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Les listes noires de terroristes, de la politique internationale selon Yves Bot. Ah bon…

(BRUXELLES2) Fortement intéressantes, mais aussi très contestables, c'est en ces termes qu'on peut qualifier les conclusions que vient de déposer, ce matin (31 janvier), l'avocat général de la Cour de justice européenne, Yves Bot, sur le bureau des juges, concernant le règlement transposant une résolution du Conseil de sécurité autorisant des sanctions (gel des avoirs, interdiction de visas) à l'égard d'une liste de personnes soupçonnées d'appartenir au réseau de Oussama ben Laden, de Al-Qaida ou des Talibans. Dans l'argumentaire, juridique mais aussi assez politique, on sent toujours présent en Yves Bot, son passé de procureur de la République - à Bastia ou, en dernier lieu, à Paris -, poste d'autant plus sensible que c'est dans le Parquet de la capitale que sont centralisées les affaires de terrorisme international.

Ce que conteste le Parlement

Cette affaire est née suite à une plainte du Parlement européen contre le Conseil des ministres de l'UE. Le Parlement conteste, en effet, la base juridique du règlement adopté par le Conseil de l'UE. Il estime que, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, ce texte n’aurait pas dû l’être sur la base de la politique étrangère et de sécurité commune (article 215 § 2 TFUE) mais sur la base des dispositions relatives à la prévention du terrorisme et des activités connexes qui relèvent de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (article 75 TFUE). Les termes peuvent paraître abscons. Mais il ne s'agit pas, juste, d'un débat d'esthétisme juridique… Le choix de la procédure a une incidence concrète sur l’étendue du rôle du parlement dans l’adoption de l’acte : dans le premier cas, il est juste "informé" par le Conseil ; dans le cadre de la politique de justice, il est associé aux décisions et codécide, avec un pouvoir d'amendement, voire de veto au final.

Précisons que dans cette affaire, la France, la république Tchèque, la Suède comme la Commission européenne sont venus au secours du Conseil. Le Danemark qui avait marqué cette intention s'est ensuite désisté.

La compétence générale de la PESC

Pour l’avocat général, depuis le traité de Lisbonne, une action de l’Union sur la scène internationale visant à combattre le terrorisme international pour maintenir la paix et la sécurité au niveau international « doit être rattachée » à la PESC.  Aux termes de celle-ci « la compétence de l’Union en matière de la [PESC] couvre tous les domaines de politique étrangère ainsi que l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ». Et « bien que le traité de Lisbonne ait fait disparaître la structure en piliers qui existait précédemment, il n’a pas porté atteinte à la délimitation entre la PESC et l’ELSJ. Au  contraire, l’importance d’une ligne délimitant clairement ces deux domaines a été soulignée par le traité sur l’Union européenne. »

La PESC voie naturelle de transposition des résolutions de l'ONU

Pour Yves Bot, le but poursuivi par le règlement de 2009 ne « doit pas être réalisé de façon isolée » mais tenir compte des actes auxquels il se réfère et avec lesquels l'avocat général établit un lien, c’est-à-dire par ordre chronologique : la résolution 1390 du Conseil de sécurité de l'ONU en 2002, la position commune basée sur la politique étrangère et de sécurité commune (402) puis le règlement d'application (881/2002) et son règlement modifié (1286/2009). Tous ces actes visent "en réalité, un but unique, celui de lutter contre le terrorisme international" en coupant ses ressources financières.  Pour lui, c’est bien la PESC qui permet une "interaction" entre les décisions prises au niveau des Nations Unies et celles prises au niveau de l’Union. L’Union se borne à reprendre la liste arrêtée au sein du comité sanctions de l'ONU. La PESC "habilite l’Union à adopter des mesures restrictives en matière de lutte contre le terrorisme".

Considérations pratiques...

Il y a aussi dans l'analyse de l'avocat général, une considération plus pratique : la PESC est la "mieux adaptée à la variété des actions" qui peuvent être menées par l’Union afin de lutter contre le terrorisme international. Cela permet à l’Union de "prendre des mesures générales (mesures de restriction de la circulation des personnes visées, d’interdiction de la vente d’armes par exemple) sans limiter celles-ci aux seules mesures concernant les mouvements de capitaux et les paiements".

(commentaire) Des conclusions discutables

Même si l'analyse de l'avocat général se défend d'un certain point de vue, celui du procureur qui poursuit des terroristes et veut arriver très vite à un blocage de son action, on peut cependant avoir un point de vue totalement différent. Si le but visé par le règlement vise à compléter une action internationale, sa transposition obéit bien à un objectif concret : geler les fonds sur le territoire de l'Union européenne de certaines personnes et entreprises qui peuvent commettre un acte terroriste non seulement hors de l'Union mais bien à l'intérieur de l'Union. On est bien dans un domaine de justice et de police et non sur une action diplomatique ou de défense qui sont les deux sphères d'actions de la PESC. Si on devait suivre le point de vue de l'avocat général, on pourrait généraliser ce principe à d'autres domaines. Ainsi l'application du protocole de Kyoto ne serait pas de l'environnement ou l'énergie mais du droit international, de même que la transposition des règles de l'OMI ne serait pas du maritime, ou les accords Ciel unique du transport, etc. Ce qui serait ainsi un tournant dans la jurisprudence de la Cour.

La réalité du raisonnement d'Yves Bot est qu'elle ne suit pas tant une logique juridique mais aussi des objectifs pratiques : une décision PESC est plus rapide à mettre en oeuvre, et sans risque de "perte en ligne", qu'une décision codécidée avec le Parlement européen. Peut-on cependant tordre le droit pour atteindre ce qui ressort un des droits fondamentaux ? On peut en douter...

En revanche, il serait intéressant que le Parlement européen - s'il souhaite réellement avoir une compétence sur ces sujets sensibles qui exigent une réaction rapide - mette au point une procédure de décision spécifique à l'image de la procédure "fast track" dont s'est dotée la Cour de justice pour certaines questions sensibles. Il doit imaginer des solutions innovantes pour adopter ce type de mesures avec des délais raccourcis pour l'établissement du rapport et l'adoption en commission (en 48 ou 72 heures par exemple) ou la réunion d'un comité spécial des libertés publiques chargé de transposer ces résolutions internationales - souvent assez répétitives. Car de même que l'examen démocratique ne peut être totalement écarté, la lutte contre le terrorisme ne peut non plus souffrir des délais habituels de discussion au sein de la représentation démocratique.

Télécharger les conclusions, ici

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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