Analyse BlogInterviewMissions OpérationsReportageRussie Caucase Ukraine

Récit de Géorgie 9: entretien avec Gilles Janvier, directeur adjoint de la mission

GeneralJanvierEumm-043.JPG
Le général Janvier © NGV / Bruxelles2

(B2)Quels ont été les défis de cette mission depuis le début ?
Le premier défi – et le principal – a été d’être opérationnel le 1er octobre avec arrivée des différents contingents qui n’ont souvent que quelques jours pour partir et se préparer. Ensuite il a fallu harmoniser les modalités de travail pour ces contingents venus 22 pays – qui n’ont reçu qu’un cours de 2 jours -, avec des forces différentes, de taille différente, dans le pays qui n’est pas le leur, et des procédures en cours de construction. Il a fallu aussi assurer la montée en puissance en même temps que le déploiement opérationnel. Enfin il fallut travailler en sécurité de jour comme de nuit.

Comment avez-vous fait pour passer aussi rapidement au stade opérationnel ?
C’était assez acrobatique mais on a réussi. Dès la deuxième quinzaine d’août, l’UE a ainsi déployé une équipe de gestion de la crise, renforcée par une équipe préparatoire de mission, coordonnée par le Capacité de conduite et de planification civile (CCPC).  Les lieux étaient déjà repérés, les voitures et téléphone étaient pourvus. Cette logistique a permis d’assurer une montée en puissance rapide. C’est la première fois que l’UE a déployé une mission en utilisant sa base d’experts civils.

Mais c’est au prix d’une certaine disparité et d’un manque de visibilité ?
La visibilité est des critères de réussite de la mission et en termes de sécurité. On a pris des mesures urgentes : repeindre les véhicules, mettre au point une signalétique commune. Fin janvier, les pays contributeurs du déploiement d’urgence vont revoir leur engagement en termes logistique et opérationnels. Et on prendra les mesures complémentaires. On a ainsi lancé un appel d’offres pour des véhicules blindés, afin de pallier à certains retraits et pour réduire aussi la diversité de nos véhicules. C’est toujours plus facile de trouver des pièces pour un Toyota ou un Mercedes que
pour un véhicule 100% militaire.

L’information semble être le nerf de la guerre. Comment pouvez-vous savoir ce qui s’est passé en cas d’incident, avez-vous des pouvoirs d’enquête ?
Nous n’avons pas de possibilité ni de mandat d’investigation. On ne peut pas mener d’enquête, ni perquisitionner. On essaie de savoir ce qui s’est passé auprès des témoins, où ça s’est passé exactement, si les accords de cessez-le-feu ont été violés ou non… ? On fait un travail classique de policier en croisant nos renseignements, auprès de toutes les sources possibles : les habitants, les forces de police, les officiels… Nous sommes dans un pays de rumeur et de provocation. Coller au fait et à l’analyse objective est donc important.

Comment se détermine le programme quotidien des observateurs ?
On a défini des règles de procédure et des tâches à effectuer. Ensuite chaque Field office fait son analyse et gère ses activités opérationnelles dans sa zone. Chaque semaine, on détermine un ou plusieurs « focus » ; par exemple, les points de franchissement administratifs, les forces armées en présence, etc. pour vérifier certains points, avoir un état des lieux de l’évolution, à la demande d’une autorité ou pour préparer une réunion officielle. Ce sont des activités planifiées. Et puis il y a les évènements…

Les observateurs européens ne sont pas armés, n’est-ce pas un handicap ?
Au contraire, c’est un avantage à la fois tactique et opérationnel. Avoir des armes est plutôt un facteur d’aggravation de tension que de stabilisation. Non armés, on ne prête pas à la critique, aux possibles provocations. Et on est plus à l’aise avec la population et nos homologues de part et d’autre. Nous sommes une mission civile. Et ne pas avoir d’armes est en phase avec cette qualification. De plus, de façon pratique, c’est plus facile. Avec un armement, et des personnels de 22 Etats membres, aux profils très différents, il aurait fallu définir des règles d’engagement, entraîner les gens… C’était impossible à faire avec les délais que nous avions, moins de 8 jours, pour nous déployer. Nos personnels d’ordinaire armés – comme les gendarmes ou carabinieri – s’y sont d’ailleurs très bien accoutumés.

Reste-t-il un danger de mines ?
Limité. Les Russes ont mené des travaux de dépollution, plus que de déminage (en septembre). Il y avait plus de munitions abandonnées plus les munitions non explosées, surtout dans la vallée de Tskhinvali, avant de passer la main aux organisations nationales – pas très équipées – Il y a aussi des ONGs comme Hallo Trust.

Votre mandat couvre toute la Géorgie, c’est-à-dire aussi l’Ossétie du Sud ou l’Abkhazie, vous y allez ?
On espère bien aller à Tskhinvali. On le demande régulièrement. Mais pour l’instant ce n’est pas possible. Nous avons des contacts. J’ai eu rendez-vous avec le Ministre de l’Intérieur de facto ossète – à plusieurs reprises car il a changé – dans un « no man’s land », un camion blindé, dans une ambiance très franche. Avec les Abkhazes, c’est plus difficile.

Quelles sont vos relations avec les Russes ?
Nous avons des contacts occasionnels et espérons bien bâtir un dispositif de rencontres et de prévision des incidents. Nous observons une diminution du nombre de postes de contrôle administratifs tenus par les Russes au profit des autorités des nouvelles régions. Même dans des postes importants comme le poste de Zugdibi passé aux mains des Abkhazes.

Peut-on dresser un premier bilan ?
I
mmédiatement près notre déploiement, il y a une baisse sensible sur tous les secteurs des incidents. Les personnes déplacées sont très vite revenues dans leur maison – quand ils pouvaient – c’est-à-dire quand leur maison n’était pas brûlée.  Nous avions déjà pu constater des mouvements quotidiens alors les Russes étaient encore là ! Les écoles ont très vite rouverts, le cours normal de la vie a repris. Et fait important, il n’y a pas eu de vacuum sécuritaire. Maintenant, pour l’avenir, je serai très prudent. Nous ne sommes qu’au début de notre mission…

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).