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[Reportage] La Transnistrie, épine dans le pied de l’Europe

(B2) Petite visite discrète, anonyme, furtive (je n'avais que quelques heures avant le départ de l'avion), dans une des dernières régions européennes fermées au monde...

Regardez une carte d’Europe. Entre la Moldavie et l’Ukraine, figurera peut-être une étroite bande de territoire, autour du fleuve Dniestr, en grisé, avec un nom digne des bandes dessinées de Tintin : la Transnistrie ou Transdniestrie, selon les orthographes. Ici, depuis 1992, et une guerre « d’indépendance », fonctionne un Etat, reconnu par aucun autre dans le monde mais qui est cependant protégé par des « forces de paix » russes, bien visibles. Une situation qui confine à l’absurde. Car si « l’Etat » paraît un peu fantoche, la frontière ne l’est pas du tout, du moins en apparence. Une séparation qui n’est pas sans implication économique. L’Est transnistrien est traditionnellement industriel tandis que l’Ouest moldave est plus agricole.

Véritable frontière dans un non pays

© NGV / B2

Alors que la zone Schengen s’étend chaque jour, la « non frontière » officielle entre la Transnistrie et la Moldavie abrite un véritable poste-frontière, avec no-man’s land, fils barbelés, barres de béton et chicanes … et la présence discrète, mais réelle, des « soldats de la paix » russes.

Juste après la frontière, enfoui dans un fossé à gauche, sous un treillis, un blindé et quelques soldats russes, chapka sur la tête malgré la chaleur, veillent d'ailleurs discrètement. Mais il n’y a ni miradors ni d’armes pointées vers les arrivants.Le temps de passage est donc plutôt une question de chance, de détermination… et d’humeur du douanier.

Quinze minutes ou plusieurs heures d’attente, pour avoir un petit bout de papier mal photocopié, faisant usage de visa, avec un tarif parfois fantasque (le visa "Transit" est gratuit), dont le montant finit souvent dans la poche du douanier, confient les habitués du passage. Mis à part les minibus qui font la navette Chisinau – Tiraspol plusieurs fois par heure, peu de voitures particulières, et encore moins de camions. Ce n’est d’ailleurs pas conseillé. Les douaniers transnistriens « choyant » particulièrement ces clients.

Passée la première ville, quasiment frontière, Bendéry, la route vers Tiraspol est ensuite rapide. Quelques kilomètres avant la « capitale », une nouvelle chicane, avec char et soldats armés qui veillent, oblige à ralentir. S’il n’y a pas de barrage formel, tout est prévu pour pouvoir en quelque secondes le mettre en place.

Le communisme réel au coin de la rue

© NGV / Bruxelles2

Dans ce « drôle » de pays, la faucille et le marteau restent toujours affichés en haut du drapeau et des armoiries. Les slogans à la gloire du pays s’affichent en haut des usines ou sur les panneaux publicitaires. Il est toujours interdit de photographier tout bâtiment officiel – même le Parlement - tout comme le moindre militaire dans la rue.

Mais, paradoxalement, ceux-ci tout comme des policiers sont plutôt rares. Dans les bâtiments officiels, comme la maison des "soviets" ou le Parlement, il n’existe même pas de garde d’honneur symbolique. C’est d’ailleurs, une particularité de Tiraspol, la "capitale" de cet Etat fantoche. Seule la caserne russe, aux abords de la ville est gardée de façon visible.

Tiraspol pourrait être une ville quelconque de l’ancien empire soviétique des années 1980. Mais on y trouve une certaine modernité, qu'envierait n'importe quelle ville européenne.

D’un coté, des banques rutilantes, flambantes neuves, dont on peut se demander quelle peut être leur raison d'être ; des panneaux publicitaires annonçant le lancement d'un chantier d'immeubles flambants neufs ; des boutiques de vêtements dernier cri, qui affichent les marques les plus connues, à des prix plus proches du prix de Bruxelles, Berlin ou Paris que du niveau de vie local, avec peu de clients.

De l’autre, le marché traditionnel où l’on trouve à des prix plus démocratiques, de tout : des poulets et des pommes de terre aux meubles de maison, en passant par les vêtements, les gazinières, les pièces de vélo, les cigarettes et les journaux. Ici la campagne vient vendre ses produits et acheter ce qui lui est nécessaire.

© NGV / Bruxelles2

La population, particulièrement rurale, est pauvre

Point besoin de longue enquête sociologique pour le saisir. Ici, 10 roubles transnistriens — la « République » a imprimé son propre rouble au taux de change de 14 pour un Euro — se comptent avant de se dépenser. Les visages sont usés, fatigués, laminés. Quelques véhicules rutilants ou plus antiques circulent dans la ville.

Mais la population emprunte surtout de vieux trolleybus poussifs, un peu brinquebalants, pour se déplacer dans la ville ou de plus modernes minibus — un peu plus cher mais plus rapides et permettent d’atteindre tous les endroits du pays, qu’il s’agisse des banlieues de Tiraspol, de la campagne, voire à Chisinau (Moldavie) ou Odessa (Ukraine). Sinon comme dans toutes les villes d'Europe, dès qu'il fait un rayon de soleil, les filles sortent leurs plus beaux atours ou se prélassent sur un banc.

La frontière : un contrôle à la tête du client

Le passage retour de la "frontière" est plus folklorique. Aussitôt le douanier arrivé, surgit un véritable carnaval de passeport. Apparemment, tout est bon, ici, pour justifier de son identité.

Tous les papiers du monde...

Passeport russe, carte d’identité moldave, bout de papier transnistrien. Même un vieux passeport CCCP (URSS) en lambeau trouve, aux yeux, du douanier, gré. L’Occidental a droit à un « traitement de faveur ». Passage au poste, passeport confisqué, interrogatoire, fouille du sac... Si les questions sont rituelles, menées par un jeune agent, parlant anglais — ce qui est rare —, formé apparemment au criblage professionnel — motif du séjour, heure d’arrivée, "possédez-vous de la drogue" … — elles s’attardent particulièrement sur certaines questions, moins usuelles : type de photos prises (notamment sur les militaires), montant d’argent (devises et roubles transnistriens) possédées en liquide. Un vieux routier des douanes, parlant uniquement russe, et assis nonchalamment dans un coin de la pièce, semble avoir une visée bien claire : pour abréger l’interrogatoire, il faut sortir la monnaie.

Un contrôle minutieux... et des rires

L’interrogatoire reste cependant poli et respectueux. Et en suivant le conseil, précieux, d'un des voyageurs, « ne pas payer », et avec un peu de ténacité, et de patience, on vient à bout des dernières questions intempestives. Après 40 minutes d’arrêt, le bus peut donc redémarrer pour franchir, cette fois, un check-point … de la police moldave. Même s’il n’y a pas de contrôle frontalier a priori pour les Moldaves, ce contrôle y ressemble. Le policier fait un rapide tour du minibus pour vérifier s’il n’y a pas de produit importé en fraude, et inspecte la soute à bagages. Sans résultat.

Le minibus peut repartir, cette fois définitivement pour Chisinau. Quelques dizaines de mètres plus loin, tous les passagers se détendent bruyamment et, ressortent d’un coffre de soute, dans l’hilarité générale, les paquets plus « personnels » contenant cartouches de cigarettes ou autres produits. La « frontière » semble plutôt une perte de temps — « de la bureaucratie c’est tout » confie un passager, et une source de bakchichs —, qu’une réelle emprise d’un « État indépendant ». Du moins ce jour-là...

Un État fictif ?

Comme le confiait un diplomate européen, dans cette région, « on sent un peu l’entreprise personnelle habillée sous forme d’indépendance, doublée de la propagande ». La fiction de l’État se révèle au plan économique. Pour exporter vers l’Europe, les sociétés transnistriennes doivent être enregistrées à Chisinau. Près de 300 d’entre elles ont ainsi fait cette démarche. « La Moldavie reçoit un traitement préférentiel pour les produits ce qui est une sérieuse incitation pour les compagnies de Transnistrie à s’enregistrer » souligne la Commission européenne. Les entreprises exportent en effet beaucoup vers l’Europe, notamment de l’acier et des textiles.

Pour y aller ?

Le mieux ce sont les minibus collectifs qui font la liaison Chisinau(Moldavie)-Tiraspol (Moldavie-Transnistrie). Prix du billet très raisonnable. Durée du trajet : entre une et deux heures (tout dépend du temps à la frontière). Ambiance garantie. Et passage de la frontière "plus souple" qu'en voiture particulière. Ils se prennent à la gare routière, situé au marché de Chisinau. Liaison en bus également à partir de l'Ukraine.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Crédit Photos : © NGV - "voie de chemin de fer sur la route de Tiraspol - banque à Tiraspol - marché à Tiraspol(Transnsitrie - Moldavie)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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