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Les conséquences du “Non” irlandais décryptées

(BRUXELES2) Voici une petite analyse des conséquences du Non Irlandais sur les changements institutionnels et qui tord le cou à quelques idées préconçues : Non le Traité de Nice n’est pas la catastrophe annoncée et ne fonctionne pas si mal, Oui l'Europe peut attendre encore quelques mois, Non la réforme institutionnelle du Traité de Lisbonne n'est pas la panacée universelle (1).

Ce n'est pas la catastrophe annoncée

Pour les juristes et diplomates européens, la non-entrée en vigueur du Traité de Lisbonne au 1er janvier 2009, (comme prévu), ne signifie pas la catastrophe. Mais juste une péripétie de plus dans une aventure européenne qui oblige chaque jour à innover. De fait, si le « Non » Irlandais pèse sur le climat politique général, il règle aussi certains casse-têtes institutionnels. Du moins, à court terme. Et comme le système actuel, modifié par le Traité de Nice, se révèle plus efficace que certains Cassandre le prédisaient, un nouveau texte n’est pas aussi urgent.

... Le Traité de Nice ne fonctionne pas si mal

Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Nice, en 2003, et l’élargissement, en 2004, le rythme d’adoption des textes n’a, en effet, pas baissé. Il est même un peu supérieur à Vingt-Sept Etats membres qu’à Quinze, rapportent des diplomates. Un certain nombre de sujets sont en effet passés en majorité qualifiée et en codécision. C’est le cas pour les fonds structurels ou les questions d’asile et d’immigration illégale. Et si les 27 sont d’accord, ils peuvent utiliser le dispositif « passerelle » pour changer les modalités du vote, sur trois sujets supplémentaires : la coopération policière et judiciaire, l’immigration légale ou l’Europe sociale.

Dans les faits, les 27 appliquent déjà un vote à « double majorité ». Et le changement des modalités de calcul, prévu par le Traité de Lisbonne, ne joue vraiment que dans une Union à 30 membres. A court terme, il change surtout le rapport de force entre Etats, donnant plus de pouvoir de blocage à l’Allemagne. Ce qui n’est pas automatiquement avantageux pour l’avancée des textes. Enfin, la création d’un groupe d’avant-garde d’Etats est désormais plus facile. Le seuil, fixé à Nice, de 8 Etats membres, étant plus facile à atteindre à 27 qu’à 15 (peut-être un premier exemple avec la procédure de divorce).

Deux casse-tête institutionnels réglés

Le report de la ratification du Traité de Lisbonne règle aussi deux casse-têtes institutionnels, pesants.

1° Les juristes s’arrachaient les cheveux pour savoir comment résoudre la quadrature du cercle : nommer les principaux responsables européens le 1er janvier avant d’avoir le résultat des élections européennes et donc la couleur politique du prochain Parlement.

2° Il permet de reporter à plus tard, une des aberrations du Traité de Lisbonne : le pays qui assurait la présidence de l’UE ne présidait en effet aucune des réunions prestigieuses (Affaires étrangères, Eurogroupe, Conseil européen) mais continuait à diriger les formations de second rang. En terme politique, ce changement aurait signifié, par exemple une présidence française, assez insolite : sans Sarkozy, Kouchner et Lagarde… mais avec Borloo, Bertrand et Hortefeux aux premiers rôles ! Un déséquilibre qui peut être très dangereux dans des gouvernements de coalition, comme en comptent plusieurs Etats européens. Enfin, il calme l'eurosceptique notoire tchèque, Vaclav Klaus, qui voulait assurer pleinement la présidence de l'UE au 1er semestre 2009.

L'élargissement pas bloqué mais compliqué

A plus long terme, la non-adoption du Traité de Lisbonne a des conséquences gênantes. Si elle ne bloque pas de nouvelles adhésions, comme la Croatie ou la Serbie, elle la complique légèrement. Chaque élargissement oblige, en effet, à adapter le nombre de sièges au Parlement européen et la répartition des voix au Conseil des ministres de l’UE. Soit des discussions houleuses en perspective. D’un point de vue « technique », en revanche, cela pose de problème ; ces dispositions figurant généralement dans le Traité d’adhésion, souvent ratifié par voie parlementaire.

Pour élargir les compétences, un problème, il va falloir "innover"

Autre conséquence, l’absence de certaines bases juridiques – pour la protection civile, les services publics ou la défense par exemple - va priver l’Union de possibilités d’action nouvelle, à moins que les juristes européens ne trouvent une parade. Ce qui ne devrait pas poser de problème. Le passé l’a déjà prouvé. Les juristes ont toujours une innovation dans la poche. La mise en place d’une politique de l’environnement, de l’agence de Défense, du Conseil européen ont été faites sur une base juridique « très artistique » !

Conséquences sur les Institutions

Le "Non" Irlandais a une conséquence immédiate : il reporte à un temps ultérieur l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (la date prévue de janvier 2009 pourrait ne pas être tenue). Ce qui a des conséquences immédiates très concrètes sur les institutions.

1) Aux prochaines élections européennes, en juin 2009, plusieurs pays verront leur nombre de sièges réduit selon les chiffres édictés à Nice ; l’Espagne et la France étant les grandes perdantes à ce jeu de chaises (pour l'Irlande cela ne change rien).

2) Chaque Etat membre n’aura plus un commissaire dans le prochain collège ; la taille de la Commission devant être réduite dès 2009 (au lieu de 2014). Les 27 doivent donc rapidement se mettre d’accord sur un dispositif de « rotation égalitaire » permettant d’assurer une « juste » représentation de « l'éventail démographique et géographique » de l'Union (voir les détails). Ce à l’unanimité… Supprimer le siège du seul commissaire irlandais est donc davantage un « propos de salon » qu’une éventualité sérieuse. (j'y reviens dans un post consacré à la Commission)

3) Le Haut Représentant aux Affaires étrangères, qui devait obtenir davantage de pouvoirs, gardera son rôle, plus humble, de monsieur « Bons offices ». Ce qui est dommage.

4) Il n’y aura pas de Président permanent de l’Europe.

Moins de postes à répartir en 2009

Dans la "chasse aux postes actuels", la présidence de la Commission européenne est donc plus que jamais, à l’horizon 2009, le poste important. On comprend donc que son titulaire actuel, José-Manuel Barroso, mène une campagne active pour son renouvellement. Ce qui ne sera pas automatiquement facile. Car dans certaines capitales, comme à Berlin, on pourrait avoir d'autres vues, estimer par exemple qu’un germanophone serait bienvenu, après 40 ans d’absence. Et à Paris, même si Nicolas Sarkozy affiche officiellement tout son soutien à Barroso "le meilleur candidat actuellement", il ne faut jamais oublier l'adjectif de temps... qui a toujours été une constante chez le président de l'UMP (pour ceux qui ont la mémoire courte, cf. à la constitution du gouvernement en France, où certains "meilleurs candidats" n'ont pas eu le siège espéré !).

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Personnellement je n'ai jamais eu le coup de foudre pour le montage institutionnel de la Constitution / repris dans le Traité de Lisbonne qui recèle autant de problèmes qu'il résout. Si on peut approuver le rôle renforcé du Parlement européen, l'élargissement de la codécision et majorité qualifiée, et surtout le rôle renforcé du ministre des Affaires étrangères, en revanche, je ne partage pas vraiment d'enthousiasme pour le système de double majorité, un Monsieur Europe, la réduction de la Commission, le rôle renforcé des Parlements nationaux, qui ne me semblent pas vraiment des gages d'avancée européenne.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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