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4 Rafale français présents à Malbork. Plus qu’un symbole …

Les Mig 29 polonais en démonstration "poursuivis" par les Rafale français - exercice (crédit : Ministère polonais de la Défense)
Les Mig 29 polonais en démonstration "poursuivis" par les Rafale français - exercice (crédit : Ministère polonais de la Défense)

(BRUXELLES2 à Malbork) C'est à une double cérémonie de départ et d'arrivée qui s'est déroulée en plein soleil sur la base aérienne tactique 22 de l'armée polonaise, mardi (29 avril). D'un côté, le détachement Orlik 5 - formé de 4 appareils polonais Mig 29 - s'apprête à partir pour Siauliai afin d'assurer la surveillance aérienne des pays baltes. De l'autre, 4 Rafale français arrivent en Pologne pour renforcer cette surveillance des pays baltiques. Ils seront chacun opérationnels dès demain (1er mai).

Réassurance

Cette arrivée fait partie d'une série de renforts décidés au sein de l'OTAN dans un objectif de "réassurance". Un terme, traduit de l'anglais mais emprunté au vocabulaire économique, qui comprend plusieurs volets. D'un côté, la sécurisation de la zone (l'assurance). De l'autre, la nécessité  de rassurer les pays concernés, en première ligne, et leur population, dans ce qu'il faut bien appeler un conflit, le conflit russo-ukrainien. Leurs alliés sont bien présents à leurs côtés. C'est aussi incontestablement un signe de dissuasion envers les avions militaires russes, qui tendent régulièrement à s'égarer, quelque peu, en dehors de leur route traditionnelle, surtout quand ils survolent les pays baltes. Il n'est pas inutile de rappeler que la Pologne comme la Lituanie ont une frontière commune avec la Russie, via l'enclave de Kaliningrad, tandis que les deux autres pays baltes (Lettonie et Estonie) ont également un frontière avec la Russie. Quant à l'Ukraine, Pologne, Slovaquie, Hongrie et Roumanie ont une frontière commune. Et la Bulgarie a une façade commune (avec la Mer noire).

  • Du monde sur le pont face à la Russie : 22 avions de chasse, 2 avions de surveillance. Il y a désormais du monde sur le pont entre Baltique et Mer noire face à la Russie. On se bousculerait presque même. Sur le ciel baltique, il y a aujourd'hui 16 avions d'astreinte qui peuvent assurer la surveillance du ciel ainsi que l'interpellation tactique des avions russes : les 4 Mig 29 polonais - qui assurent l'astreinte normale - + 4  Typhoon britanniques - basés à Siauliai (Lituanie), 4 F-16 danois basés à Amari (Estonie) + 4 Rafale français basés à Malbork (Pologne). Tous devraient être opérationnels à partir du 1er mai. Au-dessus du ciel roumain, on retrouve 6 avions CF-18 canadiens. A cela, il faut ajouter une surveillance aérienne plus stratégique avec notamment un Sentry E-3D britannique et un Awacs E-3A appartenant à la flotte combinée de l'OTAN et basée à Geilenkirchen (Allemagne), complétés au besoin par des appareils français ou américains.

Rassurer la Pologne... Dissuader la Russie

Ce triple objectif n'a pas été dénié par le ministre français Le Drian venu saluer sur le tarmac de Malbork les pilotes français et polonais. Cette initiative vise « à dissuader et à réassurer. Dissuader pour éviter toute intervention néfaste de la Russie. Et réassurer pour montrer à la Pologne que nous sommes un allié. »

Une relation de solidarité entre alliés

Le sens de notre relation, a-t-il ajouté, c’est « d’être présent lorsque les intérêts de sécurité de l’autre partenaire sont en jeu. Vous avez été là face aux menaces du flanc sud qui menacent l’Europe, au Mali et en République centrafricaine. Nous avons été réactifs quand le flanc Est est dans l’inquiétude. (...) La France est au rendez-vous » a déclaré le ministre Le Drian à son homologue polonais. Avant d'ajouter : « La France et la Pologne partagent une même ambition : celle de considérer que l’effort de défense est un enjeu essentiel pour nos démocraties. Les crises qui se déroulent aux portes de l’Europe nous rappellent avec force, l’impératif de la sécurité, la nécessité de l’effort, et l’urgence de la solidarité. » 

L'objectif : la désescalade

« Dans cette affaire, il faut allier fermeté et responsabilité. La fermeté, ce sont les sanctions et la présence militaire que nous manifestons ici. La responsabilité, c’est le souhait de la désescalade et de faire en sorte que les accords de Genève soient respectés et que les élections présidentielles puissent se dérouler normalement en Ukraine. Ce qui veut dire aujourd'hui la libération des observateurs de l’OSCE. » Une prise d'otages « totalement inacceptable » a ajouté le ministre (en réponse à une question de B2). « Au sens plein du terme, inacceptable » a-t-il répété. Quant aux sanctions, l'objectif est très clair selon lui. « Le but des sanctions est de pénaliser la Russie afin que l'accord de Genève puisse être mis en oeuvre. C'est évidemment la désescalade » qui est visée.

La crise la plus grave depuis les actes d'Helsinki

C'est la « crise la plus grave survenue des années, depuis la fin de la guerre froide et même plus en amont depuis les accords d’Helsinki (1975) » a souligné le ministre français « Nous sommes dans un moment grave. Nos fondamentaux sont remis en cause. » Un propos que ne renie pas le président polonais Bronisław Komorowski. Au contraire. « Nous devons faire face à l’escalade de la crise entre la Russie et l’Ukraine. Une crise « touch touch ». Pour nous, cette (présence) n’est pas seulement symbolique, c’est aussi un partage du fardeau, de la tâche. »

Soyez vigilants !

Briefant rapidement les équipages, le général Mercier, chef d'Etat major de l'armée de l'air française, leur a d'ailleurs rappelé combien cette « mission est importante vu le contexte de sécurité », rappelant au passage la longue « tradition de collaboration entre les armées de l'air française et polonaise qui remonte à la 1ère guerre mondiale », quand des conseillers français aident à reconstruire l'armée polonaise (NB : l'armée bleue de Haller notamment). « Soyez vigilants » leur a-t-il lancé avant de reprendre l'avion avec le Ministre à destination de Paris pour un sujet moins enthousiasmant (le pacte de stabilité et les restrictions budgétaires).

  • L'Europe a produit une période de stabilité. Auparavant, avec les journalistes, le chef d'Etat major de l'armée de l'air avait évoqué un autre souvenir, celui du posé d'avions Mirage 2000, en république Tchèque, juste après la chute du mur de Berlin. « J'ai vécu le passage de la guerre froide à l'après guerre froide. On a retrouvé alors des aviateurs qui avaient les mêmes motivations que nous de l’autre côté. Notre amitié s’est construire très rapidement. (...) On parle beaucoup de choses qui ne marchent pas en Europe. Moi je vois une chose qui marche, une Europe qui a permis d’avancer avec beaucoup plus d’amitié entre tous les peuples et une période de stabilité qu’on n’a jamais connue depuis longtemps. Et c’est une très bonne chose. »

Sous les ordres de l'OTAN

Concrètement, les Rafale - venus de la BA 113 (Saint Dizier) et BA 118 (Mont de Marsan) - seront placés sous commandement de l'OTAN comme leurs homologues polonais, britanniques. Les avions français auront normalement pour seule mission la surveillance des pays baltes et non celle de la Pologne - qui reste assurée par les avions polonais. Ils pourront aussi assurer toute autre mission que pourraient lui conférer l'OTAN. C'est le CAOC (centre opérationnelle de contrôle aérien) de Uedem aux Pays-Bas qui assurera ce contrôle. C'est lui qui donnera les ordres de mission. Et éventuellement précisera la conduite à tenir. Mais, dans tous les cas, les Français garderont une certaine autonomie opérationnelle notamment en cas de mesures de niveau 2 - c'est-à-dire de mesures contraignantes vis-à-vis de l'avion "suspect".

2 sorties par jour

Le contrat, c'est que les avions soient en l'air dans les 10-15 minutes. Ils seront « armés » a précisé le général Mercier et pourront « opérer comme ils le font au-dessus du territoire national français avec toutes les mesures (nécessaires) : « des mesures de reconnaissance ou d'identification, des mesures de contrainte ». « En moyenne, il est prévu de faire 2 sorties par jour » a expliqué un officier français à B2, soit une patrouille de deux avions. Chacune de ces sorties ne sera donc pas opérationnelle. Entretemps, les pilotes feront des « vols de familiarisation avec le terrain, d'exercices, en national, ou en multinational avec les Polonais ». Notamment des exercices de combat ou de poursuite entre Rafale et Mig 29, cela peut être très intéressant, pas seulement pour le fun... « Etre ici sur un terrain non connu de tous est intéressant. »

  • Des considérations industrielles également. Il ne faut pas le nier la présence des Rafale sur le territoire polonais est aussi un moyen de promouvoir concrètement cet appareil. La conversation entre les deux pilotes français et polonais, en marge de l'évènement, saisie sur le vif (voir photo) l'a montré. L'un démontrant à l'autre les possibilités et facilités de l'avion français. Le comparer au Mig 29, est difficile, comme l'a confié, un brin envieux, un autre pilote au damier rouge et blanc (le sigle de l'aviation de chasse polonaise) Le Mig 29 « est un appareil qui demande beaucoup d'attention. » Et même rénovée (rétrofitée), l'avionique de cet avion reste encore ancienne, un peu dépassée...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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