B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Piraterie maritime

P.Goossens (PAM): nous n’avons toujours pas d’escorte pour nos bateaux

Peter Goossens est coordinateur du Programme alimentaire mondial (PAM) pour la Somalie.

Vous venez de rencontrer plusieurs responsables européens de la Commission, du Parlement à Bruxelles quel est votre message ?
Premièrement, nous faisons face à une extension de la crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique. Nous avons de la nourriture pour les 3-4 mois. Mais ce qu’il faut préparer ce sont les mois suivants. Il nous faut donc 35 millions de $ par mois. Deuxièmement, vous pouvez nous donner tout l’argent et la nourriture nécessaire. Si je ne peux pas l'acheminer sur place, c’est perdu.

Il vous faut donc une escorte maritime ?
Oui. Toute la nourriture vient de la mer. Il n’y a pas d’autres possibilités pour de telles quantités. Je peux trouver facilement les cinq à quinze bateaux nécessaires pour acheminer l’aide alimentaire nécessaire. Mais aucun armateur, aucun capitaine ne veut s’aventurer près des côtes somaliennes, où les pirates font la loi, sans de sérieuses garanties de sécurité. Donc sans une escorte militaire solide.

Vous en avez une actuellement ?
Oui ce sont les Canadiens depuis la mi-août. Mais leur mission s'arrête fin septembre. Et, après, je n'ai plus personne. Les Etats européens ont été parmi les plus actifs. C'est à l’initiative de la France que les escortes ont démarré, en octobre dernier. Les Danois les ont relayé ; puis les Néerlandais jusqu’à fin juin. Sérieusement, j’espère qu’ils trouveront une solution.

Personne ne s'est proposé ?
Non. Les Allemands ou les Espagnols, Italiens, Sud-Africains, Indiens y pensent, apparemment. Mais je n’ai reçu aucune offre précise et concrète. Et la fin septembre se rapproche. je dis donc que "c’est bien de penser à nous et de vouloir nous aider. Mais c’est mieux de passer à l’acte, de vraiment nous aider". Je sais que c’est difficile, que cela coûte aux Etats. Mais je sais aussi que c’est la seule solution.

Vous n’avez pas des stocks suffisants sur place pour faire face ?
Pour quelques jours, oui. Mais si ca dure, non. Nous n’avons plus assez de nourriture sur place. Entre la mission des Danois et des Canadiens, nous avons eu six semaines d'intervalle, sans escorte. Nous avons pu trouver deux petits navires qui ont accepté de nous acheminer 9 000 tonnes. Mais ce n’était pas suffisant (et loin des 35 000 nécessaires par mois). Les stocks qui nous ont permis de tenir dans cet intervalle sont désormais presque épuisés. Et si un tel intervalle se renouvelle, nous n'avons pas vraiment moyen de faire face.

La situation alimentaire en Somalie est si grave ?
Tout dépendra en fait des pluies de l’automne (en octobre – novembre). Combien de temps cette pluie va durer et combien d’eau va-t-elle amener ? Les pluies du printemps (avril – juin) n’ont en effet pas été suffisantes. Et la situation est mauvaise depuis trois années consécutives. Si cette pluie d’automne est mauvaise encore, on aura vraiment des problèmes. Si elle sera bonne ou tout simplement normale, on pourra stabiliser la situation.

Sinon…
Ce sera la famine. Une famine comme on n’en a pas vu depuis 25 ans. On reverra les images des années 1980. Et on pourra compter les morts en milliers, voire plus. La crise est vraiment sérieuse. Il faut prendre la situation vraiment au sérieux. Et nous assurer cette escorte navale militaire dont nous avons besoin.

Vous venez de rencontrer la nouvelle cellule de coordination "piraterie" pour la Somalie (Eu Navco). Qu’est-ce qu’il en ressort ?
Nous avons discuté en termes très opérationnels et concrets du type et du nombre de bateaux dont nous avions besoin, et des différentes modalités de protection. Par exemple, des patrouilles ou des escortes navales ...

Entre les deux, vous préférez ?
Nous n’avons pas besoin de patrouilles mais surtout d’escortes (1). Nous voulons être sûr que nos bateaux arrivent. Et non d’une probabilité. Avec l’organisation et la vitesse d’intervention des pirates, le temps que le bateau patrouilleur arrive sur la zone, les pirates seront déjà passés à l’attaque. Seule l’escorte assure cette sécurité et une dissuasion suffisante. Sans elle, il n’y a aucune possibilité d’affréter des bateaux.

N’y a-t-il pas une autre alternative aux bateaux des Etats, les sociétés privées ?
Si on ne trouve pas d’autre moyen, il faudra bien y réfléchir. Mais je ne préfère pas utiliser cette solution. Je ne suis pas sûr que ce soit la solution la plus efficace. Et aussi pour des questions plus éthiques, on ne sait pas vraiment ce que ces sociétés font en dehors. Et on préfère ne pas avoir affaire à eux.

A plus long terme, quelle solution vous paraît envisageable envers les pirates ?
Je ne vois que deux solutions. Soit on attaque les bases terrestres des pirates (et tout le monde sait où elles sont). Soit on arrive à un accord global de paix en Somalie. Je ne sais pas ce qui est le plus difficile. (...) Si vous demandez mon avis personnel, je ne suis pas un expert militaire, mais l’attaque terrestre me paraît plus facile qu’un accord de paix !

Cela nécessite un accord aux Nations-Unies ?
Oui. Car la résolution du Conseil de sécurité 1816 qui permet l’emploi de la force, permet une action maritime mais pas terrestre.

(1) Une patrouille évolue dans une zone plus ou moins large, aux fins de la sécuriser et se tient prêt à intervenir dans un délai plus ou moins variable (heures ou journées). Une escorte accompagne les bateaux à protéger (par air et/ou mer), voire en plaçant des commandos d’intervention à bord des navires et a donc un délai d’intervention très court.

(NGV)

(article paru dans Europolitique le 22 septembre)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Commentaires fermés.

s2Member®