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La coalition américano-franco-britannique frappe trois sites syriens (v5)

(B2) Les Américains, Britanniques et Français ont assuré cette nuit (de vendredi 13 à samedi 14 avril), vers 1 heure du matin (heure de Paris*), une série de frappes contre des installations chimiques syriennes. Une réaction à l'attaque chimique sur Douma (La Ghouta) du 7 avril dernier. L'annonce en a été rendue publique à Washington, puis confirmée à Paris et Londres.

Les réunions téléphoniques se sont intensifiées ces derniers jours. La fenêtre de tir était étroite : entre le temps nécessaire à la préparation militaire, et à la coordination des forces entre les trois pays, ainsi que la concertation politique et la négociation diplomatique, d'une part, et l'arrivée des inspecteurs de l'OIAC, d'autre part, le temps était court, avant que ne s'ouvre une autre phase : celle de la vérification a posteriori.

Des cibles contre les sites de production chimique

C'est l'arsenal, clandestin, du régime qui était visé. La première cible visait ainsi « un centre de recherche scientifique dans la grande région de Damas » a indiqué le chef d'état-major des armées US, le général Joe Dunford dans un point de presse tenu vers 3 h du matin (heure de Paris). Le centre de Barzah/Barzeh, non loin de Douma, est « un centre de recherche, de développement, de production et d'essai d'agents chimiques et biologiques » (CERS). La deuxième cible était « une installation de stockage d'armes chimiques », une ancienne base de missiles, située à 15 miles (24 km) de Homs. « Nous avons évalué qu'il s'agissait de l'emplacement principal de l'équipement de production de sarin et de précurseur syrien ». La troisième cible était un bunker qui recouvrait deux types de structures : « une installation de stockage d'armes chimiques ainsi qu'un important poste de commandement ».

Les sites visés (source : DOD US)

Des moyens navals et aériens coordonnés

Les frappes ont été menées de façon coordonnée par des moyens navals et aériens, en « étroite synchronisation » entre les différents alliés comme l'a précisé la ministre française de la Défense, Florence Parly samedi matin (14 avril). Du coté américain, deux bombardiers B1 (venant de la base du Qatar), trois navires basés en Mer rouge, mer Méditerranée et golfe Persique — le lance-missiles de la classe Ticonderoga USS Monterrey (CG-61), et deux destroyers américain de la classe Arleigh Burke l'USS Laboon (DDG-58) et l'USS Higgins (DDG-76) —, ainsi qu'un sous marin (l'USS John Warner) ont été mobilisés.

Du côté français, six navires étaient engagés : trois frégates multimissions (FREMM) étaient déployées en Méditerranée (Aquitaine, Auvergne et Languedoc), escortées par une frégate de défense antiaérienne, une frégate anti-sous-marine (FASM) et un bateau ravitailleur. En l'air, cinq avions de combat Rafale « partis de plusieurs bases aériennes » sur le territoire français (notamment la BA 113 de Saint-Dizier-Robinson) avaient « rejoint les côtes syriennes », soutenus par quatre Mirage 2000-5 (pour l'escorte), six avions ravitailleurs et deux avions de surveillance aérienne Awacs. Tandis que quatre avions Tornado GR4 de la Royal Air Force, partis de la base d'Akrotiri (à Chypre) faisaient de même.

(source : US Defense)

Plus d'une centaine de tirs (105 missiles)

L'utilisation de missiles de croisière que ce soit à partir d'avions (air-sol) ou de bateaux (mer-sol) a permis d'éviter de pénétrer sur le territoire syrien. Selon le général américain, la quantité de munitions (bombes et missiles) utilisées a été « plus de deux fois celles utilisées dans la frappe de l'année dernière » (NB : les USA avaient tiré 58 missiles Tomahawk à l'époque). Plus exactement 105 missiles ont été tirés précise le Pentagone.

Une répartition des cibles

Chaque pays avait reçu une cible précise. Les Américains, avec 57 missiles mer-sol Tomahawk et 17 missiles air-sol JASSM, ont visé le centre de recherche. Les Français ont visé le troisième avec 7 missiles air-sol Scalp. La deuxième cible — le site de stockage de Homs — a été visé simultanément par les trois pays : 9 Tomahawk américains, 8 missiles britanniques air-sol Storm Shadow (l'autre nom du missile Scalp-EG), 3 missiles de croisière navals MdCNet et 2 missiles français Scalp. Soit en tout 103 missiles qui ont été tirés (NB : il en manque deux par rapport au chiffre global indiqué par le Pentagone).

Une double première technique

Cette opération représente une double première en termes de technique militaire. C'est, en effet, la première utilisation opérationnelle des missiles MdCN (dits Scalp naval), fabriqués par MBDA depuis une frégate FREMM. C'était également la première utilisation réelle pour les missiles américains furtifs JASSM (Joint air to surface stand-off missiles) dans sa version allongée. Pour les pilotes français, venant de l'hexagone, la performance était plus humaine : « dix heures de vol, de nuit, en condition de combat ». Une « performance réussie grâce à cinq ravitaillements en vol » a souligné la ministre française de la Défense, Florence Parly.

100% de succès

« Toutes les armes ont touché leurs cibles près de l'heure indiquée » a indiqué le général des Marines Kenneth F. McKenzie, directeur de l'état-major US. « Aucun des missiles impliqués dans cette opération n'a été atteint avec succès par les défenses aériennes syriennes », a-t-il précisé, démentant les allégations de l'armée syrienne indiquant que plusieurs des missiles avaient été abattus.

Pas d'intervention de la défense russe

Quant à la défense russe, elle n'est pas intervenue. « Nous n'avons aucune indication que les défenses aériennes russes ont été employées. » Le Pentagone a diffusé des images ensuite "avant-après" pour chacune des cibles visées, montrant le "nettoyage" précis de chaque zone. Des images à prendre au conditionnel...

Effet de la frappe sur le centre de recherche de Barzah / Barzeh (source : US Defense)
Effet de la frappe sur le site de stockage de Him Shinshar (source : US Defense)
Effet de la frappe sur le bunker de Him Shinshar (source : US Defense)

Pas de pertes côté coalition

Tous les avions sont rentrés à bon port. « Il n'y a pas de pertes alliées » précise-t-on du côté du Pentagone. « Tous les avions français - Rafale, Mirage, AWACS, ravitailleurs - se sont bien posés à l'issue de leur mission de cette nuit » a confirmé la ministre française des Armées Florence Parly. « Tous les navires sont en zone de sécurité à l'abri de mesures de rétorsion ».

Éviter des pertes civiles et... russes

Les planificateurs de la frappe ont « fait de grands efforts pour éviter les pertes civiles et étrangères » a indiqué le secrétaire à la Défense US James Mattis. La frappe était « également prévue pour atténuer le risque pour les forces russes qui soutiennent le régime d'Assad » a ajouté le général Joe Dunford.

Les Russes prévenus

Il semble bien que cette frappe a été réalisée sinon en concertation, mais au moins avec une information de Moscou. « Nous avons veillé à ce que les Russes soient prévenus en amont » a indiqué la ministre française Florence Parly. NB : ce qui expliquerait la réaction, assez rituelle de la Russie... pour l'instant.

Pas de victimes russes et même syriennes

Aucune victime des raids n'a été signalée, même du côté syrien. Ce qui est étonnant pour ce type de sites, notamment le centre de recherches. Si cette information est confirmée, cela pourrait signifier que les Syriens aient été prévenus et vidé les lieux.

Limiter la contamination chimique

« Une analyse scientifique très minutieuse a été faite afin de déterminer où cibler les Storm Shadows afin de maximiser la destruction des stocks de produits chimiques et de minimiser les risques de contamination de la zone avoisinante » indique, de son côté le ministère de la Défense britannique. « L'installation touchée est située à une certaine distance de toute concentration connue d'habitation civile, ce qui réduit encore davantage ce risque ».

Évaluation en cours

Il est encore « trop tôt pour évaluer l'efficacité » des raids indique-t-on côté américain, même si les « rapports d'actions antiaériennes syriennes » ont été effectués. L'analyse est en cours. Mais déjà à Londres, on estime que les frappes ont réussi. « La planification méticuleuse des cibles ont abouti à une attaque réussie ».

(Nicolas Gros-Verheyde, avec RM à Paris)

* Attaque menée à 19 h. Washington, 2 h. Londres

Mis à jour 14.4 - 10h, 14h, 19h sur le détail des moyens aériens et maritimes employés, le nombre d'armes employées par cible, et l'efficacité des tirs, correction sur le nombre de cibles (trois et non quatre comme indiqué dans une première version). Le 15.5 sur les effets de la frappe. Le 16.4 avec les propos de Florence Parly sur les heures de vol. Le 20.4 sur les victimes civiles.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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