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Chypre comme l’UE se préparent à évacuer Européens et étrangers de Syrie (Maj)

Un C130 autrichien prêt pour l'évacuation "Liban 2006 (crédit: Bundesheer)

(BRUXELLES2 à Nicosie) Chypre a non seulement la présidence tournante de l'Union européenne. Mais l'ile doit se préparer aussi à un autre évènement : une explosion en Syrie qui obligerait à faire un pont aérien pour évacuer les Européens et autres étrangers, avec l'arrivée également de réfugiés. Le souvenir du précédent de 2006 est présent dans tous les esprits. L'offensive israélienne sur le Liban pousse les étrangers à évacuer le pays, en quelques jours, en pleine saison touristique l'ile accueille alors plus de 80.000 personnes (la plupart Américains ou à double nationalité américaine) fuyant le pays du Cèdre. Et les officiels chypriotes craignent non seulement de devoir accueillir les résidents de Syrie, mais aussi une contagion sur le Liban tout proche qui doublerait les difficultés.

200.000 personnes à évacuer ?

« Nous sommes à 120 milles de la côte libanaise, ce qui ne fait que 4 à 10 heures selon le moteur du bateau » explique à B2 un officier chypriote. Et de nombreuses personnes ont la double nationalité dans ce Moyen-Orient si compliqué. L'estimation du nombre d'Européens et d'autres étrangers vivant en Syrie aujourd'hui - et qui pourraient donc être évacués - est d'environ 200.000 personnes à évacuer et relocaliser, sans compter les Syriens. Pour l'instant, le flot arrivé à Chypre reste minime : « quelques familles sont arrivés par la 'buffer zone' » selon la ministre chargée de l'Asile et de l'Immigration, Eleni Mavrou, interrogée par la presse lors de notre séjour ici. Ce sont les pays voisins (Jordanie en premier lieu, Turquie...) qui accueillent actuellement la majeure partie des réfugiés (voir ci-dessous).

... Les Chypriotes se préparent

Ironie de l'histoire : les Chypriotes avaient prévu un exercice de simulation, en octobre, pour l’évacuation de citoyens européens. « Quand nous avons décidé cela, nous pensions que la situation en Syrie était moins critique, moins intense qu’aujourd'hui et craignons de devoir organiser une réelle évacuation plutôt qu’une simulation. » explique E. Mavrou. « Nous nous attendons et préparons pour une arrivée en nombre » La situation en Syrie sera d'ailleurs à l’ordre du jour du déjeuner lors de la rencontre informelle des ministres de la Justice et des Affaires intérieures des "27", les 24 et 25 juillet à Nicosie. En attendant, les chypriotes peaufinent leur préparation. « Nous avons un plan impliquant tous les départements. » précise ainsi la ministre de l'Asile et de l'Immigration.

Selon les éléments recueillis par B2, la cellule d'alerte au niveau des Affaires étrangères coordonne l'effort de tous les ministères et structures publiques ou parapubliques (défense, protection civile, croix-rouge...). Des stocks sont en passe d'être constitués ainsi que des bâtiments ou tentes pour accueillir les réfugiés. Au ministère de la Défense, on estime que le risque pourrait se réaliser, plus ou moins rapidement, « durant l'été ou en septembre ».

L'Union européenne également...

Cette analyse est partagée, coté européen, comme a pu le confirmer B2 lors de discussions directes avec les différents responsables impliqués. « C'était l'un des objets de ma visite ici. Nous en avons parlé de façon détaillée » a ainsi expliqué Catherine Ashton, la Haute représentante, lors d'une conversation impromptue avec B2 et un autre collègue européen. Le directeur du département de la réponse de crises du service diplomatique européen (SEAE), Agostino Miozzo devrait d'ailleurs être dans l'ile, dès lundi, pour examiner concrètement avec ses homologues chypriotes les différents moyens d'action.

Du coté de l'aide humanitaire européenne, également, on ne cache pas son inquiétude. Pour Kristalina Georgieva, la commissaire en charge de l'Aide humanitaire et de la Protection civile, les chiffres de réfugiés dans les pays voisins « augmentent de façon rapide » ces dernières semaines et jours. Ce qui est un signe « inquiétant ». La commissaire s'est rendu récemment en Turquie « En trois jours, le pays (ainsi que les autres pays environnants) ont reçu environ 10.000 réfugiés de plus ». Et malgré une bonne préparation et des structures d'accueil « de très bon niveau, 5 étoiles » - la Turquie semble atteint le maximum de son effort. « Ils ont demandé le soutien financier de l'Europe ». Quant à la Jordanie, beaucoup plus discrète, elle a déjà accueilli plus de 100.000 réfugiés !

Si nécessaire, la MIC - la cellule d'urgence de la Protection civile européenne, pourrait être activée ; ce qui permettrait alors au budget européen de prendre en charge les rotations d'avions nécessaires pour l'évacuation des civils. Comme cela avait le cas lors de la crise en Libye.

Un soutien européen discret sur place

Chypre dispose pour l'organisation d'une présence européenne discrète mais bien utile pour faire la liaison. Plusieurs pays européens (ou de l'OTAN) ont sur l'ile une présence militaire permanente. La plus visible et la plus importante sont les forces britanniques - au titre des deux bases de souveraineté britannique -. Mais ils ne sont pas les seuls comme nous l'a confirmé un officiel de la Défense chypriote. Les Allemands disposent ainsi d'une unité logistique de soutien pour soutenir leur engagement au sein de la mission des Nations-Unies au Liban (FINUL II/Unifil). La France, la Belgique, l'Italie, le Canada ont aussi sur l'île de relais logistiques, principalement au niveau aérien, pour gérer leur opération et les effectifs en Afghanistan. Sans oublier les Turcs qui ne sont pas loin... Précisons que c'est à Chypre, par exemple, que se trouvent le "sas de décompression" pour de nombreux soldats - français - particulièrement de retour du front...

  • Selon le HCR, le nombre de réfugiés enregistrés (au 5 juillet) atteindrait désormais plus de 100.000 : 35.500 en Turquie, 31.000 en Jordanie, 30.000 au Liban, et 6500 en Irak. Mais ce chiffre serait sous-estimé. La Jordanie annonce en effet avoir compté déjà 120.000 Syriens. Le fait plus inquiétant est l'accélération du nombre d'arrivées. Les premiers jours de juillet, plus de 3000 Syriens sont arrivés ainsi en Jordanie, la plupart en provenance de Dar'a.

Lire aussi : la tragédie syrienne vue de Chypre

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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