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EUPOL en Afghanistan : quelle déception ! dit le CER

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(crédit photo : Union européenne / EUPOL Afghanistan)

(BRUXELLES2)
"Faiblesse du leadership, restrictions excessives de sécurité, mandat limité et manque de stratégie, (...) la mission de police de l'UE en Afghanistan illustre au mieux les défauts de l'engagement de l'UE".

Voici les principaux éléments de la note que vient de publier le Centre for European Reform (CER), un des think tanks européens, basé à Londres.

Son auteur, Joanna Buckley, sait de quoi elle parle : elle a été un des POLAD (conseillers politiques) du Représentant spécial en Afghanistan durant plusieurs années (avec l'ambassadeur Vendrell), et connaît, a priori, bien le terrain.

Le constat est sévère et suscitera certainement des remarques ! Mais il n'est pas inintéressant.

Née d'un désaccord...

EUPOL souffre d'une erreur de conception selon J. Buckley. Au départ, était envisagée une mission "Etat de droit", pour soutenir la réforme de la justice ET de la police en Afghanistan. Mais "les désaccords entre Conseil et Commission" ont abouti à un autre résultat : "le Conseil a lancé une mission séparée d'entraînement de la Police. Tandis que la Commission démarrait, de son coté, son propre programme sur la Justice."

... lancée prématurément

Quand la mission démarre en juin 2007, c'est "prématuré". La mission EUPOL doit succéder au programme allemand GPPO (German Police Project Office). Mais "le gouvernement allemand pousse au démarrage d'EUPOL avant qu'elle soit prête", pour avoir ce résultat "sous sa présidence". De fait, la majorité du personnel d'EUPOL n'est rien d'autre que du personnel de police venant des missions de chaque Etat et "rebadgés à la hâte. Peu d'entre eux ont reçu des instructions sur la différence entre leur nouvelle mission et l'ancienne."

...Peu soutenue par les Etats membres

Nombre d'Etats membres ne montrent qu'un intérêt limité à la mission. Ils sont "lents à déployer le personnel suffisamment qualifié ou à finaliser les accords permettant au staff d'EUPOL d'être situé dans les bases militaires nationales ou dans les équipes de reconstruction provinciale." "Alors même que son objectif est l'Etat de droit, un seul expert, au début, sera disponible sur ce sujet".

EUPOL effectue un travail trop limité

Résultat. "Pendant un bout de temps, EUPOL ne fera pas plus que travailler sur des questions administratives, de marché public ou de recrutement". Au surplus, "des règles de sécurité draconiennes sont imposées au personnel européen, limitant leurs mouvements en Afghanistan. Les membres d'EUPOL ne peuvent circuler qu'en convois de deux véhicules avec du personnel, même à l'intérieur de Kaboul".

... sur un mandat vague et erroné

La plus grave erreur, pour Joanna Buckley, c'est le mandat de la mission "trop vague et erroné". Son objectif "Training, mentoring and advising" de la police afghanne a été fixé "sans évaluer quelles seraient les méthodes les plus efficaces et où étaient les plus grands besoins". Elle a été concentrée à un trop haut niveau : "au niveau provincial et régional alors que les besoins de réforme étaient plutôt au niveau local ou du district. Dans le même temps, les Américains mettent 2,5 milliards $ spécifiquement dans un programme de formation pour les districts, auquel l'UE n'a pas pu contribué à cause du mandat de la mission de police". EUPOL a, aussi, ignoré la réalité des factions et de la corruption qui règnent dans la police. Les Européens ont fait des propositions sur des questions techniques et opérationnelles mais ont négligé une vue d'ensemble.

... avec une chaîne de contrôle opérationnelle inadéquate

Pour Joanna Buckley, une partie des erreurs est liée à la chaîne de contrôle opérationnel d'EUPOL. Cette mission est gérée "par la CPCC, sous le contrôle politique et la direction stratégique du COPS". Dans les faits, c'est la CPCC qui donne les instructions, "le COPS ne donnant qu'une très faible impulsion stratégique". Or la CPCC - pour Buckley - est plutôt "une direction opérationnelle avec une expertise plus technique que régional. L'office du représentant spécial se limitant à fournir des orientations politiques locales". On sent ici ce que recommande la chercheuse du CER: un lien plus étroit entre la mission EUPOL et le Représentant spécial de l'UE, plutôt qu'une lointaine hiérarchie avec les structures basées à Bruxelles (voir ci-dessous).

...et un manque récurrent de personnel et de volonté des Etats

Certes, Joanna Buckley constate une amélioration ces derniers temps : avec l'augmentation de l'unité "Etat de droit", le déploiement dans les 16 provinces des experts d'EUPOL. Mais les défauts du début demeurent : "la mission n'a encore que 245 personnes sur les 400 prévues en 2008". Les Etats membres participant à EUPOL continuent de "développer des programmes bilatéraux, considérant EUPOL trop rigide et préférant faire les choses selon leur propre vue". Elle cite en exemple l'augmentation de la mission de police allemande (alors  qu'EUPOL était sensée lui succéder) ou l'initiative de la force de gendarmerie européenne (France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Espagne) qui ont engagé leurs forces dans la "NATO training mission" plutôt que dans EUPOL.

Solution : impulser l'esprit de Lisbonne

Pour l'auteur, en conclusion, il faut impulser davantage l'esprit de Lisbonne en Afghanistan sans attendre le résultat des négociations sur le service européen d'action extérieure. Si le Lituanien Usackas, le nouveau représentant spécial de l'UE en Afghanistan (1), a désormais aussi la responsabilité de la délégation de l'UE dans le pays (double-hatted), il faut s'assurer, souligne la note du CER, que le personnel politique de l'envoyé spécial et de la délégation de la Commission "ne soient pas seulement réunies mais partagent les mêmes priorités politiques".

Usackas devrait aussi avoir "une claire autorité sur la mission EUPOL". Ce qui donnerait au représentant spécial la "force d'orienter les priorités d'EUPOL pour être sûr que la politique de la mission renforce la stratégie globale de l'UE en Afghanistan".

Pour résoudre la question du personnel, l'UE devrait aussi accélérer ses efforts de mettre en place une force d'experts civils prêts au déploiement, dans la lignée de la "Stabilisation Unit" britannique ou la "Civilian Response Force" américaine. Il est un fait, rappelle J. Buckley : "beaucoup d'officiers de police considèrent qu'un poste à l'étranger nuit à leurs perspectives de carrière, car il est peu considéré 'à la maison'".

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Usackas (RepSpé Afghanistan) auditionné au Parlement

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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