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Au large de la Libye, l’Europe a-t-elle changé de position ?

(B2) Toute l'affaire de l'Open Arms peut apparaitre à première vue comme un épisode simple d'une opération de secours en mer qui a été un peu ardue, avec une incompréhension réciproque (lire : Opération de secours en mer de l’Open Arms. Toutes les règles ont-elles été respectées ?). Mais derrière cet évènement se trame un réel changement de position européenne.

L'UE a-t-elle changé de position ?

Officiellement, non. En fait, oui. Nous avons posé la question au briefing de midi du mardi 20 mars. Ce qui a suscité un 'blanc' assez long. Puis une longue concertation entre les différents porte-paroles concernés pour aboutir à une absence de prise de position officielle. De fait, la position européenne est celle... de l'Italie. Dans plusieurs réunions officielles, les Européens ont salué la position italienne, notamment dans ses accords avec la Libye, et l'ont soutenu. Et cela figure même dans les conclusions du Conseil européen (1).

Que dit le code de conduite italien ? 

Les Européens mettent en avant le code de conduite, imposé cet été 2017 par les Italiens aux ONG pour continuer à être autorisées à sauver des migrants en Méditerranée. Proactiva Open Arms a fait partie des premières ONG à accepter de signer ce code. Il stipule l'interdiction d'entrer dans les eaux territoriales libyennes, de ne pas couper les transbordeurs ni faire de signaux lumineux, ne pas faire de transbordements sauf en situation d'urgence, ne pas faire obstruction aux opérations des garde-côtes libyens, recevoir à bord des officiers de police judiciaire, déclarer ses sources de financement, etc. (lire : Le code de conduite pour les secours en mer Méditerranée)

Qui a décidé la mise sous séquestre ? Qui est-il réellement ?

La mise sous séquestre du bateau a été décidée par le procureur de Catane (Sicile), Carmelo Zuccaro, qui avait été à l'origine d'accusations de complicité de trafic de migrants visant les ONG en 2017. Ce qui avait provoqué, notamment, des commissions d'enquête parlementaire. Elles avaient alors conclu qu'il n'y avait pas de preuves. En revanche, dans une ambiance politique tendue en Italie, cela avait débouché sur l'élaboration d'un code de conduite, sorte d'écran vertueux vis-à-vis de l'opinion publique. (lire : Les ONG complices des passeurs en Méditerranée : le dossier qui a fait pschitt ?)

Conclusion : un changement tactique et politique

Les autorités européennes surfent quelque peu avec la vérité. Elles ne disent pas tout à fait tout pour une raison simple.

Un outil opérationnel muet

Même si l'Union européenne a deux opérations, qui lui sont hiérarchiquement, rattachées sur zone : l'opération EUNAVFOR Med (Sophia) et l'opération Thémis (alias Triton) de Frontex, elle n'a pas vraiment la main sur la situation opérationnelle. D'autre part, et surtout, elle partage, plus ou moins explicitement, l'idée italienne de contenir les migrants. L'objectif est, à la fois, de maintenir les migrants en Libye à terre, de les empêcher de prendre la mer, si possible, et sinon de les récupérer aussi vite que possible.

La fin du principe du rapatriement automatique en Italie

Les Italiens qui avaient depuis 2015 étendu, de façon tacite, leur zone de secours et la coordination des secours jusqu'à la limite des eaux territoriales libyennes, n'ont plus envie de le faire, et n'ont pas plus envie que d'autres le fassent. Le rapatriement vers l'Italie des naufragés récupérés dans la zone de secours italienne (ou au large de celle-ci) qui était le principe jusqu'ici n'est désormais plus la règle. Le rapatriement obéira aux règles en vigueur au niveau international : c'est-à-dire le port le plus proche, le plus sûr (en termes d'accueil de naufragés) ou le port de l'état du pavillon ou un autre port d'un pays prêt à accueillir les réfugiés.

L'accueil des réfugiés n'est plus souhaité

Le principe même de l'accueil du droit d'asile est discrètement, battu en brèche. L'Italie, faute de solidarité européenne plus expressive, ne voulant plus assumer seule l'accueil des réfugiés et des migrants. C'est le sens aussi de la modification du plan d'opération (OpPlan) de l'opération de Frontex sur zone, — l'opération Triton étant renommée pour l'occasion Thémis. Selon les informations qui nous sont revenues, la zone a été redéfinie, plus au nord (donc moins proche des côtes libyennes), et plus à l'est (vers l'Albanie). C'est toute l'opération de secours qui est ainsi annihilée.

(NGV)

(1) Notamment le 19 octobre 2017 où l'UE « rappelle qu'il importe de coopérer avec les autorités libyennes et tous les voisins de la Libye afin de renforcer les capacités en matière de gestion des frontières ». Lire : Migrations : les 28 veulent mettre la priorité sur l'Afrique

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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