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Reportage (exclusif) avec les avions « luxembourgeois » d’Atalanta aux Seychelles

AvionMerlinIIISEYCH-898b.jpg(BRUXELLES2 / Mahé, Seychelles) Au dehors, le bleu lagon, le soleil et les bateaux de luxe. A l’intérieur une maison, plutôt charmante, fonctionnelle, qui ressemble plus à une résidence de vacances qu’à un bâtiment de travail. Quelques ordinateurs posés sur une table, cartes et documents.

Nous sommes au PC de CAE aviation, une société privée luxembourgeoise missionnée par le gouvernement du Grand-Duché pour opérer au sein de la force anti-piraterie de l’UE « EUNAVFOR Atalanta » (*). J'ai, en effet, pu obtenir des Luxembourgeois très, très discrets sur cette participation, l'autorisation de pénétrer dans le saint des saints : le bureau-logement qui sert de QG aux aviateurs et analystes "luxembourgeois" (parmi eux beaucoup de Français ou de Britanniques).

Des "privés" aguerris

Une douzaine de personnes, pilotes, copilotes, observateurs s’y relaient pour servir deux avions de surveillance maritime « Merlin III » (un autre avion se situe en réserve). La plupart des personnes présentes sur cette mission sont d’anciens militaires, souvent français, aguerris à diverses missions d’assistance à la sécurité. Coût pour le Grand-Duché : 4 millions d’euros, selon le ministère de la Défense.

C’est la première fois qu’une société privée est ainsi intégrée dans un dispositif militaire de l’UE. Il ne s’agit pas de quelques personnes, comme parfois, chargées de l'intendance ou de la logistique, mais c’est une unité entière opérationnelle qui est confiée au privé. L'avantage est évident : souplesse, discrétion, et… rapidité de déploiement. Ainsi CAE Aviation est arrivé dans l'archipel avant la signature par l'Union européenne d'un accord SOFA avec les Seychelles. La structure civile a aussi l'avantage de nécessiter moins de formalisme et moins d'hommes qu'une structure militaire.

L'utilité de cette mission n'est plus à démontrer. Son positionnement aux Seychelles a été très utile, avec l'extension de la zone d'action des pirates somaliens. Elle a permis nombre de missions de repérage de navires saisis par les pirates, à commencer par le navire de pêche  espagnol Alakrana ou le cargo chinois De Xin Hai, de guidage des forces navales, qui ont débouché sur quelques arrestations de pirates.

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Les trois membres d'équipage concernés se rassemblent dans un coin de la pièce pour se voir décrire le plan de mission. Les différents points repères sont mentionnés : présence de navires de guerre d'Atalanta par exemple (le Bremen cette fois dans la zone), les autres avions présents (en réserve l'Atlantique II français). Et bien sûr, l’obligatoire point météo : grand beau aujourd'hui... L'équipe part sur l'aéroport, situé à quelques kilomètres de là. C'est l'avantage de ce positionnement. En quelques dizaines de minutes, l'équipage peut être en l'air. Lors de l'alerte pour l'Alakrana, en 40 minutes, l'avion était en position.

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Restent sur place au PC deux analystes qui servent d'interface entre l'avion et les QG d'Atalanta (FHQ à bord du navire ou OHQ à Londres). Ils sont chargés de préparer la mission, de transformer l'ATO (l'ordre de vol) en fonds cartographique : « on trace une flight line théorique et les points tournants (où l'avion vire de bord pour prendre une autre direction), avec repérages des points de référence dignes d’intérêts (comme les unités Atalanta) ». L'avion ne déborde normalement pas de l'ATO.

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Les liaisons avec l'avion se font par mail – selon une messagerie simplifiée – et au besoin par radio VHF. En cas de bateau suspect, un message est aussitôt envoyé – avec les coordonnées. Puis, en général, la suite se fait par phonie directe (Satacom ou VHF Marine). Les liaisons avec le PC d’Atalanta passent, en général, par le système informatique sécurisé de « chat », "Mercury", ou, au besoin, par téléphone. Chaque navire de guerre présent dans la zone se signale avec, en général, la formule usuelle du "good morning".

Sur l'écran du Macintosh un peu boosté, plusieurs fenêtres (que j'ai pu observer longuement et dont je ne peux pas tout retracer, secret défense oblige) sont affichées en même temps : le skytrack, une application web permettant de suivre l’avion en temps réel (altitude, position…) avec un fonds de carte type "google". Des messages préformatés (navire marchand, navire suspect…) ont été préenregistrés pour aller plus vite dans la rédaction et la transmission de messages. Quand un message arrive, un "bip" retentit pour avertir l'analyste de se replonger, au plus vite, sur l'écran...

Un système logiciel maison (CAE Workshop) a été conçu, qui « permet de tout gérer : les heures de vol, la documentation classifiée, le stockage des informations nécessaires à la mission, couplé à un fonds de carte (avec Geoconcept) permettant d’identifier, de façon géographique, chacune des missions. On trace les évènements pour qu’ils soient, ensuite, dans le compte-rendu » explique un des analystes d'images (IMINT).

A bord de l’avion, un pilote, un copilote, et un opérateur caméra (Senso). Mais le plus important, d’une certaine façon, c’est aussi le matériel. Les Merlin III ont une autonomie totale de 7h30 en vol (soit 6 heures de vol si on tient compte d'une réserve). Ils sont revêtus d’une peinture spéciale qui reflète moins de 20% la luminosité et l’infrarouge, assez difficile à détecter en vol.

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Ces appareils sont équipés de caméras MX 15 HD, de haute définition, qui peuvent aller jusqu’à une résolution de 50 Mo. Le tout couplé à un système de cartes numériques et à d'enregistreurs vidéo, bien utile quand il s'agit de transmettre ce qui a été vu, d'établir un rapport, voire de servir de preuve (ou de commencement de preuve) en cas de procédure judiciaire. A 2500 mètres de hauteur et 3500 mètres de distance de la "cible", on peut ainsi repérer si un homme est armé sur un bateau ou « la cigarette d'un homme ».

Dès le retour de l'avion, il y a un débriefing avec l'opérateur. « On récupère la cassette et le fichier informatique. Les images brutes sont tout de suite envoyées au QG de la CTF 465 (Atalanta). » De façon plus fine, une analyse des images est ensuite faite. Tous ces éléments (l’ATO, la flight line, les images tournées, analyse…) se retrouvent dans un rapport envoyé au QG d'Atalanta, sous forme d'un document Powerpoint.

Les "Luxembourgeois" ont peu de temps pour cela : selon le contrat, en effet, ils doivent expédier dans les deux heures leur rapport de mission. « En cas de détection positive, on envoie d'ailleurs un vidéo report avec un petit story board. La vidéo apporte un élément intéressant. On saisit plus facilement des actions, comme par exemple, le transfert d’armes sur un bateau ou le fait de se débarrasser d'armes dans l'eau. Le mouvement permet d’appréhender les détails. »

Les images sont essentielles, en effet. Elles peuvent servir de preuve, au besoin devant le tribunal pour l’inculpation, et tout d’abord pour convaincre un Etat d’accepter de traduire des suspects. Elles permettent aussi alimenter la base de données sur les navires suspects identifiés. « Les bateaux des pirates se distinguent les uns des autres. Si les skiffs sont identiques, ils ont aussi des marques, des défauts, qui permettent de les identifier. On repère ainsi des détails sur la coque, sur l’armature pour les mothers ships. On étudie les moteurs. Ainsi on peut dire avec une quasi-certitude que tel bateau est le même que celui qui a participé à une attaque ou non, ou que c'est probable », explique un des responsables de l'opération. « Nous faisons, en fait, de l'analyse de deuxième niveau ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

La société CAE Aviation, de la maintenance aéronautique aux opérations Frontex et Atalanta

Basée au Luxembourg, à Findel, CAE Aviation compte 86 employés, de 14 nationalités différentes, souvent d'anciens militaires, a un chiffre d'affaires de 13 millions d'euros (pour une société au capital de 800.000 euros). Orientée audépart dans la maintenance aéronautique, elle s'est spécialisée dans l'appui aérien pour les services gouvernementaux et ONG. Elle a notamment travaillé pour Frontex, l'agence européenne de sécurité aux frontières à Malte, en Grèce, Slovénie et Hongrie mais aussi dans des pays tiers : au Sénégal et en Mauritanie notamment, pour « remonter les filières d'immigration. C’est plus facile « pour un avion civil de faire ce travail que pour un avion  militaire » explique-t-on à CAE Aviation. « C’est plus discret. Et cela permet donc d’aller dans les pays à la source de la migration ». Elle a également opéré pour l'opération militaire de l'UE en Bosnie-Herzégovine (Althea). CAE Aviation dispose de 14 avions, avec pas mal d'heures de vols à leur actif : 4000 heures pour 2009 (3500 heures pour 2008). Elle possède également son propre terrain d’entraînement parachutistes, civil et militaire, à Lapalisse. La brigade parachutiste néerlandaise y termine son entraînement. Avantage pour les forces armées, « le coût est de trois à quatre fois inférieur à un entraînement militaire et il permet de libérer les moyens militaires nécessaires » (NB : les forces néerlandaises ne disposent que de deux avions C130, l'un est occupé par les liaisons avec Kandahar, l’autre est en révision ou en maintenance).


(*) Ce reportage a été réalisé à la mi-octobre 2009

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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