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2014, année de crises … Et ce c’est pas fini en 2015 !

L'Europe longtemps centrée sur le risque en Afghanistan va devoir apprendre à vivre avec un risque beaucoup plus proche - patrouille conjointe à Mazar e Charif (crédit: EUPOL Afghanistan)
L'Europe longtemps centrée sur le risque en Afghanistan va devoir apprendre à vivre avec un risque beaucoup plus proche - patrouille conjointe à Mazar e Charif (crédit: EUPOL Afghanistan)

(BRUXELLES2) Dans le monde, les conflits autour du continent européen ne se sont pas effacés durant l'année 2014. Au contraire ! Et les ministres des affaires étrangères ou de la défense de l'Union auront fort à faire cette année pour tenter de juguler ces crises comme d'harmoniser leurs positions.

Une "myriade" de conflits, plus proches

La multiplication de conflits n'est pas une nouveauté. La spécificité aujourd'hui, c'est qu'ils sont devenus à la fois plus intenses et surtout plus proches du niveau européen, que ce soit au Moyen-Orient ou dans l’Est du continent. C'est le principal défi en 2015. S'il y a dix ans, les conflits étaient nombreux (Afghanistan-Pakistan, Somalie, Irak, Congo...), ils étaient aussi plus lointains. Les Européens pouvaient être impliqués mais plus ou moins directement. Et ils impactaient moins directement la sphère européenne dans son entier. (*)

Des répercussions internes fortes

La "myriade" de menaces actuelles présente ainsi trois caractéristiques particulières qui sans être complètement nouvelles l'une ou l'autre ont rarement été rassemblées dans le même moment. Premièrement, elle constitue une ceinture quasi complète des frontières européennes : de l'Est au Sud, de la Baltique au sud de la Sardaigne. "L'arc de crises" - allant du Pakistan à la Mauritanie, voire la Côte d'Ivoire - décrite dans le Livre blanc français en 2008 -, s'est ainsi singulièrement rapproché, de la Russie à la Libye. L'impact est donc plus direct pour l'Europe, que ce soit au niveau économique (pertes de marchés ou soutien aux pays en difficulté), social (afflux de réfugiés...), ou sécuritaire (terrorisme, combattants étrangers...). Ces conflits ont également des répercussions, très politiques, au plan interne obligeant à réajuster en permanence les positions : sur la Russie (entre tenants d'une ligne dure ou non), sur Bachar ou l'opposition syrienne, sur la Palestine, sur l'immigration, sur la livraison d'armes à tel ou tel belligérant. Dernier point de différenciation : les "adversaires" sur certains fronts se révèlent aussi, directement ou indirectement, des "alliés" sur d'autres terrains de litiges ou de conflits (la Russie au Moyen-Orient, l'Iran, la Syrie ou le Hezbollah face à l'Etat islamique). Ce qui se révèle particulièrement délicat à gérer. On pourra aussi s'interroger sur la "mauvaise" gestion ou même l'opportunité d'interventions militaires passées et la gestion de la post-crise (Irak, Libye...) qui se révèlent aujourd'hui non seulement un échec mais un danger.

D'Est au Sud

Le conflit ukrainien a connu des soubresauts différents : de la « révolution » de février et du départ de Ianoukovitch, qui ont semé une vague d’espoir, à une intervention russe pour récupérer la péninsule de Crimée et un effondrement économique du pays. Une intervention, menée de manière masquée au départ, avec des militaires sans sigle ni drapeau et dotés d'armes légères, rapidement et sans quasiment de victimes. Cette intervention s’est poursuivie ensuite à l’Est de l’Ukraine, dans le Donbass, de façon beaucoup plus sanglante. Un conflit qui se prolonge, même si les accords de Minsk ont programmé une désescalade. Par répercussion, les tensions avec la Russie se sont aggravées, sur nombre d'aspects (politique, économique, militaire etc.) jusqu'à la Baltique.

Le conflit syrien en est à sa quatrième année, les bilans se succèdent, toujours plus mortifères. Le nombre de réfugiés dans les pays voisins a continué de s’accroître, mettant une pression importante notamment sur la Jordanie (lire : Le conflit syrien dure. Les réfugiés restent. Reportage en Jordanie) ou le Liban. Le pays du Cèdre a réussi à "tenir" malgré une tension croissante à ses frontières, et à l'intérieur du pays, particulièrement à Tripoli. A chaque fois, on croit que la limite est atteinte. A chaque fois, elle est repoussée. Jusqu'à quand ?

 

La présence de milices radicales en Syrie se révèle aussi dangereuse, voire plus que le gouvernement de Bachar pour les pays de la région et les occidentaux. Une coalition internationale se mettant en place pour lutter contre l’une d’elles en particulier, l’organisation de l’Etat islamique qui a pénétré en Irak, mis en déroute l’armée irakienne et bousculé même les peshmergas kurdes. Cette intrusion a mis à bas la stratégie américaine de retrait. Et, pour la troisième fois, en 20 ans, une coalition internationale s’est mise en place dans la région pour tenter de contenir ce qui ressemble à une nouvelle menace.

Au Moyen-Orient, ce ne sont pas les seuls foyers d'instabilité. Le Yemen s'enfonce dans une zone d'instabilité grave, un Etat quasi-falli qui fait penser à la Somalie des années 1990, dans une indifférence assez généralisée (lire : Le strabisme conflictuel). Une implosion totale n'est plus à exclure avec des conséquences déjà importantes en matière de "nid" du terrorisme. Quant au conflit entre Israël et Palestine tourne, pour l'instant, à une "intifada" diplomatique, il pourrait connaître une nouvelle crise plus aigüe, comme il en a connu avec l'offensive sur Gaza (opération Bordure protectrice ou Roc Inébranlable).

La Libye continue de s’enfoncer dans un niveau d’instabilité accrue. La présence de deux gouvernements, de combats entre les différentes milices n'est pas de bon augure. L'espoir d'une négociation de réconciliation nationale, est toujours espéré, avec les efforts du médiateur de l'ONU, l'Espagnol Bernadino Leon. Un problème urgent pour l'Europe a tenu à alerter le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avant Noël. Il n'est pas le seul à s'inquiéter. L'Italie et l'Espagne, au plan européen, ont également insisté sur la nécessité d'agir.

Des inconnues, des zones en stabilisation... ou non ?

En Afghanistan, la fin de l'opération de stabilisation de l'OTAN s'achève avec une certaine discrétion et dans une inconnue certaine. La question maintenant est de savoir combien de temps le pouvoir et la nouvelle armée afghane formée par les Occidentaux, tiendront face à de possibles offensives des talibans mais aussi des divisions internes.

En Afrique, les différents terrains de crise constatés ces dernières années — Somalie, Mali, et même la Centrafrique — tendent à s'améliorer, à se stabiliser ou, au minimum, à éviter de s'aggraver plus nettement. Cela montre aussi qu'une intervention militaire, à bon escient, accompagné de tout un processus politique, de développement et humanitaire, n'est pas inutile. L'exemple somalien, sur lequel personne ne pariait un kopeck depuis 1992, montre qu'il n'y a rien d'irréversible.

De façon générale, la situation dans tout le Sahel, et à ses bordures, du Soudan au Nigeria, reste critique, au point de vue de la sécurité interne comme de la stabilité des pays. Avec une réelle inconnue. Le Maghreb reste, pour l'instant, stable. Mais l'hypothèse d'une répercussion de l'instabilité libyenne sur la Tunisie voisine n'est pas exclue. Tandis que l'avenir de l'Algérie inquiète tous les spécialistes.

Des conflits "anciens" en voie d'atténuation ?

Dans cet horizon bien sombre, il ne faut pas non plus nier certaines zones de conflit en voie d'apaisement. Avec le cessez-le-feu proclamé par les FARC en Colombie, et sur un tout autre plan, le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis, l'Amérique latine et centrale retrouve pleinement la voie d'une ambiance pacifiée. Qui l'aurait cru il y a 20 ans... ?

Ce qui se passe aussi au Sri Lanka, avec l'engagement d'un processus de paix entre le gouvernement central et les Tamouls est encourageant. Il en est de même de l'ouverture de la Birmanie. Les négociations sur le nucléaire iranien, si elles aboutissent finalement en juin, pourraient aussi mettre fin à des années de tension avec Téhéran. L'Iran pourrait ainsi retrouver une certaine légitimité et normalité sur la scène internationale. Ce qui n'est pas inutile aujourd'hui.

Bonne nouvelle également, dans le Golfe d'Aden et tout l'Océan indien, la menace de la piraterie d'origine somalienne est aujourd'hui quasiment jugulée. A l'ouest du continent, dans le Golfe de Guinée, la tension avec les pirates locaux reste certes à haut niveau. Mais différentes mesures prises (formation, équipement, mise en réseau des forces des pays riverains) laissent entrevoir une possible sortie de crise.

La résurgence du terrorisme externe et intérieur

Ce tableau resterait, en effet, incomplet si on ne prend pas en compte la nouvelle donne issue de l'attentat de Paris contre "Charlie hebdo" qui suit celui du musée juif de Bruxelles. Un attentat commis, par des "gens de l'intérieur" — comme l'avaient été ceux des mouvements extrémistes de gauche ou de droite dans les années 1970 — mais formés à l'extérieur et invoquant (à mauvais escient) la défense d'un idéal religieux. Une double donne qui va compliquer notablement la gestion de crises. Car elle implique largement d'autres éléments que le seul point sécuritaire. A l'extérieur, les représentations ou citoyens européens pourront, aussi, être la cible de "terroristes" tout comme les lieux de pouvoir, de démocratie ou de vie tout simplement de tous les jours à l'intérieur des pays européens. Ce "terrorisme" pourrait aussi avoir un effet de souffle politique : fractionner un peu plus une société européenne, fragilisée par des années de crise économique et sociale, intenses depuis 2008-2009, et favoriser des mouvements extrêmes, surfant sur une nouvelle vague de racisme à la fois anti-musulman et anti-juif. Le pire des scénarios, la pire des menaces...

Bonne année...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) Une exception doit être mentionnée : la guerre des Balkans dans le début des années 1990. Mais nous étions dans une autre configuration, avec une Europe à Douze, une Russie restée orpheline de l'URSS, faible sur la scène mondiale.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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