'incrimination.

Enfin, il pourrait ouvrir pour les personnes lésées, une fois l'annulation en justice obtenue, un recours en responsabilité, donc en indemnisation. Ce qui pourrait dans le cas de personnes fortunées ou d'entreprises s'avérer (fort) couteux pour le budget européen...

NB : On ne peut que déplorer la lenteur de la justice européenne. Il a fallu tout de même un an au tribunal, par une ordonnance, pour estimer qu'il n'y avait pas lieu de statuer. Si cette question était si simple, quelques semaines n'étaient-elles pas suffisantes.

(Nicolas Gros-Verheyde)

télécharger l'Arrêt. Et (sur le site de la Cour) les conclusions

Abdulbasit Abdulrahim, britannique vivant à Londres, avait été inscrit, le 21 octobre 2008, sur la liste établie par le comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation en Afghanistan de 1999 pour avoir participé à des activités de mobilisation de fonds pour le compte du Groupe libyen de combat pour l’Islam (Libyan Islamic Fighting Group, « LIFG ») et avoir occupé des postes élevés en son sein. Il a ensuite été inscrit, le 22 décembre 2008, sur la liste "noire" de l'Union européenne contenant "Oussama ben Laden" et consorts. Ses fonds ont été gelés.

Il a contesté cette décision notamment devant le Tribunal européen de Première instance le 15 avril 2009, niant tout lien avec Al Qaida et estimant la mesure davantage destinée à plaire au colonel Kadhafi, alors que s'esquissait un rapprochement entre la Libye et le Royaume-Uni (lire le Telegraph). Son nom a été retiré de la liste de l'ONU le 22 décembre 2010 et de la liste de l'UE le 18 janvier 2011. Le tribunal a alors rendu une ordonnance de non-lieu le 28 février 2012. L'intéressé a alors saisi la Cour. « Si une partie du groupe afghan du LIFG a rejoint Al-Qaida en 2007, cela n’a pas été le cas de tous les membres du groupe » a ainsi plaidé Abdulrahim devant la Cour. Ajoutant « (j'ai) cessé d’être impliqué dans ce groupe à partir de 2001 ».

Le LIFG ou Al-Jama’a al-Islamiyyah al-Muqatilah bi-Libya est un groupe créé en 1985 qui a combattu les Soviétiques en Afghanistan et surtout fermement opposé au colonel Kadhafi. Il est dirigé par le libyen Abdelhakim Belhadj qui s'est illustré lors de la chute du régime libyen et est devenu ensuite membre du conseil militaire de Tripoli avant de s'en retirer en août 2011 pour se lancer dans la politique. Il avait été inscrit sur les listes anti-terroristes britanniques en octobre 2005.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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