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Premiers détails et photos sur la capture de l’Alakrana par les pirates

(BRUXELLES2)
«Des pirates. Ce sont des pirates!»
C’est tout ce que le capitaine de l’Alakrana (1), le thonier basque espagnol capturé par les pirates vendredi matin, a eu le temps de dire par radio. L'Alakrana se trouvait en haute mer, à près de 400 miles des côtes, entre Seychelles et Somalie. Mais le thonier, qui avait ses filets jetés à l’eau, ne pouvait s'échapper. La prise de l’Alakrana s’est effectuée en un temps record, selon la presse espagnole qui rapporte les faits (EFE, El Pais, El Mundo). Il était 6h45 locales (5h45 heure européenne). L’Alakrantxu, un autre bateau de pêche de la même compagnie, Echebastar SLU, Bermeo, a entendu l'appel de détresse et a tenté de communiquer avec le navire. Mais, en vain ! Toutes les communications avaient été interrompues. Peu après, un message mail est arrivé au propriétaire du navire indiquant que l’équipage allait bien : « Nous sommes Ok ». Et c’est tout.

 

Très professionnels. Armés de fusils et de RPG, les 13 pirates qui ont donné l’assaut ont agi de façon "très professionnelle" d'après les témoignages. « Ils étaient très expérimentés. Il s’agit sans doute de la même bande que ceux qui ont capturé en mai le MV Victoria. Ou, tout au moins, ils opèrent avec le même modus operandi », explique le chef d’État-major d’opérations de la marine espagnole, Jaime Domínguez Buj. Et c’est par le négociateur, qui avait servi lors de l’enlèvement du navire allemand, qu’un premier contact a été établi. « Pour l'instant, il semble que la situation à bord doit calme » détaille Buj. « Aucun mouvement anormal n'a été observé. L'équipage serait gardé sous le pont ». Un porte-parole des pirates – joint par l’agence espagnole EFE - a justifié l'action par la nécessité de lutter contre la pêche illégale dans les eaux somaliennes.

Le bateau est suivi à la trace par les avions de patrouille maritime d’Atalanta, qui ont pu prendre cette photo. En cartouche, deux des pirates armés (©Ministerio de Defensa de España)


Une course de vitesse est engagée. La frégate Canarias - qui se trouvait à 800 miles de là au moment de l'attaque - se dirige à « grande
vitesse
» vers la zone. Selon les marins espagnols, il devrait déjà être sur zone aujourd'hui (il lui faut 35 heures pour se rendre sur place selon la marine espagnole et était à 184 miles de la zone samedi midi). L'objectif des militaires est d'éviter que le bateau de pêche ne touche terre et que les otages soient débarqués. Car, ensuite, aucune intervention ne serait possible. Le navire est suivi à la trace par les avions de patrouille d'Atalanta : les deux P3 Orion espagnol et allemand et l'Atlantique II français qui se relaient sur place. Apparemment ce sont les avions luxembourgeois qui ont été les premiers sur les lieux. C'est une de leur première sortie opérationnelle !Rançon ou intervention. Une cellule de crise, réunissant les ministères de la défense, de l’environnement et de la pêche, a été activée à Madrid, sous la responsabilité du vice-premier ministre, Maria Teresa Fernandez de la Vega. Les autorités ont deux options.
1° la négociation et le paiement d’une rançon. Ce qui a apparemment commencé à être fait. Puisqu’un premier contact a été entamé avec un intermédiaire.
2° L’intervention. Les Espagnols ont sollicité les Français pour agir en « partenariat spécial » selon De La Vega. Seuls les Français ont, en effet, à la fois l’expérience et les moyens pour mener ce type d’opérations. Mais qui ne va pas sans risque (cf. l’opération Tanit). Aussi la priorité n°1 affichée du gouvernement espagnol est la « sécurité des pêcheurs ». Tout dérapage serait en effet fatal… au niveau politique.

A l'arrière du bateau, on peut voir remorqué le skiff pirate avec les bidons d'essence et apprécier la différence de taille des deux navires, quelques mètres pour l'un, une centaine de mètres pour le second (©Ministerio de Defensa de España)

Polémique politique. Cette capture d’un navire espagnol a, en effet, déclenché une polémique en Espagne où la Ministre de la Défense, Carme Chacon, doit faire face à une double offensive. Le parti populaire, dans l’opposition, a dénoncé la "passivité" du gouvernement. Le porte-parole de défense du PP, Beatriz Rodriguez Salmon, a ainsi expliqué que «le gouvernement n'a pas agi avec diligence raisonnable dans la protection du thon» notamment parce qu’il a rejeté les dernières initiatives présentées à la Chambre des députés pour mettre des militaires armés à bord des navires de pêche. Même explication chez les nationalistes basques du PNV, qui estiment que le pouvoir central n’en a pas fait assez pour protéger les pêcheurs basques. Pour Josu Erkoreka, porte-parole du parti PNV, « Notre flotte de pêche au large des côtes de la Somalie risque sa vie alors que le ministre de la Défense joue à ne pas perdre des voix au Congrès. Ce n'est pas bien! ». Et de souligner que « la mise à bord de gardes privés (solution prônée par les ministères de la Défense et de l’Intérieur espagnols) est retardée par la paperasserie ». Les thoniers ont mis en cause l’absence de protection directe par les forces armées espagnoles dont bénéficient
les pêcheurs Français (NB : à leurs frais). Une motion législative dans ce sens, proposée par le PP et le PNV avait été rejetée en septembre par le Congrès. Le gouvernement a répliqué estimant que l’Alakrana ne pêchait pas dans la zone protégée par la force internationale. « Chacun doit être responsable de ses actes » a averti Jaime Domínguez Buj. A Londres, le QG d’Atalanta tente de faire face à la polémique, indiquant qu’il y a une étroite concertation avec les pêcheurs, un de leurs représentants étant d’ailleurs présent au QG de Northwood.Retrait par sécurité. Il y avait environ 17 bateaux espagnols qui pêchent actuellement dans l’Océan indien. Et, par mesure de sécurité, leurs propriétaires ont demandé de quitter la zone de pêche. Ils devraient se diriger vers les Seychelles où la plupart ont établi leur base pour la saison de pêche. Pour les thoniers, c’est une mauvaise donne. Selon un responsable des pêches, l’année 2009 sera moins bonne. Au lieu des 180 à 200.000 tonnes pêchées chaque année, il n’y en aurait que 120.000 cette année. Du fait des pirates…

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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