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Un service diplomatique, en flagrant délit de déséquilibre géographique

Pour qui regarde attentivement le premier organigramme complet du service diplomatique (1), un fait apparait rapidement : le déséquilibre géographique est patent. Et la place réservée aux instances de défense est pour le moins « atypique ».

Domination britannique et nordique

Dans la répartition des nationalités des principaux responsables du service diplomatique, on peut remarquer, en effet, une massive domination des anglo-saxons. Un observateur averti compte environ une vingtaine de Britanniques et Irlandais. La récente nomination d’un diplomate du Foreign Office, jusqu’à là ambassadeur du Royaume-Uni au Ghana (et en Cote d’ivoire) comme directeur du département Afrique apparait ainsi comme le couronnement de cette domination. En additionnant les pays de sensibilité proche (nordiques, néerlandais, irlandais…), la majorité est encore plus écrasante.

Les Français mais surtout les pays latins et les pays fondateurs mis de coté

A première vue, les Français semblent les premières victimes de cette répartition. Certes des Français sont nommés à des postes importants : au secrétariat général du Service, à l’Agence européenne de défense ainsi qu'au département Moyen-Orient (ces deux postes étant d'ailleurs tenus par des personnes déjà présentes à un poste de premier plan dans l’administration européenne extérieure). Mais au-dessous, c’est plutôt « peanuts ». Peu de chefs d’unités, c’est-à-dire le lieu "primaire" ou s'élaborent, se planifient la plupart des décisions.

Traduire cette description en une défaite hexagonale est cependant réducteur et quelque peu erroné. Ce sont, en fait, tous les représentants à tradition latine (Espagne, Italie, Grèce, Portugal…) qui sont réduits à portion congrue. Et même au-delà ce sont les pays fondateurs : l’Europe des Dix de 1981 trinque. Si les Allemands ne s’en tirent pas trop mal, on trouve également peu de Belges ou de Luxembourgeois.

Les pays d’Europe de l'Est, qui avaient très tôt sonné le tocsin, sont proportionnellement bien mieux lotis, avec trois des leurs dans le "comité des 12" (les "corporate and policy boards") : un Polonais, un Slovaque et un Roumain. Leur lobbying, bien préparé et bien relayé au Parlement européen, semble avoir donc avoir été reçu 5 sur 5 par la Haute représentante.

NB : je ne mentionne pas la répartition hommes / femmes - qui mériterait un article à lui seul - où le déséquilibre est encore plus patent : 1 seule femme dans le "comité des 12". Et ce déséquilibre se poursuit à tous les niveaux de l'échelle hiérarchique.

Un rééquilibrage nécessaire, d’urgence

De fait, le service diplomatique présente aujourd'hui un déséquilibre trop important et trop visible pour pouvoir prétendre traduire toutes les sensibilités et politiques étrangères des Etats membres. En l’état actuel, les dispositions prescrivant l'équilibre géographique dans la décision établissant le service diplomatique ne semblent d'ailleurs pas vraiment respectées (*).

Il est donc nécessaire de remédier d’une façon ou d’une autre à ce fait. La Haute représentante et le secrétaire général du service diplomatique disposent encore d’une certaine marge de manœuvre. Une vingtaine de postes sont vacants. Au niveau supérieur, trois postes doivent être encore pourvus qui concernent au premier chef la politique européenne de défense : le directeur du département « horizontal », le directeur de la CMPD, ainsi que, prochainement, le directeur de la CPCC, l'Etat-major civil de crises (le Néerlandais Klompenhouwer quittant ses fonctions rapidement).

Autre clé d'une évolution possible, à moyen terme : certains des noms « casés » devraient prendre leur retraite prochainement comme Roger Moore, directeur adjoint du département Afrique. On verra alors si les remplacements compensent ce déséquilibre d’origine.

Des institutions de Défense isolées

Comment ne pas parler, enfin, des structures de défense. Seuls trois petits carrés, flottant en haut d’un organigramme, symbolisent ce qui est sensé être un des piliers de la politique extérieure et de sécurité commune. Certes il ne s’agit que d’un organigramme, qui a notamment pour objectif de permettre à chacun des agents de l’ex-DG Relex de la Commission européenne ou de l’ex direction extérieure du Conseil de mieux situer son rattachement administratif dans le nouveau service diplomatique. Mais c’est tout de même très symbolique du peu de cas que l'on fait des structures de gestion de crises civilo-militaire. Il est également très mal perçu en interne.

Est-ce le prix à payer pour avoir des institutions qui ne soient pas ramenés à la norme commune, comme l’a défendue notamment la France ? Ou de garder ces sujets sous la coupe de la souveraineté des États membres, comme le défend le Royaume-Uni ? Est-ce la marque supplémentaire du faible intérêt de la Haute représentant sur ces sujets ? Quelque que soit l'interprétation trouvée, elle marque un état d'esprit qu'il importe de changer. Ne serait-ce qu'au nom d'une certaine ambition européenne que se doit de défendre la Haute représentante, Cathy Ashton.

(*) Deux dispositions prévoient cet équilibre : les articles 6.6 et 6.8 de la décision.
6. Le recrutement au sein du SEAE est fondé sur le mérite tout en veillant à assurer un équilibre adéquat tant géographique qu'entre les hommes et les femmes …
8. … tout en veillant à assurer un équilibre adéquat tant géographique qu'entre hommes et femmes et à disposer au sein du SEAE d'un nombre significatif de ressortissants de tous les États membres de l'Union.sont transférés au SEAE. Les fonctionnaires et les agents temporaires qui occupent un poste dans le cadre des services ou fonctions énumérés en annexe sont transférés au SEAE.

(1) Lire également :

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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