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Ashton, nouvelle HR, apôtre de la démocratie tranquille… et du café de la Commission

(BRUXELLES2) Bien sûr, ce n'est qu'une première présentation. Bien sûr, Catherine Ashton n'a eu que deux jours pour se préparer. Bien sûr, toute son équipe n'est pas constituée, comme elle le dit elle-même : « Je n'ai pas de bureau, pas d'équipe, de cabinet, Je n'ai pas autre chose que moi. Ce n'est pas une excuse. C'est la réalité ». Mais tout de même, après le premier "échange de vues" entre la nouvelle diplomate en chef de l'UE et le Parlement européen, on reste un peu sur notre faim.

Certes le tempo donné par le président (PPE, Italie) n’a pas vraiment permis à l'intéressée d’entrer dans les détails. En lui limitant à quelques minutes chacune de ses interventions en réponse, il n'a pas permis d'approfondir les sujets. Mais il faut dire aussi que la commissaire n'a jamais pris tout le temps imparti, prétextant cette limite de temps pour survoler tous les "vrais" sujets de relations extérieures. L'audition s'est même terminée plusieurs minutes en avance sur l'horaire prévu...

Certes les parlementaires, à vouloir balayer tout le champ des sujets, de la Colombie à la Bosnie, en passant par la Russie, l'Otan, la Somalie, le Honduras, etc. n'ont pas, eux-mêmes, facilité la consistance des réponses. Et, du coup, on est resté souvent à des banalités. De fait, Ashton avait bien appris ses « messages clés ». Elle est souvent restée le nez sur ses papiers - comme l'étudiante qui a toute une série d'anti-sèches au cas où - et les a restitués avec la conviction minimale pour que la plupart des parlementaires soient sinon heureux, du moins pas mécontents. De toute façon, les grands groupes du parlement (PPE, socialistes, libéraux) avaient annoncé la couleur : ils ne voulaient pas en découdre (voir ci-dessous). Cet échange de vues était donc un peu inutile. Il a eu, au moins, une vertu pour Ashton : permettre une répétition de la "vraie" audition qui devrait se tenir en janvier (le 11 janvier après-midi selon les premières informations). Un examen blanc en quelque sorte...

Une ambition : faire de la "démocratie tranquille"
Sa philosophie.

En une phrase, Ashton a résumé comment elle voyait son travail: Je crois beaucoup à la « démocratie tranquille », il faut construire la confiance et travailler en commun, on peut travailler sous les projecteurs ou en coulisses. Nous avons (l'Europe) une  réputation dans le monde sur nos valeurs, nous sommes le plus grand fournisseur d’aide humanitaire, de projets. »

Grands dossiers : on verra

Mais, face aux grands dossiers qui se trouvent sur sa table - Iran, Russie, Géorgie, Bosnie... - pas ou peu de réponses. "Je n'ai pas le temps d'entrer dans le détail", "J'attends la réunion...", "c'est important (ou) au coeur de mes préoccupations" ont été ses réponses favorites. Même sur l'Afghanistan, sujet du jour, elle n'a pas plus répondu. Quand j'ai pu l'approcher, à la sortie, je lui ai redemandé ce qu'elle pensait d'un "surge" civil de l'UE. la réponse a été : « On verra. Nous devons en discuter au Conseil »...

Somalie : important

Seul point où elle est allé un peu loin : la Somalie. « C'est important. Nous devons travailler avec l'Union Africaine. Il est important de stabiliser et sécuriser la Somalie. Il faut voir comment lancer et appuyer les initiatives de l'Union africaine sur le terrain ». Les initiés auront ainsi pu comprendre que l'opération de formation des soldats somaliens pourrait ainsi être la première "grande" décision en matière de PESD qu'Ashton prendra.

Autres points à signaler : sur l'Agence européenne de défense, à la question d'Arnaud Danjean (UMP) président de la sous-commission Défense, Ahston a convenu que « L'agence européenne de défense avait des succès. Mais qu'il y avait beaucoup de pain sur la planche. Et qu'il fallait resserrer la coopération. »

Au final, comme l'a, assez bien résumé, l'eurodéputée française Hélène Flautre (Verts) à la sortie de la réunion: « Mme Ashton est tout à fait compétente dans son rôle de diplomate, si diplomate et prudente qu'on ne connaît pas le fond de sa pensée ».

Une surprise politique

Là où Ashton a vraiment surpris positivement, c'est au plan politique. On sent là une certaine expérience des travées, des couloirs politiques qui est apparemment bien passée au niveau des parlementaires qui ont même applaudi à une ou deux reprises et souri à son humour un peu pincé. D'autant qu'elle a caressé les parlementaires dans le sens du poil, en soulignant, à plusieurs reprises, son désir « d'associer le Parlement européen à son travail », que rien ne serait décidé sans lui, etc... Toutes choses que les parlementaires adorent entendre. Elle a aussi répondu, sans trop de détours, à ses détracteurs sur son inexpérience, sa nationalité, son passé... devançant souvent ces questions un peu difficiles (1).

Expérience internationale

« J'imagine que ma nomination vous a fait comme une surprise. C'était aussi une surprise pour moi, mais une surprise bienvenue. Je n’ai jamais été quelqu'un qui a pris son travail de manière restreinte. J’ai 28 ans d'expérience de négociation et de défense (advocacy) de dossiers. J’espère qu’elle sera reconnue. »

Processus de nomination

« J'ai été nommée par 27 Etats membres, à l'unanimité. Ce n'est peut-être pas votre choix » répond-elle à un député (le tory britannique Charles Tannock). « Mais c'est le choix de tous les Etats-membres ». (...).

Britannique mais européenne

« Je ne suis pas une représentante du gouvernement britannique. Je l’ai déjà montré dans le passé au Commerce. Je suis pro-européenne dans mon pays et très fière d’être reconnue comme telle » a-t-elle expliqué (ce qui est somme toute courageux car proclamer qu'on est européen quand on est britannique n'est pas automatiquement un compliment).

Passé

A la question, assez attendue, du député UKIP de permanence, David Campbell-Bannerman, elle l’a touché par un pupercut à  l’estomac (pas gentil, gentil, mais nous sommes en politique) : « Nous avons partagé, monsieur, un verre de champagne à Genève, il y a quelques jours et vous avez pris soin de me prévenir de votre question. » Et toc ! Puis Ashton a attaqué la question de fond : « 1982, c’est loin. Je n’ai pas touché d’argent directement de partis communistes. J’ai fait toujours partie travailliste, et nous luttions avec des moyens démocratiques. (A la CND), c’est moi même qui ai procédé à l’audit des comptes. Nous étions jeunes. On ramassait de l'argent dans des sceaux au fur et à mesure lors des manifestations. Je ne peux pas donc dire d’où vient exactement l’argent qu'on prenait dans des sceaux ».

Commissaire avant tout

Mes collègues les commissaires

L’impression semble se confirmer… La Haute représentante a du mal à se faire à son nouveau rôle, indépendant, autonome. Elle est, avant tout, une commissaire aux relations extérieures, avec quelques outils en plus, mais n’entend pas vraiment déborder de ce rôle pour le moment. A plusieurs reprises (Moldavie, échange de données avec les USA...), elle a ainsi botté en touche et renvoyé ces sujets sur les autres commissaires. « Je dois en parler avec mes collègues » a été ainsi une de ses phrases clés.

Le café est meilleur à la Commission.

Et si on avait un doute, elle l'a tranché, de façon définitive en désignant son siège. Je « siégerai à la Commission européenne » a-t-elle ainsi confirmé. « Je sais où se trouve le café, et comment fonctionne l’immeuble, et je pas le temps de réfléchir à des questions logistiques… » a-t-elle justifié en plaisantant. « Je pourrais consacrer tout mon temps à des visites au Conseil et à des activités à l’extérieur de l’UE » a-t-elle ajouté.

Sous couvert de plaisanterie, elle répond ainsi à une question très stratégique. Commissaire, Catherine Ashton était, Commissaire, elle reste et restera (dans l'ombre du président de la Commission européenne).

(couloirs parlementaires) Ashton, un atout dans la manche du PPE au cas où ?

Les groupes politiques ont refusé de formaliser un satisfecit quelconque à l'issue de cette réunion. La question a été évoquée apparemment sérieusement entre les différents coordinateurs de groupe de la Commission Affaires étrangères du Parlement européen et entre présidents de groupe. Non que l'avis soit par trop négatif ou positif.

En fait, il s'agit plutôt d'une tactique de couloir. Les chrétiens-démocrates du PPE notamment craignent qu'en avalisant la socialiste Ashton, ils perdent toute possibilité de prévenir un dommage sur un de "leurs" commissaires. Apparemment, ils craignent notamment des attaques sur la commissaire bulgare Jeleva (la gestion du ministère des Affaires étrangères en Bulgarie est délicate et un ou deux vice-ministres sont menacés par des affaires). Ils gardent donc l'atout Ashton dans la manche. Un peu comme un "équilibre de la terreur" : si tu menaces mon commissaire, je fais sauter le tien...

Comme me l'a résumé un député au sortir de la salle, "si on veut planter Ashton, on peut le faire quand on veut, c'est facile...". Et, effectivement, passés les commentaires aimables,  les eurodéputés spécialistes des affaires étrangères sont restés vraiment sur leur faim. "Si nous avions dû donné notre avis aujourd'hui, c'est clair, elle ne passait pas" m'a confié un député.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) voir le Speech introductif d'Ashton

(crédit photo : © NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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