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Les 25 solutions de Jack Lang contre la piraterie

Jack Lang a remis hier à 16h (heure de New-York, 22 h ici) son rapport sur les « questions juridiques liées à la piraterie » au secrétaire général de l’ONU. Rapport - dont "Bruxelles2" a pris connaissance - et qui sera discuté aujourd’hui (mardi) au Conseil de sécurité.

L'ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, qui est également un juriste reconnu en droit international, préconise ainsi la création rapide de deux tribunaux spécialisés sur la piraterie : l'un au Puntland, l'un à Arusha (Tanzanie) qui serait une juridiction décentralisée somalienne. Jack Lang a cependant débordé du cadre strict qui lui était donné pour aborder l’ensemble de la problématique et proposer un ensemble de mesures visant tant l’aspect juridique que l’économie ou la sécurité. Son rapport comprend ainsi un ensemble de 25 propositions, dont "un plan global et mutidimensionnel", pour le Puntland et le Somaliland, composé de "trois volets engagés simultanément : économique, sécuritaire et juridictionnel/pénitentiaire".

La situation est grave

Pour Jack Lang, la situation est effectivement « grave » et appelle à une « batterie de mesures convergentes ». « La piraterie ne connaît aucun reflux depuis sa recrudescence au large des côtes somaliennes en 2007. L’année 2010 a été marquée par une intensification de la violence et un allongement de la durée de détention, une sophistication du mode opératoire et une extension de la zone des attaques au Sud (jusqu’au Mozambique) et à l’Est de l’océan Indien. »

L’économie de la région est touchée. La piraterie, « dont l’épicentre est au Puntland, a un impact déstabilisateur sur la Somalie et sur toute la région (augmentation des prix, insécurité des approvisionnements énergétiques, pertes de revenus). Si le trafic maritime mondial paraît mieux maîtrisé grâce aux opérations navales qui jouent un rôle indispensable de sécurisation, le nombre de victimes continue néanmoins à augmenter (1900 personnes depuis fin 2008 ont été prises en otage). A terme, c’est l’ensemble de l’économie mondiale qui risque d’être affectée. »

Le volet juridique

Deux tribunaux : un au Puntland, l'autre à Arusha

Parmi les solutions, sa préférence va à la création d’un « dispositif juridictionnel comprenant deux juridictions spécialisées au Puntland et au Somaliland et une cour spécialisée somalienne extraterritoriale qui pourrait être localisée à Arusha. » La juridiction spécialisée au Puntland et la cour somalienne extraterritoriale sont « prioritaires compte tenu de la possibilité de prévoir leur compétence juridictionnelle universelle. »

Des prisons au Puntland et au Somaliland

Les capacités pénitentiaires du Puntland et du Somaliland seraient également renforcées par la « création immédiate de deux prisons, sous un statut protecteur permettant un contrôle international, respectivement au Somaliland (500 places) et au Puntland (500 places). Les premières places seraient disponibles dans un délai de 8 mois. Dans un deuxième temps rapproché, une troisième prison devrait être créée au Puntland. Coût total de ce volet pour trois ans : moins de 25 millions de dollars US. Ce qui est, somme toute, relativement faible par rapport au coût de la piraterie.

Utiliser la compétence universelle

Le rapport propose également de consolider le socle juridique dans les Etats membres . Ainsi, les Etats doivent "incriminer la piraterie telle que définie par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, se doter d’une compétence universelle pour connaître des actes de piraterie".

Harmoniser les poursuites

Il faut « élaborer un modèle de procès-verbal international; faciliter la poursuite de l’intention de commettre un acte de piraterie ; favoriser le témoignage des victimes ».

Et, les accords de transfèrement, d’abord aux fins de jugement, puis, aux fins d’incarcération, doivent être "multipliés". Tandis qu'un "soutien approprié" sera apporté aux Etats de la région.

Le volet maritime et opérationnel

Un certificat de bonne conduite pour les bateaux

Le rapport préconise de créer une "certification internationale" du respect de certaines règles de bonne pratique et de prévoir une information de l’Etat du pavillon en cas de non respect de ces dernières, ce afin "d’étendre l’application des mesures d’autoprotection (les bonnes pratiques) par la communauté marchande".

Surveillance des côtes somaliennes

Jack Lang estime aussi nécessaire d'exercer "une surveillance rapprochée des côtes et à l’échange d’informations avec les autorités régionales du Somaliland et du Puntland". Une solution qui va dans le sens des solutions proposées par l'Espagne il y a plus d'un an.

Un volet économique et sécuritaire

Développement économique

"La création d’un volet économique est essentiel pour développer des activités qui ne peuvent prospérer dans un environnement de piraterie, à assurer la souveraineté des autorités somaliennes sur leur territoire et à réguler les activités des services pour que leur développement ne participe pas à l’essor de la piraterie" souligne le rapport. Plusieurs secteurs d’activité sont prioritaires, selon le rapport : "les activités portuaires et de pêche, l’exportation de bétail, le développement régulé des services de télécommunication".

Traquer les commanditaires et financiers de la piraterie

Il estime aussi nécessaire de remonter les filières. Il faut "frapper les réseaux de piraterie à leurs têtes, en s’attaquant aux commanditaires, parfaitement identifiés, mais qui s’abritent dans des territoires où ils sont protégés". Il est donc "indispensable" de renforcer les "capacités d’enquête de police scientifique des Etats de la région, de faciliter la recevabilité des preuves devant les tribunaux et d’appliquer des sanctions individuelles contre les commanditaires".

Un corps de gardes-côtes

Jack Lang veut aussi "renforcer les capacités des autorités somaliennes à assurer, par leurs forces régaliennes, la sécurité de leur territoire". Il propose de "rétablir des
unités de police dans les zones de non-droit
" et de "former la fonction garde-côtes dans sa dimension terrestre".

Une structure de lutte contre la piraterie

Une conférence des donateurs à haut niveau devrait permettre de lever les fonds nécessaires au financement du plan. Tandis qu'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité pourrait reprendre les principaux points (d'ordre juridique et politique) contenus dans le rapport. Jack Lang préconise surtout la mise en place d’une "structure institutionnelle" afin de faciliter la mise en oeuvre de cette résolution, sous "l’égide d’une personnalité de haut niveau et dotée d’une grande expérience au sein des Nations Unies".

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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