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Tusk, un matamore politique ?

(crédit : Conseil de l'UE)
(crédit : Conseil de l'UE)

(B2) On le prédisait 'fin politique', 'habile manoeuvrier', capable de dynamiser la politique européenne, le Polonais Donald Tusk, qui préside actuellement aux destinées du Conseil européen, semble accumuler les déceptions. On peut se demander s'il n'est pas plutôt un éléphant dans un magasin de porcelaines. Avec une rançon : ce qu'on lui demande, c'est de ne (plus) bouger. Et quand il bouge, cela fait des dégâts.

Ceux qui mettent des barrières et ceux qui sauvent ...

Dernière casse en date, Donald Tusk met dans un même sac les Italiens, les Grecs, les Hongrois et les Slovaques. « Tout le monde doit avoir une responsabilité partagée » dans la défense des frontières extérieures. Une assimilation qui a le don d'hérisser Rome. « Ne confondez pas la responsabilité de ces pays qui ont travaillé contre et ceux qui ont porté seuls sur leurs épaules la charge de la réception » s'exclame Gianni Pittella, le président du groupe Socialistes et Démocrates (S&D) au Parlement. La colère italienne ne semblait pas éteinte rapidement.

Matteo Renzi monte au front

Lors du dernier Conseil européen, jeudi (15 octobre), à Bruxelles, le Premier ministre italien, Matteo Renzi, est monté au créneau. Lors de la réunion, selon les sources italiennes, il lâche : « On ne peut pas assimiler ceux qui construisent les murs et ceux qui sauvent des vies en mer ». Et face à la presse, il est encore plus dur. « Les phrases que Donald Tusk a utilisées ne sont pas les plus appropriées, non pas tant pour le gouvernement que pour le peuple italien qui, ces derniers mois, a fait un travail extraordinaire pour sauver des dizaines de milliers de personnes. Ces mots ne sont pas respectueux de ses efforts. » C'est relativement rare que le président du Conseil européen soit critiqué, de façon aussi verte. Même Sarkozy, dont on savait la dent plutôt dure, était plus respectueux du travail mené par le prédécesseur de D. Tusk, le Belge Herman Van Rompuy.

Un risque de découplage du Conseil européen

Un diplomate, très bon connaisseur du jeu européen, interrogé il y a peu sur le personnage "Donald Tusk", avait habilement esquivé la question, préférant parler en termes généraux de la novation du président du Conseil européen. Une manière habile de ne pas critiquer directement l'homme qui habite ce Conseil. « Avec le Traité de Lisbonne, il y a un risque permanent que le Conseil européen soit un peu hors sol, découplé du système de décision. Il est à la fois attendu et vit sa vie. » avait-il énoncé. L'organisation d'un sommet le 23 septembre, le lendemain même de la réunion des ministres de l'Intérieur, avait été jugée un peu inconséquente. Ce « n’est pas idéal. On serait dans une présidence tournante, on aurait organisé les choses différemment. »

Un président hors sol ?

De fait, c'est bien le problème de Donald Tusk qui semble un peu "hors sol". D'où sa tentation permanente à vouloir rattraper le train, à prendre des positions péremptoires qui lui attirent ensuite les foudres des capitales. Ce que gardait bien de faire son prédécesseur. Il semble avoir toujours un retard sur l'actualité politique. Au départ, totalement obsédé par la Russie et l'Ukraine, il a tenté d'imposer la présence de Porochenko à tous les conseils. Ce qui a fini par énerver plusieurs des capitales, notamment à Paris et Berlin, qui lui ont fait assez rapidement savoir que l'Ukrainien n'était pas membre du Conseil européen. Dans cette obsession de l'Est, il en a oublié la crise qui montait de façon magistrale au sud. Les questions de la Syrie, de la Libye, du Moyen-Orient de l'Afrique plus généralement, n'ont quasiment pas été mises à l'ordre du jour du Conseil européen. Or, selon le traité de Lisbonne, c'est dans cette instance que doivent se décider les grandes orientations de la politique extérieure .

... le Conseil européen identifie les intérêts et objectifs stratégiques de l'Union. Les décisions du Conseil européen sur les intérêts et objectifs stratégiques de l'Union portent sur la politique étrangère et de sécurité commune ainsi que sur d'autres domaines relevant de l'action extérieure de l'Union. (article 22 du Traité sur l'Union européenne)

Dernier exemple en date. Alors que la crise des migrants et réfugiés explose, Donald Tusk tarde à convoquer un Conseil européen... Raison officielle invoquée : le risque de division des Etats membres. Un risque qui éclate dans l'opinion publique. Les capitales se rejetant, par la voie des médias, la faute de la crise. Finalement il se décide in extremis à la fin septembre. Il faudra attendre la mi-octobre pour qu'on aborde la question de la solidarité avec les pays les plus proches des foyers de crise. Mais, on n'a toujours pas abordé vraiment les questions centrales, l'action sur les principaux foyers de crise (Syrie, Yemen, Libye...). Un retard magistral.

Une double tenaille politique

A ce rythme-là, son mandat qui est de deux ans et demi risque bien de ne pas être renouvelé. Ce d'autant qu'il va se heurter à un double obstacle politique. Si l'opposition du PiS (Droit et justice) l'emporte en Pologne, fin octobre, ce sera une défaite personnelle pour Donald Tusk qui va être fragilisé au plan national comme européen. Les prochains Conseils européens avec un partisan de Kaczyński victorieux risquent d'être un vrai calvaire pour Tusk... mais aussi d'une certaine façon une difficulté pour les autres Européens. Au plan institutionnel, le changement de président du Parlement européen, à mi-mandat, entre les Socialistes-Démocrates (S&D) et les Chrétiens-démocrates (une rotation prévue dès l'origine des élections) amènerait mécaniquement 3 PPE à la tête des trois principales institutions communautaires (Commission européenne, Parlement européen, Conseil européen), ce qui est difficilement justifiable, notamment pour les Socialistes & Démocrates qui revendiquent désormais une certaine parité. Sauf un départ anticipé de Jean-Claude Juncker de la Commission, que personne ne souhaite, il faudrait donc un des leurs installés au Conseil européen, argumentent nombre de leaders S&D. Non sans arguments. Donald Tusk est donc pris dans cette double tenaille politique, nationale et européenne, dont il aura bien du mal à se dépêtrer, surtout s'il se fâche avec quelques Etats membres...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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