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La neutralité un espoir pour l’Ukraine ?

Drapeau Suisse(BRUXELLES2) L'Ukraine devrait, peut-être, y réfléchir à deux fois avant de multiplier les gestes et demandes envers l'OTAN et la sécurité euro-atlantique. La déclaration forte du général Mykhaylo Koval, ministre de la défense, hier voulant « rejoindre le système de la sécurité collective européenne » apparait davantage comme un "bras d'honneur" à la Russie qu'une réalité géopolitique. Un coup de poker risqué davantage susceptible de fâcher le voisin russe et causer des troubles en interne que de susciter de l'aide. Car s'il est possible que différents Etats membres de l'Alliance puissent lui fournir, plus ou moins discrètement, quelques équipements militaires, envoyer quelques "experts", il y a une réalité géopolitique. L'Ukraine n'est pas membre de l'OTAN, pas prête de le devenir, et l'OTAN n'assurera pas sa défense.

L'Ukraine n'est pas membre de l'OTAN, pas prête de le devenir...

Le président américain, Barack Obama, lors de sa venue à Bruxelles en mars, l'a réaffirmé. « Neither Ukraine or Georgia are currently on a path to NATO membership and there has not been any immediate plans for expansion of NATO’s membership. (...)  I think it would be unrealistic to think that the Ukrainian people themselves have made a decision about that, much less the complex process that’s required in order to actually become a NATO member. »

L'OTAN n'assurera pas sa défense.

Si l'Alliance militaire a mis en place un mini-dispositif pour rassurer ses membres à la frontière orientale (Pologne, Pays Baltes), aucune menace « directe » n'existe cependant contre l'OTAN et ses frontières. Et aucun pays européen - même soutenu par les Etats-Unis - ne tient à risquer la vie de ses soldats pour aller maintenir l'ordre sur le territoire de l'Ukraine, en cas de risque de déstabiliser, ou le défendre directement contre des troupes russes, au cas où celles-ci seraient tentées par une intervention militaire plus directe. Avant d'escompter un quelconque soutien, le gouvernement de Kiev devrait potasser ses bouquins d'histoire et réviser ses fondamentaux de géopolitique.

La leçon de l'histoire

Si les Occidentaux ont souvent soutenu les libertés et les opposants au régime de Moscou, ce soutien n'a jamais été au-delà d'un soutien politique, économique, voire technique. Que ce soit à Budapest 1956 ou plus récemment en Géorgie 2008, il n'a jamais été question d'une intervention des armées occidentales au-delà des frontières "Est" de l'Alliance. Autrement dit, l'OTAN n'enverra pas un soldat mourir pour Kiev ou Donesk. Sur l'annexion de la Crimée, toute récente, passés les cris d'orfaie, personne ne conteste déjà plus vraiment ce coup de force de Moscou. Et tous les dispositifs européens qui vont se mettre en place - dans le cadre de l'accord d'association et de libéralisation des visas - ne prendront pas en compte les Ukrainiens résidents en Crimée.

La solution autrichienne : la neutralité

Que Kiev se déclare neutre militairement serait donc intéressant, si on écoute le ministre autrichien des Affaires étrangères, Sebastian Kurz. « Si l'Ukraine veut avoir un avenir pacifique, ce serait certainement utile. Elle aurait une chance, d'un côté de se rapprocher de l'Union européenne ; de l'autre, de continuer à travailler ensemble avec ce partenaire régional fort qu'est la Russie. (...) La politique de voisinage ne ​​devrait pas signifier que les pays devront décider entre l'Est et l'Ouest ». Et d'ajouter «  L'Autriche est un bon modèle. Elle n'appartient à aucune alliance militaire et est militairement neutre. »

Des Européens qui hésitent à recommander le modèle

Effectivement, l'Autriche est un bon modèle : la proclamation de la neutralité, garantie par une loi constitutionnelle de 1955 a permis de libérer le pays au lendemain de la 2nd guerre mondiale de l'occupation militaire des alliés tout en préservant l'intégrité du territoire autrichien. Mais cette solution de la neutralité ne recueille pas vraiment un soutien massif au niveau européen, du moins jusqu'à récemment. Un haut responsable européen a même raillé cette solution. « Du moment qu’on a signé un accord d’association, on n’est plus neutre. » Les diplomates européens se veulent plus prudents, se refusant à fixer un avis. « Nous n'avons pas de commentaire sur une idée qui circule » explique un porte-parole de Catherine Ashton, la Haute représentante de l'UE. Et la "neutralité" ne figure, du moins pas encore, dans les possibles recommandations que feront les experts européens à l'Ukraine dans ces différentes réformes.

Commentaire : Tout attentisme est une erreur. Une proclamation de neutralité, claire, sans contestation possible, dans une loi constitutionnelle, reconnue par les différents partenaires de l'Ukraine (russe, américain, européen) aurait un avantage immédiat — faire baisser d'un degré la tension — et des conséquences à moyen terme — permettre un arrimage économique et politique aux Ukrainiens. Ce serait ainsi une première porte de sortie dans la crise russo-ukrainienne. Car il y a une réalité qu'il ne vaut mieux pas oublier : si la Russie est prête à intervenir d'une manière ou d'une autre pour déstabiliser le pouvoir en cause à Kiev, les Occidentaux ne sont pas prêts à intervenir au même degré. Et il est toujours connu que déstabiliser une région est toujours plus facile que la stabiliser. CFQD

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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