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Nicolas Sarkozy passe l’Europe de la défense au broyeur de l’histoire

Scène de réconciliation autour d'une tasse de thé entre Sarkozy et Merkel (© Monasse)

(BRUXELLES2) A l'issue du sommet européen, le président français Nicolas Sarkozy ne s'est pas contenté de redéfinir les structures issues du Traité de Lisbonne, il a aussi expliqué ce qu'il entendait par l'Europe de la défense. C'était en réponse à une question de mon collègue de Libération, Jean Quatremer, qui l'interpellait sur le résultat de l'intégration de la France dans l'OTAN et de son corollaire attendu, les avancées en matière d'Europe de la défense. Le président de la République a dénié tout manquement à sa parole. La défense européenne existe, à l'entendre, assumée par quelques pays européens volontaires, à commencer et surtout par le couple franco-britannique. Et quand il est nécessaire d'avoir une structure pour travailler avec les autres partenaires, "la machinerie de l'OTAN" est là. On est loin ainsi de la politique européenne de défense et de sécurité commune, structurée par le Traité de Lisbonne.

L'Europe de la défense = France + Grande-Bretagne. L'Allemagne sur la touche

« L'Europe de la défense, ça repose d'abord sur un couple, qui est le couple franco-britannique, puisque ce sont les deux armées les plus puissantes d'Europe. Avec qui voudriez-vous que nous construisions l'Europe de la défense de manière majoritaire ? » En tout cas pas l'Allemagne, d'après le président de la république. « L'Allemagne a fait un choix. Et ce choix aujourd'hui est celui de l'unité de l'Europe. L'Allemagne a une Histoire et la sensibilité allemande ne les pousse pas à intervenir spontanément sur des territoires étrangers depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il faut respecter l'Histoire des pays. »

Il y a une Europe de la défense quand les Etats européens la mènent

En fait, pour le président français, il y a bien une défense européenne visible. « Dans cette affaire libyenne, c'est une initiative de la Grande-Bretagne et de la France, deux grands pays européens. Les avions qui volent sont anglais et français, indépendamment des autres (NB : les Américains), mais ils sont aussi danois (et espagnols comme il le précisera plus tard à une autre question). Et « il y a un Etat-major où nous sommes tous, à Naples, en Italie, pays européen, proche de la Méditerranée. Pourquoi ne pas s'en servir ? »

Pour organiser une action militaire, deux solutions : les Etats-Unis ou l'OTAN

« Il faut une nation-cadre pour organiser la gestion de tous ces avions. » Pour le président français « Il y avait deux solutions, il n'y en avait pas trois : soit les États-Unis sont la nation-cadre et coordonnent. Si ce n'est pas les États-Unis qui le font, pourquoi devrais-je m'opposer à la machinerie de l'OTAN. (...) A partir du moment où nos amis Américains ne veulent pas être cette nation-cadre, il faut bien que quelqu'un le fasse. Il y a une structure à l'OTAN, il y a une machinerie, on s'en sert par l'intermédiaire du commandement à Naples, cela ne pose aucun problème. (...) Utiliser la machinerie de l'OTAN, ce n'est pas un problème politique, franchement. »

... Peu importe la structure, ce qui compte est le contrôle politique

« Franchement, je ne vois pas ce que cela pose comme problème politique à partir du moment où il y a la coordination politique de la coalition. Ce ne sont pas les forces de l'OTAN qui vont protéger la population en Libye, c'est la coalition. »

Une solution alternative : n'y pensez pas

« Aurait-il fallu faire différemment ? » s'interroge le président de lui-même « Je ne demande pas mieux de débattre de cette question. Mais quelle était l'autre solution ? La France doit être la nation-cadre ? Cela voudrait dire que j'aurais dû inventer un système qui fasse concurrence à la machinerie de l'OTAN ? Qui aurait pu penser que c'est du bon sens ? » Notre confrère tente bien de le relancer sur l'Etat-Major européen, le président tourne autour du pot. « Alors que faisons-nous de nos amis Américains et de nos amis Canadiens ? Qu'est-ce que l'on fait du Qatar et des Émiratis alors ? On les intègre dans le commandement européen ? C'est intéressant. Moi, je ne demande pas mieux que de regarder ça, mais enfin, pour mettre en place un système concurrent à celui qui existe déjà, cela n'avait pas de sens. »

La Réal politik de Sarkozy enterre l'Europe de la Défense

(commentaire) Cette position est très "realpolitik". On comprend que l'entente avec le Tory Britannique David Cameron nécessite un ajustement tactique. Mais le président français va très loin dans cet ajustement (*).

Nicolas Sarkozy enterre ainsi vingt ans de position française en faveur de l'Europe de la Défense (que défend tout même Alain Juppé). Il adopte une position aux antipodes du gaullisme traditionnel et affirme ouvertement un atlantisme de conviction et de préférence. En refusant même d'envisager la possibilité d'un Etat-Major européen et en insistant sur la concurrence, il fait sienne la doctrine anglo-américaine de la défense européenne (au sein de l'OTAN) avec un argumentaire qui n'est pas très éloigné de la définition de Madeleine Albright des 3D: ni Découplage, ni Duplication, ni Discrimination.

En définissant l'Europe de la défense comme la défense européenne - ce qui n'est pas tout à fait pareil - le président français dévoile que son engagement pris lors de la réintégration de la France au commandement de l'OTAN de promouvoir l'Europe de la défense avait, sans doute été mal compris. Tout comme la réintégration de l'OTAN qu'il résume dans une petite avancée : nous « faisions partie de 18 comités, nous en avons réintégré un 19e et nous ne faisons pas partie du 20e ».

La seule possibilité qui reste au président de tenir sa promesse, de ne pas trop exaspérer les gaullistes et européens de son camp, tout en ne reniant pas ses amitiés et ses convictions, est... la "coopération renforcée ou la coopération structurée permanente" qui peut trouver, là, une fenêtre d'opportunité inespérée.

(*) NB : Un proche de Nicolas Sarkozy nous confirmera, quelques minutes après la conférence de presse, la parfaite entente entre les deux leaders européens. Mieux, le Royaume-Uni a joué un rôle inaperçu jusqu'ici en insistant auprès des partenaires américains pour qu'ils s'engagent dans la coalition. "Cameron était très présent. Il a joué un grand rôle auprès des Américains".

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

3 réflexions sur “Nicolas Sarkozy passe l’Europe de la défense au broyeur de l’histoire

  • De La Boisserie

    Merci pour cet éclairage !

    NB : il me semble que vous appelez au lancement de la “coopération STRUCTUREE permanente” plutôt que d’une ” coopération RENFORCEE permanente”

  • De La Boisserie

    Cette position du président Sarkozy est (hyper)réaliste en l’état actuel de la PSDC, des relations transatlantiques et de l’OTAN ! Qui peut le lui reprocher lorsqu’il s’agit de passer des colloques, déclarations, réunions … aux actes de guerre !

Commentaires fermés.

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