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Présidence espagnole 2010: priorités intéressantes pour la défense…

(BRUXELLES2) Dans quelques semaines, l'Espagne prendra la présidence de l'Union européenne. On commence à connaître quelques unes de ses priorités (1), comme les a présentées Carmen Chacon, la ministre de la Défense, à quelques élus espagnols. On peut être rassuré. Cette présidence (comme la présidence suédoise actuelle et comme la présidence suivante, belge) a inscrit certaines avancées en matière d'Europe de la défense, de politique de sécurité et de défense commune (PeSDC).

Une Europe plus forte et plus capable

« Nous sommes attachés à une politique européenne de sécurité et de défense. » affirme Carme Chacon. Pour l'Espagne, l'Europe devrait « être plus forte, plus capable et plus efficace ». Il faut montrer une « Europe forte, une Europe plus unie et intégrée, qui peut prendre des décisions de manière efficace et aussi peser dans le monde ». Et d'ajouter : « Construire l'Europe, c’est construire la paix, disait Jean Monnet. Aujourd'hui, grâce aux progrès que l'Union fait dans la défense et la sécurité, nous pouvons dire que les paroles du fondateur de l'Europe sont plus proches que jamais d'être une réalité. »

L'application du Traité de Lisbonne

La priorité des priorités de la présidence espagnole pour la PeSDC, comme dans les autres domaines, reste la mise en vigueur et  l’application des différentes dispositions du Traité de Lisbonne. Avec cet instrument, comme le considère le Premier Ministre Zapatero : « l'Europe parle d'une seule voix dans le monde, mais cette fois d'une manière définitive ». Le chantier ouvert par le nouveau Traité n’est pas mince : haut représentant, coopération structurée, renforcée, groupe d’avant-gardes, ... (lire : Traité de Lisbonne: la PESD devient  PeSDC. Un peu plus commune ?).

Innovation et égalité

Deux principes guideront cette présidence espagnole : « l'innovation et l'égalité ».

L’innovation

« Bien que nous ayons fait des progrès substantiels dans la recherche militaro-industriel, nous avons encore à améliorer notre relation avec le secteur civil. Nous devons aussi encourager l'innovation pour réaliser des systèmes plus efficaces de la logistique, l'approvisionnement et de conception » assure Carme Chacon. Pour l’Espagne, l’innovation ne concerne pas que l’industrie. Il s’agit également d’avoir un « élan innovateur dans le domaine des opérations, dans la doctrine, et comment agir dans des scénarios de plus en plus complexes impliquant plusieurs acteurs, dont des civils, des militaires, des organismes gouvernementaux et les ONG ».

L’égalité

Tous les Etats membres sont concernés. « La notion de sécurité doit également couvrir l'ensemble des pays de l'UE, de façon que tous les citoyens européens se sentent protégés de la même manière. »

Trois priorités

Trois priorités ont été établies pour la présidence espagnole dans ce second semestre : le niveau institutionnel; le renforcement des capacités, et la consolidation de l'approche globale en temps de crise.

1ère priorité. La réforme institutionnelle

Réunions formelles des ministres de la Défense

Au niveau institutionnel, avec le nouveau Haut Représentant pour les affaires étrangère et la politique de sécurité, l’Espagne veut aussi renforcer les réunions des Ministres de la Défense. Alors que ces réunions depuis 10 ans se déroulent de manière informelle, l’Espagne voudrait les formaliser. « il semble raisonnable que les ministres de la Défense de l'Union se réunissent pour discuter et prendre des décisions sur des questions spécifiques telles que le renforcement des capacités ou de surveillance des opérations » considère Carme Chacon. « Cela permettra, entre autres de faciliter le travail des ministres des Affaires étrangères, dont l’ordre du jour est déjà saturé des questions aspects purement militaires ou de défense ». Seront-elles présidée par le Haut représentant ou la présidence tournante ? La solution n’est pas précisée (à votre avis …)

2e priorité. Le renforcement des capacités

Des Battle groups plus opérationnels et avec un QG européen

La priorité espagnole entend reprendre le flambeau de la présidence  (suédoise), et poursuivre les travaux visant à améliorer les mécanismes pour faciliter l'utilisation des groupements tactiques ou Battle  groups (lire :Des Battlegroups (un peu) plus souples d’emploi ). L’Espagne entend ainsi proposer  d’utiliser le « Centre des opérations de l’État-Major de l’UE comme Quartier général au cas où ces groupes sont activés ». « Cela  renforcerait la capacité de planification et de conduite des opérations par le Centre, en attendant qu’un jour l'Union européenne dispose d'un Quartier général propre, qui intègre les capacités civiles et militaires pour diriger les opérations ».

Premier débat sur la coopération structurée permanente

 L’Espagne veut sinon appliquer les nouvelles dispositions de coopération structurée permanente du moins entamer le débat. Ainsi «  les pays qui le veulent et satisfont à certaines exigences en matière de capacités militaires pourront les mettre ensemble et d'améliorer l'efficacité dans la gestion de toute crise de sécurité ». « Avec sagesse » la  présidence espagnole n’envisage (que) « des premiers débats sur la question, permettant aux États membres d'exprimer leur vision politique sur ce nouvel instrument pour le développement futur de cette coopération ».

Renouveler les Headline goal

L’exercice des « Headline goal 2010 » arrive à son expiration dans la seconde moitié de la l’année prochaine. Carme Chacon estime nécessaire « d'analyser les réalisations et réfléchir sur son avenir ».

Doper l’Agence de défense

L'Espagne considère que « l'Agence doit faire des progrès dans tous les domaines d'activité telles que la planification des capacités, la coopération en matière de technologie et la recherche, et la définition et le lancement de programmes de collaboration ». Le moment est propice également pour « analyser la situation actuelle en matière d’industrie de défense européenne », pour assurer une « réévaluation de ses relations avec l'Agence européenne de défense ».


3. L'approche globale dans la réponse aux crises

Formation pilotes d’hélicoptères et IED

La présidence espagnole veut approfondir le travail entamé par la présidence suédoise en matière de gestion et résolution de crises, en favorisant une synergie entre moyens civils et militaires. « Au cours du premier semestre 2010  L'Espagne essaiera de faire avancer cette question. Notamment sur la formation des équipages d'hélicoptères ». Et la Ministre de citer l’exercice AZOR 2009, un exercice d'entraînement de vol en zone de chaleur. Il est vrai que l’Espagne a un avantage, géographique et météorologique, permettant de combiner les deux terrains d’entraînement extrêmes (vol en désert et vol de montagne).

Un exercice aura lieu au mois de Juin au Centre de Formation "San Gregorio" dans les Pyrénées (lire aussi : La formation des pilotes d'hélicoptères se fera en 2010).

Autre exemple de synergie : dans le domaine des engins explosifs improvisés. L’Espagne propose un double usage UE-OTAN, de son Centre d'Excellence C-IED à Hoyo de Manzanares, pour une formation aux techniques de la désactivation.

Objectifs généraux

Dans la lignée de la déclaration sur le renforcement de la PESD adoptée par le Conseil européen en décembre 2008, l’Espagne veut aussi: « améliorer la projection de forces dans les opérations, renforcer la collecte d'informations et de renseignement spatial; augmenter la protection de la force et l'efficacité dans les opérations; améliorer l'interopérabilité et la capacité à travailler ensemble ».

Coopération maritime

Pour l’Espagne, le domaine maritime est un excellent exemple de la façon dont la politique de sécurité peut progresser « au bénéfice de tous les citoyens ». Pour cette raison, elle entend renforcer les synergies et les opportunités entre les deux principales politiques européennes - PeSDC et politique maritime intégrée de la Commission .

Coopération Otan-UE. L’Espagne envisage également « différentes possibilités d'améliorer le cadre de la coopération technique entre les deux organisations lorsqu'elles agissent dans le même théâtre ».

Les opérations

Opération Althea Bosnie : phase de réduction

La présidence espagnole aura comme tâche de faciliter la transition de la mission Althea en Bosnie-Herzégovine vers une mission non-exécutive, de dimension plus réduite que l’opération militaire en cours. Cette nouvelle mission contribuera « à former les forces armées bosniaques et conseiller les autorités de la défense du pays » et pourrait être mise en place durant « au cours du semestre de notre présidence». « Si c’est le cas, l’Espagne s’engage à apporter une contribution importante des effectifs, un pourcentage similaire à celui que nous avons maintenant dans ALTHEA » (NB : l’Espagne est un des derniers pays européens à entretenir un contingent de plusieurs centaines d’hommes dans Althea après les retraits français et britanniques et avant les retraits italiens et  bulgares).

Opération Atalanta anti-pirates, plus robuste.

Pour les Espagnols, la mission majeure demeure l’opération Atalanta, à tous points de vue – militaire (engagements de plusieurs frégates), politique (sensibilité du sujet), économique, philosophique et … médiatique. Certes la ministre de la Défense appuie la reconduction de l’opération EUNAVFOR Atalanta et l'ajout d'une disposition qui permet « d’intensifier ses actions contre la pêche illégale et à soutenir les autorités somaliennes pour leur permettre d'exercer un meilleur contrôle sur ses eaux territoriales » (lire : La prolongation d'Atalanta formalisée en décembre, les modifications...). Mais il ne faut pas se « détourner du mandat de base ». L’essentiel ne semble donc pas être là pour l’Espagne.

Pour Carme Chacon, l’opération Atalanta peut encore   s’améliorer. « L'opération ATALANTA peut et doit encore être plus efficace ». Elle prône ainsi que « les moyens sont réorientés comme une priorité vers la réduction de l'impunité des pirates dans leurs ports et des points de livraison. » « L'impunité dont jouit les pirates sur son territoire est fondée par le manque de capacité du Gouvernement fédéral de transition de la Somalie pour patrouiller dans ses eaux territoriales et arrêter les pirates. » (lire : L'opération Atalanta... pas assez efficace pour les Espagnols). Carme Chacon s’appuie sur l’Action commune pour justifier cet élargissement. « Avec l’appui des unités navales et aériennes, nous devons intensifier la surveillance et les opérations de contrôle et d'interdiction dans les ports et autres points d'embarquement de la piraterie en Somalie. Nous avons également besoin de renforcer les mesures contre les navires-mère qui permettent aux pirates d’aller au très au large, à plus d'un millier de miles de la côte somalienne ».

Opération Somalie : approche globale

L’Espagne soutient  une « stratégie à moyen terme pour soutenir le processus politique en Somalie sous les auspices de l'ONU ». Les capacités des « forces de sécurité somaliennes devraient être renforcées ainsi que les  programmes de coopération au développement qui offrent des moyens de subsistance alternatifs à ceux qui vivent aujourd'hui, de façon très rentable, de la criminalité et l'extorsion ». L’Espagne, a confirmé la Ministre, est « disposée à assumer le rôle de nation-cadre dans la nouvelle mission (européenne pour contribuer à la formation des forces de sécurité somaliennes) et à y contribuer avec un nombre important d'instructeurs ».

Deux conférences : sur la piraterie, sur la Somalie

Durant sa présidence, le ministère de la Défense envisage d’organiser un colloque de l'Union européenne sur la piraterie, réunissant tous les acteurs potentiels. L’Espagne a également proposé la tenue d'une « conférence internationale sur la Somalie sous les auspices de l'ONU, pour (avoir) une perspective globale » : soutien au processus de paix, augmentation des financements de la coopération au développement, renforcement de la sécurité en Somalie et les pays de la région pour éradiquer totalement la piraterie de ces eaux. « Si nous ne faisons pas cela, nous devrons prolonger indéfiniment l'opération maritime. » explique Carme Chacon.

En résumé: un conseil formel des ministres de la Défense, un QG bruxellois pour les battlegroups, une formation pour les pilotes  d'hélicoptères, une agence européenne de la défense dopée, la transformation de l'opération en Bosnie-Herzégovine et le lancement d'une nouvelle mission de formation des soldats somaliens, sans oublier le Traité de Lisbonne... si l'Espagne réalise tout ce qu'elle a inscrit, ce sera bien.

(1) Je l'ai déjà écrit. Mais il vaut mieux le répéter. Les présidences continuent de tourner ; seules la présidence du Conseil européen (chefs de gouvernement et/ou d'Etat), du conseil des ministres des Affaires étrangères, du conseil des ministres de l'Economie de l'Eurozone sont fixes.

(crédit photo : ministère espagnol de la Défense)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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