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Entretien avec le nouveau chef d’EUPOL Rdc (Congo)

Crédit : Conseil de l'Union européenne

J’ai pu rencontrer Jean–Paul Rikir le nouveau chef de la mission de police EUPOL Congo (1), avec un collègue du quotidien belge Le Soir, dans les couloirs du Conseil de l’Union européenne. Un échange de vues qui complète celui que j’avais pu avoir avec son prédécesseur, le superintendant Custidio, l’année dernière (2) et permet de découvrir sans doute une des missions les moins connues de l’UE. La situation au Congo reste toujours contrastée. Et réformer la police une longue histoire.

La mission EUPOL Congo a été prolongée et vous en prenez la direction, quel en est l’objectif maintenant ?

Le mandat précédent portait sur l’aide à la conception de la réforme. Notre mandat sera surtout de mettre en œuvre cette réforme, de suivre tous les projets décidés lors de la précédente phase, et également apporter un appui à la formation des cadres de la police congolaise. Nous formons des formateurs, pas directement les policiers congolais.

Les ambassadeurs du COPS viennent de vous rendre visite, que vous ont–ils demandé ?

Ils nous ont demandé des résultats concrets, des actions concrètes lors de ce mandat d’un an de « mise en œuvre ».

Comment est dirigée la réforme de la police congolaise, EUPOL y participe ?

A Kinshasa, le comité de suivi de la réforme de la police, le CSRP réunit tous les acteurs concernés par la réforme : Congolais, EUPOL, Monusco, et ceux des autres pays qui font de l’aide. Il y a deux niveaux à ce CSRP. Le comité politique, dirigé par le ministre de l’intérieur avec les 7 ministres, le commandant police, les représentants de la société civile, les chefs de mission de l’UE et mission internationales… Et un comité technique, dirigé par un ancien membre de la police congolaise et ayant comme adjoint l’adjoint d’EUPOL autour de 7 projets (ressources humaines, infrastructure logistique, violences sexuelles…). NB : détails sur le CSRP

Pourquoi la réforme de la police semble si difficile à entrer en pratique?

Le Congo est un État qui a besoin de réformes dans beaucoup de secteurs : l’armée, la fiscalité, les ressources minières, la santé. Tout est à refaire. La réforme de la police n’est qu’une parmi d’autres. Et quand vous regardez comment dans nos sociétés occidentales où tout est cadré, une réforme, pourtant préparée de la fusion police gendarmerie (en Belgique) a mis du temps à entrer en vigueur, on ne peut pas demander à nos collègues congolais d’aller plus vite.

Votre prédécesseur parlait d’un changement de culture nécessaire au sein de la police congolaise…

J’en suis convaincu. Le problème dans la police ce ne sont pas seulement les institutions mais le changement de valeur. C’est le plus difficile, ce changement de mentalités.

Etre un ancien gendarme vous aide ?

Oui énormément. Le fait d’être un ancien gendarme, me permet de mettre dans leur peau. Ce qu’ils vivent — le passage d’une police militaire (même si elle ne l’était plus tout à fait) à une police civile — je l’ai vécu il y a 10 ans. Et nous avons été quelques uns à fréquenter les mêmes écoles. Je retrouve ainsi certains collègues qui ont été sur les mêmes bancs, à Liège par exemple. Cela aide. Et puis, il y a aussi des valeurs communes, entre collègues. Un policier parlera et comprendra toujours plus facilement un autre policier.

Comment se passe la collaboration avec l’autre mission de l’UE, déployée dans le pays EUSEC ?

Nous avons certaines fonctions qui sont mutualisées. On se réunit aussi souvent ensemble pour évaluer en commun la situation. Certains postes d’expertises sur le terrain sont aussi communs(paramédics, chargés de missions sur les violences sexuelles ou les droits de l’homme).

Et l’existence de partenariats bilatéraux ne vous gêne pas ?

Nous n’avons sans doute pas X millions à mettre sur table comme la coopération britannique. Mais nous avons du personnel. Il y a une certaine complémentarité entre toutes ces missions. Pour vous donner une image, on tire tous sur des ficelles. Mais ce qui prime, c’est de tirer dans le même sens. Pour ma part, j’entretiens les meilleures relations avec Program governance, la société privée chargée par les Britanniques de mener le programme.

On sait que c’est souvent un problème, avez–vous l’effectif nécessaire ?

Nous sommes actuellement 35 sur 49 postes budgétés. Il reste 14 à pourvoir. C’est une mission moyenne, bien dimensionnée pour son objectif, présente à Kinshasa et Goma. Une équipe pluridisciplinaire qui va sur le terrain, escortée par la MONUSCO.

Vous n’avez pas mentionné Bukavu. Il n’y a plus de poste ?

L’antenne de Bukavu disparaît, effectivement. Mais nous restons à proximité, de l’autre côté du lac à Goma. Cela ne va pas entrainer de diminution des activités dans le Sud Kivu. Il faut 40 minutes par hélico de la MONUC et 4 heures par le bateau plus lent pour aller d’un bord à l’autre. Mais on n’a pas suffisamment d’effectif, et maintenir une présence permanente à Bukavu nous obligeait à jongler en permanence (quand un était en congé ou déplacement, il fallait envoyer un autre en renfort pour toujours avoir 2 personnes sur place).

Toujours aussi difficile de combler les postes donc. Pourquoi selon vous ?

On a toujours des difficultés à attirer du personnel pour ces missions. C’est vrai qu’il est plus difficile de convaincre de partir au Congo qu’en Géorgie ou en Palestine. Mais il y a aussi des questions plus concrètes dans nos pays. Il y a des candidats. Ce n’est pas vraiment le problème. Ce sont les chefs qu’il faut convaincre. Il faut publier les emplois, laisser partir les candidats, et valoriser l’expérience au retour. Si les militaires sont habitués à la projection, à travailler hors des frontières, ce phénomène est plutôt nouveau pour la police qui ont vocation à davantage travailler à l’intérieur des frontières et peu l’habitude de la projection. C’est assez récent somme toute, moins de dix ans, en fait, depuis que la politique européenne de sécurité et de défense existe…

Les violences sexuelles perpétrées restent un problème au Congo : que peut faire la police ?

C’est une technique de guerre pour déstabiliser l’ennemi ; une atrocité commise par les troupes en campagne, quel que soit le bord, c’est la guerre. Et le policier n’y peut rien. On est sur un autre terrain. Pour la violence sexuelle domestique, il faut faire entrer dans le système congolais, la femme comme égale de l’homme, une question culturelle, seule la formation et discussion pourra amener.

Le Congo semble encore le théâtre de violations des droits de l’homme de la part du pouvoir comme cet opposant (Armand Tungulu) mort en prison ? Quelle est la possibilité d’EUPOL d’agir sur de tels actes ?

Je ne veux pas parler de bévue ou de bavure mais ce qui s’est passé là est absolument regrettable. Tout le monde le regrette : c’est l’Afrique, c’est le Congo…. Mais concernant EUPOL, il faut bien voir que nous nous avons un mandat non exécutif. Nous ne participons pas directement aux interrogatoires.

Mais en tant que policier n’estil pas gêné ?

Comment pourrait-il en être autrement. Evidemment qu’un homme décédé en prison, après un suicide dit-on, cela me gêne. Pas seulement en tant que policier. Tout simplement en tant qu’être humain. Maintenant je suis persuadé qu’une police réformée devrait avoir de meilleurs résultats. La transformation d’une police militaire en une police civile, un meilleur contact entre la police et le citoyen permettra d’éviter ce genre de choses à l’avenir.

Lire également

(1) Nouveaux chefs à EUPOL et EUSEC RD Congo

(2) Entretien avec Adilio Custidio, chef de la mission Eupol Congo

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).