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Paul Quilès veut ouvrir le débat : pourquoi est-on en Afghanistan ? (entretien)

(BRUXELLES2 / Entretien) Paul Quilès, ancien ministre de la Défense de F. Mitterrand (de 1985 à 1986), et de l’Intérieur (de 1992 à 1993), est un homme qui ne mâche pas ses mots. Et tient régulièrement un blog (lui aussi !) où il dit ce qu’il pense. Un des premiers ténors politiques aussi à réclamer (c’est dans Le Monde), le retrait des troupes d’Afghanistan. Cela méritait quelques explications qu’il avait bien voulu m’accorder (entretien recueilli par téléphone).

Le débat en France sur l’Afghanistan semble faible en France ?

« Oui ça fait longtemps que je dénonce. C’est étonnant : pourquoi la France serait le dernier pays à ne pas se poser les questions de fond. Celles-ci sont souvent éludées par méconnaissance du dossier ou présentées de façon mensongère. Ce qui est plus grave c’est qu’on ne sait pas très quel objectif on défend, pourquoi reste-t-on ? : combattre Al Qaida, promouvoir la démocratie, favoriser le développement du pays. On fait pleurer tout le monde sur les droits des femmes. Mais on mélange tout. Tous les arguments, pris les uns à la suite des autres, ne tiennent pas. Il faut vraiment se poser la question : Qu’est-ce qu’on fait là-bas ?…

Une base du terrorisme ?

Mais non. Ce n’est plus une guerre contre le terrorisme international. Les 150 000 militaires étrangers ne combattent pas, en fait, une poignée de fanatiques. Cela n’a pas de sens. Ils sont aux prises avec trois mouvements – celui du Mollah Omar, de Gulbuddin Hekmatyar et de Jalaluddin Haqqani -, aux objectifs d’abord nationaux et qui bénéficient d’un soutien significatif parmi la population. Quant à reconstruire un État nation, l’Afghanistan est en guerre civile depuis 32 ans, ce n’est pas avec des militaires qu’on va le faire. C’est le rôle de l’ONU.

Comment voyez-vous le rôle des Européens ?

Cela renvoie à un problème politique plus profond. Le bras armé (européen) a besoin d’un pouvoir politique ; il ne peut y avoir de bras armé sans pouvoir politique. Aujourd’hui, en fait, chacun joue son jeu. Il y a ceux qui ne veulent pas faire de peine aux Américains, ceux qui ont peur avec leurs opinions publiques, ceux qui veulent faire leur économie…

Et au final, rien alors ?

Oui. L’Europe paie ainsi son incapacité à penser ensemble, de façon commune. A partir du moment où il n’y a pas de débat, ou que celui-ci pas coordonné, on devient des « supplétifs » des Américains.

Il y a tout de même des marges d’action. Comment faire ?

Les Européens devraient avoir conscience qu’on peut représenter quelque chose. Chaque État, chaque parti dominant devrait avoir la volonté de poser la question au niveau européen, pour peser un peu plus. Et il faudrait définir ce qu’il faut faire (débat tactique) et pourquoi on le fait (débat stratégique). Quel est l’objectif : stabiliser une région instable, la lutte du bien contre le mal (lutte anti terroriste islamique), reconstruire le pays…

Vous êtes très dur, très clair sur l’Afghanistan. Mais on entend peu votre parti, le PS, sur cette question ?

Je souhaiterais qu’il s’exprime.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).