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Protection civile, comment l’Europe a perdu une bataille

(B2 Archives - janvier 2005) Malgré de belles paroles, les Etats membres ont toujours été réticents à confier à l’Europe une parcelle d’efficacité en matière de protection civile. Témoin de cette véritable « apathie », un sabre budgétaire s’est abattu en décembre dernier sur le seul budget de coopération en la matière. Allié au goupillon de la lutte anti-terroriste, il a beaucoup fait pour geler le dossier.

20 % de moins pour le budget de protection civile

C’était le 20 décembre (2004). A Bruxelles, les ministres de l’environnement des 25 entérinaient sans discussion une décision préparée par leurs diplomates. L’objectif — consacrer le minimum du minimum à la coopération en matière de protection civile — était atteint. Alors que la Commission proposait 2,4 millions d’euros par an  — une misère au regard des budgets européens,  0,002 % du budget de l’Union, vingt minutes à peine de primes agricoles !— quelques États emportés par une rage anti-dépenses, —l’Allemagne, les Pays-Bas particulièrement contrés (mais très mollement) par la France et l’Espagne— décidaient de sabrer dans ce budget, que seule, en fait, l’Italie défendait. Résultat : 800.000 euros en moins, 20 % du budget alloué. Juste par principe ! Il s’agissait de montrer les crocs face à la Commission européenne dans une discussion qui se déroulait en parallèle sur les perspectives financières pour 2007-2013… Quelques jours plus tard, les mêmes s’enflammaient, faisaient de la surenchère aux dons. Il est vrai qu’entre-temps, des vagues déferlantes avaient emporté près de 200.000 corps, quelque part en Asie. Et que, dans cet entre-deux fêtes, les caméras étaient braquées sur les gouvernements, embarqués dans un vaste téléthon mondial.

Tout a été posé dès 1999-2000…

Malgré une résolution … datant de 1991 pour renforcer l’assistance mutuelle en cas de catastrophe naturelle ou technologique, les États ont en effet toujours été très réticents à lâcher une petite parcelle de pouvoir, et de budget, en matière de protection civile. Certes la nécessité d’aller plus loin en matière de protection civile a été soulignée dès les années 1999-2000. Le naufrage de l’Erika, le tremblement de terre en Turquie, les tempêtes, l’accident d’une usine de feux d’artifice à Enschede aux Pays-Bas, etc. mettent en lumière la nécessité d’agir. A la Commission européenne, un triumvirat composé de l'Italien (Romano) Prodi, du Français (Michel) Barnier et de la Suédoise (Margot) Wallström pousse alors en avant. Il souligne (déjà !), « le manque de coordination des interventions dans les situations d'urgence et la nécessité » . Les États membres, touchés chacun leur tour par une catastrophe, en conviennent.

Un programme de coopération est donc mis en place. Il comprend déjà toutes les idées, (ré)agitées ces derniers temps : le recensement préalable des équipes d’intervention « disponibles dans des délais très courts », un programme de formation, des équipes communes d’évaluation et de coordination, un système de communication, etc. Michel Barnier, alors commissaire à la politique régionale, voit même plus loin – il n’a jamais varié de conviction — et enfonce le clou « il faut développer de manière plus systématique une capacité d'intervention européenne pour lutter contre les catastrophes, qui s'appuierait sur les dispositifs nationaux existants et qui serait capable d'intervenir de façon coordonnée ». Tout est dit. Peu sera fait !

Une lutte ralentie et torpillée

L’obsession de la lutte antiterroriste

Mais, avec les attentats de septembre 2001, les Etats ont la tête ailleurs. La lutte antiterroriste occupe tous les esprits. De précieux mois sont perdus. Un expert le confirme en termes fort diplomatiques. « le momentum politique n’était pas là ». L’expédition anglo-américaine en Irak n’arrange rien. Le projet du « clan des 4 » (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg) d’une EU-Fast déposée en novembre 2003 fait long feu. Britanniques et Espagnols sont, à l’époque, obsédés par l’idée de ne pas déposséder l’Otan de certaines capacités de la « gestion civile de crise ». Le compromis est vite trouvé. Le projet d’une task force est enterrée.

Malgré de belles paroles, les États membres ont toujours été réticents à confier à l’Europe une parcelle d’efficacité en matière de protection civile. Témoin de cette véritable « apathie », un sabre budgétaire s’est abattu en décembre dernier sur le seul budget de coopération en la matière. Allié au goupillon de la lutte anti-terroriste, il a beaucoup fait pour geler le dossier.

Des querelles de pouvoir et de chapelle

A cela, s’ajoutent des querelles de pouvoir. Entre États membres d’abord. Pour les uns, la protection civile est du ressort de l’armée, pour d’autres, de la gestion civile des crises, donc du ministre de l’intérieur, pour les troisièmes, de la santé et du secours d’urgence ou de la préservation de l’environnement.  Cette querelle se répercute naturellement au niveau européen. La protection civile dépend, en effet, à la Commission de la DG Environnement. Pas très sérieux aux yeux des militaires ou sapeurs pompiers chargés en général de la sécurité civile. Le haut représentant à la politique extérieure, Javier Solana, qui souhaiterait bien disposer de telles compétences, n’est pas le dernier à souffler les braises sur le feu. Au sein de la Commission européenne, la querelle se fait jour entre les services de la justice et de l’environnement qui revendique chacun le leadership en matière de protection civile.

Les carences des États membres

Les États font de la rétention d’information. La Commission reconnaît d’ailleurs, dans son rapport en mars 2004, « des carences en matière d’information ». « La base de données est actuellement assez rudimentaire ». Exemple lors des inondations en France, « lorsque la France a récemment demandé des pompes en grande capacité, un seul pays avait enregistré dans la base de données des équipes disposant de pompes et la capacité de ces pompes n’était pas précisée. Or la réponse à la demande d’aide a révélé que six pays participants disposaient de matériel répondant aux spécifiques techniques ».

La fausse excuse des « bases juridiques »

Ce n’est qu’après l’attentat de Madrid, en mars 2004, que l’idée d’un renforcement de la protection civile peut refaire surface. La Commission européenne présente rapidement ses propositions. Tout simplement, car elles reprennent le projet ébauché en 1999-2000. L’idée d’une « task force » reste taboue. « Nous n’avons pas de base juridique pour agir » avance un porte-parole de la Commission (1). « Faux » répond un diplomate. Personne n’a apparemment songé à une idée émise par certains spécialistes, qui ne coûte rien et ne nécessite qu’une décision administrative. Rassembler physiquement, en un même lieu, la petite cellule de protection civile au service de l’Office européen d’aide humanitaire. Trop facile sans doute !

ECHO, l’exemple louable, mais à ne surtout pas suivre ?

Malgré tous les louanges qu’a reçu dernièrement, ECHO, cet Office européen pour l’aide humanitaire souffre d’une tare indélébile aux yeux des gouvernements : il est bien trop autonome. Son budget est déblocable rapidement. Et s’il ne dispose pas de ses propres troupes, il se repose généralement sur  la Croix-rouge ou les ONG, voire des organes des Nations-Unies à qui il distribue, directement, ses subsides. Trop risqué. Ces « troupes » ne portent pas suffisamment haut le macaron national. Or, n’est-ce pas ce qui compte  dans une intervention de cette nature ? Le drapeau porté hors des frontières, de préférence devant les caméras.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) (mise à jour janvier 2010) Depuis le 1er décembre 2009, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, l'UE a une vraie base juridique pour agir (lire : Une nouvelle compétence de gestion de crises pour l'UE : la protection civile). Et, dans la structure de la nouvelle Commission 2010, la cellule de protection civile va être intégrée à ECHO, sous la responsabilité de la commissaire à l’aide humanitaire et la réponse de crise qui aura donc les deux fonctions.

Article rédigé en janvier 2005

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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