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La Chambre des communes tance son gouvernement sur la piraterie

(crédit : Royal Navy)

(BRUXELLES2) En termes politiques, c'est une sévère admonestation à son gouvernement  que vient d'adresser la Chambre des communes britannique dans le rapport sur la piraterie maritime qu'elle vient de publier. Un rapport juste à propos puisqu'il intervient alors que le Foreign office compte accueillir en février 2012 une grande conférence sur la piraterie maritime.

Un fossé entre la rhétorique et l'action

« Depuis un trop long moment, il y a un fossé notable entre la rhétorique gouvernementale et son action », est-il écrit. « La piraterie n'est pas une tâche prioritaire de la Royal Navy. » « Il est difficile de voir comment le Royaume-Uni peut continuer à jouer un rôle leader dans la réponse internationale sans avoir un engagement visible d'au moins un navire tout le temps », expliquent les députés qui s'inquiètent des conséquences de la Strategic Defense Review sur les forces disponibles.

Si le Royaume-Uni a autorisé des gardes privés armés à bord des navires marchands britanniques, « les lignes directrices publiées par le gouvernement offrent des conseils pratiques mais ne fournissent pas de ligne claire et complète sur l'usage légal de la force ». « Il n'y a aucune raison juridique à empêcher que le Royaume-Uni affirme sa compétence juridictionnelle sur des pirates suspects si aucun autre Etat n'a la volonté de le faire ». Quant au traçage et à la lutte contre le blanchiment de l'argent des rançons - environ 135 millions $ récoltés en 4 ans -, le rapport avoue sa surprise devant la « faiblesse des informations disponibles sur le financement et les profits par les pirates ». Même sur l'aide aux familles prises en otage, la Chambre des communes se montre critique, estimant que « le Foreign office devrait revoir sa communication et ses autres procédures pour apporter un soutien aux membres des familles d'otages britanniques ». Une remarque faite après avoir entendu Paul et Rachel Chandler, capturés en 2009-2010 ... Ca décoiffe !

Non content de faire cette volée de constat, les députés font aussi une série de recommandations. Parmi elles, on peut souligner :

Equipes VPD. Le gouvernement devrait examiner avec l'industrie comment celle-ci pourrait financer la présence de détachements de protection embarquée (VPD/EPE) ou de personnel militaire à bord des navires marchands. Une question souvent passée sous silence, mais une partie de l'industrie maritime britannique préférerait avoir des militaires à bord, et serait prête à payer pour cela - le ministère de la Défense rétorque par la faiblesse des moyens disponibles ;

Gardes privés. Les parlementaires soulignent combien le dispositif existant reste encore trop flou. Le gouvernement doit clarifier l'usage de la force par les compagnies privées, en précisant (comme pour les militaires), les cas où ils peuvent utiliser la force, y compris les moyens mortels, ainsi que des exemples de réponses graduées. Il doit examiner le risque qu'il peut y avoir à ce que les gardes ou le capitaine du navire doivent faire face dans un autre Etat aux suites d'un incident impliquant l'usage des armes.

Forces navales. A défaut d'avoir un commandement unifié, ce qui serait l'idéal, le gouvernement doit être « rigoureux en éliminant toute duplication entre les différentes opérations ». Les règles d'engagement doivent être révisées régulièrement pour assurer qu'elles puissent répondre de façon flexible aux tactiques des pirates. Et le gouvernement doit promettre de maintenir un engagement d'au moins un navire. (NB : on remarque que dans le tableau publié par le rapport, les Britanniques n'ont jamais mis plus d'un navire à disposition des différentes forces de la coalition - OTAN essentiellement -, ce qui n'est pas au niveau de l'effort consenti par plusieurs pays européens comme l'Allemagne, la France ou l'Espagne).

Moyens satellites. A la manière de ce qui s'est fait en Afghanistan, le rapport milite pour une utilisation de nouvelles voies de détection des skiffs, en utilisant la surveillance micro-satellite.

Poursuite en justice. C'est un des points forts du rapport - et un des points faibles de la réponse britannique. Si les députés soutiennent leur gouvernement d'avoir refusé l'établissement d'une cour extra-territoriale (comme le proposait le rapport de Jack Lang à l'ONU), ils estiment qu'ils devraient étudier les propositions plus récentes de cours spécialisées établies dans les pays de la région et fonctionnant sous le droit ordinaire. La formation de juges somaliens prendra en effet du temps (sur les 120 juges du Somaliland et les 76 juges du Puntland, seuls 5% sont formés au droit selon le rapport de J. Lang, et l'ONU qui a entamé la formation d'une vingtaine de juges estime que cela mettra 3 ans avant d'avoir des procès en Somalie qui remplissent les standards internationaux). Le rapport souligne donc que davantage d'efforts - et de pressions - doivent être faits sur les pays de la région pour qu'ils acceptent des suspects et les poursuivre devant leurs tribunaux (Kenya notamment). C'est en effet cette voie de poursuite locale qui a la « préférence » de la Chambre des Communes.

Mais les députés estiment aussi que le gouvernement doit s'assurer que tous les aspects de la piraterie internationale sont couverts par la loi britannique et devrait préciser quels obstacles s'opposent à la poursuite des ravisseurs des Chandler. Il transparait de ce rapport, en effet, que le droit britannique n'est pas tout à fait à jour : il n'a pas encore vraiment intégré dans son droit national la convention de l'ONU sur le droit de la mer. NB : Etonnamment, il est assez peu fait état dans ce rapport que le Royaume-Uni est un des seuls Etats européens à n'avoir jamais poursuivi, ou même tenté de poursuivre, un pirate arrêté par ses forces ou concernant un de ses nationaux !

Rapport à télécharger dans les Docs de B2

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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