B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Analyse Blog

Au Moyen-Orient, se préparer au pire

Affiche de la campagne sponsorisée par l'Union européenne sur le respect du droit international humanitaire

(BRUXELLES2) « On doit se préparer au pire, la déstabilisation de toute la région », la commissaire européenne chargée de l'Aide humanitaire, Kristalina Georgieva n'a pas caché sa préoccupation, et parfois un peu son désarroi, ni mâché ses mots devant les quelques journalistes présents dans son bureau hier (dont B2) face à la situation qui empire sur place.

Pas d'autre choix qu'aller à l'étranger

« Je suis très préoccupée. L'impact sur les pays voisins commence à devenir très préoccupant au Liban et en Jordanie mais aussi en Turquie, pays le mieux préparé ». 1,2 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays. Auparavant la plupart de la population se déplaçait vers une ville plus sûre. Aujourd'hui, particulièrement depuis juillet, c'est difficile, et il y a peu d'endroits sûrs. « Depuis juillet, les gens se déplacent d’un endroit à l’autre. Ils allaient avant d’Alep à Damas. Mais Damas devient aussi dangereux, alors ils franchissent les frontières. »
Alors ils fuient vers l'étranger. On compte déjà officiellement 160.000 réfugiés, en réalité beaucoup plus. Et ce chiffre augmente rapidement pouvant atteindre environ 1200 personnes par jour (on était à 800 à 1000 en moyenne dans les derniers jours). « Il faut absolument permettre aux ONG, aux travailleurs humanitaires de pouvoir accéder à la population en Syrie. » Et surtout respecter leur travail humanitaire... et leur vie. 5 volontaires du Croissant rouge arabe syrien et 1 du Haut commissariat sur les réfugiés (HCR) ont déjà perdu la vie dans le pays.

Tuer des civils est un crime de guerre

Tel a été son letimotiv. « Il est actuellement essentiel de faire pression sur tous les acteurs du conflit, que la communauté internationale enjoigne à chacun de respecter le droit international humanitaire pour l’accès des travailleurs humanitaire. Mon message est clair : tuer des civils c'est un crime de guerre, tuer des humanitaires, tirer sur des ambulances c'est un crime de guerre au sens des conventions de Genève, tuer des journalistes c'est aussi un crime de guerre. » Un message qui s'adresse bien évidemment au gouvernement syrien...

Un message adressé aussi aux Etats membres de l'UE

Car évidemment, « la plupart des faits sont commis par l'armée » mais la rébellion n'est pas exempte de tout reproche. « Des faits de torture existent dans tout le pays ». Et le message de la commissaire s'adresse à chacun de leurs soutiens. même si personne n'est nommé. A commencer par les membres du Conseil de sécurité, la Russie et la Chine d'un côté ; les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni de l'autre.

Un message éminemment compliqué par l'ampleur prise par le conflit, où les (grandes) puissances s'affrontent par troupes interposées - comme au bon vieux temps de la guerre froide. Comme me l'a confié un responsable européen, « nous avons bien conscience que plusieurs de nos Etats membres sont engagés indirectement dans ce conflit ». Ce qui rend le message de la commissaire - « Faites respecter le droit international humanitaire » - on ne peut plus conséquent.

Pour autant ce n'est pas le job (des travailleurs humanitaires) que de constater ces crimes de guerres. « Nous ne collectons pas de preuves sur les crimes de guerre. Car nos personnes risquent la vie sur le terrain. S’ils le faisaient la probabilité de se faire tuer serait grande, ce n’est pas notre job. »

Pas d'autres solutions l'action sur place

Les différentes solutions esquissées pour permettre l'accès aux populations sont soit inefficaces, soit ont fait long feu, soit très difficiles à mettre en place, selon la Commissaire. Faire des corridors humanitaires ? C'est bien joli mais pas praticable. « Regardez la carte de la Syrie, où voulez-vous les placer ? De quel endroit à quel endroit ? Comment s’assurer que ces corridors ne seront pas utilisés pour les armes ? Autant de questions qui permettent de dire que ce n'est pas une option. » D'autant que plusieurs pays membres - notamment la Russie membre du Conseil de sécurité - y sont opposés.

La pause de quelques heures dans les combats, solution promue notamment par le CICR a fait long feu. « Malheureusement cela n'a pas marché ».

Quant à la zone de sécurité (ou buffer zone), c'est l'option de la dernière chance. Mais « pour que çà marche il faut trois conditions. 1. Nous devons avoir une unanimité au Conseil de sécurité. 2 Elle doit être sécurisée et ne doit pas être utilisée à d’autres fins que l’humanitaire ; elle ne peut être une zone de repli ou de repos pour les combattants. 3. Elle doit être protégée, avec des soldats de maintien de la paix, voire une zone d'exclusion aérienne ». Autant de conditions très difficiles à remplir, voire impossible aujourd'hui. Tout le monde en est conscient au niveau des humanitaires et de la Commission européenne. « Si ces conditions ne sont pas remplies, il n’est pas possible de faire une telle zone » explique la commissaire. Mais « si la situation s’aggrave encore dans les pays voisins, il faudra bien l’envisager... »

La « seule solution » qui reste est « de fournir des secours à l’intérieur de la Syrie. Il est donc essentiel que le gouvernement comme l'opposition armée respectent le Droit international humanitaire, c’est la meilleure solution. »

Préoccupation : l'accueil des réfugiés

L'autre préoccupation de la commissaire est l'accueil des réfugiés. A l'aide de cartes, nous avons ainsi pu percevoir la rapide montée en puissance des camps de réfugiés à Al Mafraq par exemple en Jordanie. On voit sur la carte satellite fournie par le système GMES l'augmentation rapide d'un camp de toiles entre le 26 juin (date de la première carte) et le 14 août (date de la seconde carte). « Les conditions sous les tentes sont extrêmement difficiles. »

Carte satellite éditée le 26 juin (GMES / Commission européenne)
carte satellite éditée le 14 août (GMES / Commission européenne)

Mais ce qui est aussi inquiétant c'est la préparation des pays. Si la Turquie - avec des camps bien organisés - et la Jordanie - avec beaucoup plus de difficultés et l'aide des Organisations internationales - prennent l'accueil des réfugiés au sérieux, cela ne semble pas être le cas du Liban. L'accueil a « lieu dans des lieux comme des écoles. Et cela va poser des problèmes à terme pour l'éducation, à la rentrée scolaire ».

Autre préoccupation, le sort des réfugiés en Syrie. Il y a 87.000 Irakiens et 500.000 Palestiniens qui avaient été recensés vivant en Syrie.. Et leur « vulnérabilité est très forte ». La Commission européenne a débloqué un programme spécial de 6 millions d'euros pour leur venir en aide.

Les Européens premiers pourvoyeurs d'aide

Dernier souci : l'argent. L'Union européenne a octroyé à peu près la moitié de l'aide humanitaire globale : près de 146 millions d'euros sur un montant de 313 millions d'euros ; l'autre gros donateur étant les Etats-Unis, avec 64 millions d'euros. Nb : ne sont pas décomptés dans cette aide celle fournie par les pays voisins (Turquie, Jordanie, Liban) qui est importante. Au niveau européen, sur les 146 millions, la moitié environ (69 millions) l'a été sur le budget communautaire (40 + 6 millions au titre de l'aide humanitaire et 23 millions d'euros au titre de l'instrument de voisinage) et le restant fourni par les Etats membres, essentiellement le Royaume-Uni, la Suède et l'Allemagne.

Une bonne partie de l'aide communautaire (les 40 millions d'euros) transite par l'intermédiaire des organisations internationales (10,6 millions pour le PAM, 9,6 millions pour le HCR, 6,2 pour la Ficross et le croissant rouge syrien, 5 millions pour le CICR, 1,5 million pour l'UNRWA chargée de l'aide aux réfugiés palestiniens, 1,4 million pour Danish Refugee Council (DRC), 1 million pour l'Unicef, idem pour Action contre la Faim Espagne et Première Urgence – Aide Médicale Internationale, 800.000 euros pour Handicap international, etc.)

7 pays (Autriche, France, Hongrie, Suède, Italie, Slovaquie et Norvège) participent également à travers le mécanisme européen de protection civile à l'assistance pour les Syriens qui ont fui en Turquie, après l'appel lancé le 12 avril dernier et l'acceptation par les autorités turques des propositions de la communauté internationale de la charge. La France a ainsi implanté une unité médico-chirurgicale en Jordanie.

L'ONU a lancé un appel de fonds de fonds pour mettre en place un plan de réponse face à la crise humanitaire de 180 millions $. Mais il manque toujours des fonds. « Une aide supplémentaire est nécessaire. Et il est vital de ne pas politiser l'aide humanitaire » explique la commissaire. Au 13 août, selon les responsables d'ECHO, l'office européen d'aide humanitaire, les appels actuels internationaux n'ont été satisfaits qu'à 40%.

Lire aussi :

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®