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Buster Howes (Eunavfor): « On a fait un good job cette année. Savoir quelle menace est acceptable »

Le général Buster Howes (© Bruxelles2/NGV)

(BRUXELLES2 / Entretien) En marge du Conseil des ministres de la Défense de l'UE, Buster Howes, le général (issu des commandos Marines britannique) commandant l'opération européenne antipiraterie (EUNavfor Atalanta), a confié à une petite poignée de journalistes (dont B2), le bilan qu'il tirait en fin d'année. Buster reste "pragmatique" estimant que le travail des forces déployées sur place est de s'adapter en permanence aux nouvelles tactiques des pirates. Eradiquer la piraterie n'est possible - estime-t-il -, limiter le champ d'action en revanche l'est. Toute la question, ensuite, est de savoir quelle est la menace acceptable en attendant une solution de fond : le renforcement des capacités maritimes. Une stratégie du containment en quelque sorte.

Quel bilan tirez-vous de cette année?

On a fait un good job cette année. Nous avons démantelé 63 groupes pirates cette année, 20 de plus que l’année dernière. Mais il y a en a plus. Au niveau tactique, nous avons réussi mais, au niveau stratégique, nous n’avons pas réussi à diminuer la menace. C'est vrai. La piraterie est devenue une grande industrie. Et elle se professionnalise de plus en plus. Ils réinvestissent une partie des sommes des rançons. Il y a davantage de gens qui font de la piraterie cette année.

Les pirates s’adaptent en permanence. Nous aussi !

Vous ne faites pas assez peur ?

Ce n'est pas la question. Notre business ce n’est pas tuer les gens ou de les balancer à l’eau, comme Thomas Morre, qui avait une vision (hum) trop stricte sur le respect des lois... La menace est asymétrique. Sur une côte (somalienne) qui fait 5000 miles, on a 5 ou 6 bateaux en permanence (*), c'est sûr on ne peut pas être partout à la fois. Comment prévenir toute attaque. Nous avons mené une action le long des côtes pour déjouer les attaques. Les pirates réalisent donc qu’aller vers les côtes est difficile. Ils restent donc en mer, piratant un bateau, et s’en servant pour pirater un autre, évitant ainsi de rentrer un bateau ou comme point de départ des skiffs. La piraterie s’est rapprochée de l’Inde. Ce qui complique la tâche car cela étend notre zone d'action. Et il y a un demi-million de bateau de pêche au large de l’Inde. Difficile de distinguer les bad guys des autres. Ils s'adaptent en permanence.

Les pirates s'adaptent. Et vous ?

Nous réagissons. Nous nous adaptons également. On utilise davantage les moyens aériens, pour le renseignement, en coordination avec l’OTAN et la CMF. On a amélioré de façon significative la façon dont on envisageait le problème. Mais la meilleure façon d’agir pour les bateaux est d’appliquer les bonnes pratiques (BMF). On cherche à voir avec les compagnies d’assurance comment mettre en place des incitations pour les bateaux qui appliquent les BMF. C'est important. Le temps maximum pour que les pirates montent à bord est de 10 minutes. Il faut retarder au maximum le moment où les pirates prennent pied et à nos moyens d’arriver. On essaie d’avoir une réponse dans les 60 minutes (dans l’heure). Mais tout compris (Eunavfor, Otan, Cmf, gardes-côtes), nous avons 25 bateaux. On ne pourra jamais être partout.

Le temps maximum pour que les pirates montent à bord est de 10 minutes. Il faut retarder au maximum le moment où les pirates prennent pied et à nos moyens d’arriver.

Quelle est la meilleure technique pour couvrir le Golfe d’Aden : convois ou secteurs.

Il y a toujours une discussion : le convoi ou le pick up. La majorité des pays engagés préfèrent le convoi. Mais entre l’Ouest et l’Est, il y a un long chemin, une longue période de temps. Il y a donc un risque de piratage quand même. Le débat continue. Il faut déterminer quel est le meilleur moyen de procurer de la sécurité. Regardez la seconde guerre mondiale, nous avons expérimenté la méthode des convois. Cela n’a pas empêché les attaques. Il y a le même modèle mathématique aujourd'hui. L’Inde, la Chine, le Japon préfèrent cette modalité de convois pour peu de bateaux accompagnés (21 navires escortés par les Indiens, 70 consacrés au détroit Bab el manded, 90 par la force japonaise).

Vous venez de signer l’accord avec le Sierra Leone, pourquoi ?

C’est pour cela, avoir plus de moyens. 80% des bateaux utilisés par le PAM sont sous pavillon du Sierra Leone. 20 % de ma flotte est réservée à l’escorte des bateaux du PAM. Si on arrive à placer des VPD à bord, on peut ainsi économiser quelques précieuses forces.

(lire : L’accord du Sierra Leone pour les équipes embarquées de l’UE)

On parle de plus en plus de reconstruire des capacités maritimes dans la région, le pouvez-vous ?

L’opération Atalanta n’a pas de rôle de « capacité building » ou de formation, en propre. Nous prenons à bord certains marins, yéménites par exemple (ou djiboutiens qui servent à la fois de traducteurs et guides par rapport aux pêcheurs somaliens ou yéménites).

Les pirates sont-ils liés à Al Qaïda, selon vous ?

Non. Pour moi, ce sont des délinquants, pas des terroristes.

"Vouloir éradiquer la piraterie est une erreur de compréhension.
Le problème est de savoir le niveau acceptable de menace qu’on est prêt à accepter."

Que pourrait-on faire de plus ?

On pourrait faire plus sans doute en matière de dissuasion. Mais il ne faut pas rêver. On ne fera pas de la Somalie une Suisse. Il faut rester pragmatique...

... Alors ce sera éternel ?

Nous sommes dans le classique d’une attaque asymétrique. On n’a jamais éradiqué le terrorisme. De la même façon, vouloir éradiquer la piraterie est une erreur de compréhension. Le problème est de savoir le niveau acceptable de menace qu’on est prêt à accepter. Ce qui me semble important est de renforcer les capacités maritimes de l’État. Combien de temps, cela va prendre. C'est un "blind test". Au monde maritime, aux politiques, aussi d’agir. Mais il faut faire vite. Le Royaume-Uni a déjà limité le nombre de frégates qu’il met à disposition. On risque un certain essoufflement des Etats, avec une probabilité de voir le nombre de frégates engagées diminué.

(*) Eunavfor regroupe actuellement 11 bateaux et 1700 hommes/femmes environ. Il faut compter les bateaux qui assurent l'accompagnement des navires du PAM et de l'AMISOM. Et ceux qui sont en ravitaillement/relâche dans les ports.

Le général Buster Howes (© Bruxelles2 /NGV)

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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