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Le Kenya entrouve la porte à l’UE sur le jugement des pirates

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(crédit photo : Commission européenne / EBS)

(BRUXELLES2) La visite de Catherine Ashton, la Haute représentante de l'UE, au Kenya n'a pas permis de débloquer le dossier. Mais on peut noter quelques avancées dans le véritable bras de fer qu'a engagé le Kenya avec la communauté internationale, et notamment l'Union européenne.

Quatre mois pour négocier un nouvel accord

Le Kenya avait dénoncé fin mars l’accord qui le liait à l’Union européenne. Celui-ci ayant un préavis de 6 mois, il reste encore 4 mois pour négocier un nouvel accord.

Le ministre des Affaires étrangères kenyan, Moses Wetangula, n'est pas revenu sur cette dénonciation. Mais il a qualifié, cette visite de "fructueuse". Car l'UE a reconnu la nécessité d'un « partage des charges », d'un « effort international plus concerté » et « qu'un pays ne pouvait résoudre seul ce problème ». Cathy Ashton l'a confirmé à ses interlocuteurs.  Le Kenyan a ainsi fait un geste de conciliation. Le pays pourrait accepter « au cas par cas » de prendre en charge des suspects appréhendés par les navires de la force européenne.

Sur le fond, cependant il n'a rien cédé. Le Kenya entend voir ses préoccupations - tant politiques que juridiques ou financières - prises en compte. Si, dans quatre mois, le pays n'a pas reçu des garanties sur la sécurité et les coûts, il cessera ainsi les poursuites de pirates. Le ministre l'a également confirmé. Nous voulons « une responsabilité partagée, des coûts partagés, des risques partagés » souligne Wetangula.

Les raisons du bras de fer

Premièrement, le Kenya ne veut pas être le seul pays de la région à traduire les pirates - ce qui le désigne comme une cible plus importante pour les pirates. C'est donc un message adressé aux autres pays africains de la région, notamment la Tanzanie (où se rend également la Haute représentante) mais aussi l'ïle Maurice, l'Afrique du sud... pour qu'ils acceptent aussi de signer un accord identique et de prendre en charge les pirates (à court terme) et de mettre en place une solution régionale (à long terme).

Deuxièmement, il s'agit de résoudre la crise somalienne, dont le Kenya souffre au premier chef. Du fait de ses frontières communes, et de la possible agitation et troubles, qui menace le nord du pays. Les Kenyans voient bien que la communauté internationale a davantage de préoccupation sur la région depuis que les pirates agissent. Il estime donc nécessaire un engagement plus fort des Etats membres de l’Union européenne sur la Somalie. Mais également d'assurer au Kenya les moyens de sa sécurité (éventuellement avec la livraison et la
prise en charge d'équipements de sécurité...).

Troisièmement, il s'agit d'obtenir de l'Union européenne une renégociation de l'accord de remise des pirates dans des termes plus favorables. Notamment en rendant plus stricts les critères d'acceptation des suspects (le "cas-par-cas" deviendrait la règle) ; en obligeant également les pays qui lui remettent des pirates (1) à assurer le "service après-vente" : reprise et réacheminement des suspects si les tribunaux les libèrent, voire emprisonnement dans d'autres pays une fois la peine prononcée (2).

Quatrièmement, le Kenya veut davantage de soutien financier. Le pays estime que les sommes versées par les Européens et la communauté internationale sont limités à un seul fait : la poursuite des pirates - et ne sont pas utilisables pour d'autres besoins (3). Il souhaiterait voir non seulement augmenter ces fonds mais qu'ils soient à finalité plus globale. L'économie kenyane souffre. Selon Wetangula, la piraterie coûte au pays 25 millions de $ par mois. 1 million de $ par jour ! Soit largement plus que les rançons versées aux pirates ou que l'aide
européenne pour la traduction des pirates (1,7 millions €). L'UE devra donc passer à la caisse.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Précisons que selon le droit de la mer, c'est l'Etat du pavillon (attaqué) qui est compétent au premier chef. La compétence universelle étant, en quelque sorte, supplétive et concomitant à ce droit.

(2) Conditions qu'a obtenues les Seychelles dans l'accord signé avec l'UE. Lire : L'accord de transfert des suspects avec les Seychelles

(3) Toutes les sommes n'ont pas ainsi été dépensées. Lire :Lady Ashton en tournée en Afrique de l'est mais pas en
Ouganda.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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