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Les bases françaises en Afrique européanisées ? (maj)

Les containers du camp Licorne à Port Bouet : on se croirait dans un port (Crédit : NGV / Bruxelles2)

(BRUXELLES2 à Abidjan) Piraterie pour Djibouti, destitution du président en Centrafrique, crise politique en Côte d’ivoire, avancées rebelles au Mali... les évènements des derniers mois qui se sont succédé ont prouvé l’utilité d’unités militaires prépositionnées soit pour venir au secours de forces de Nations-Unies, soit pour assurer la stabilité d'un pays ou lutter contre une menace particulière.

Le réseau des différentes bases françaises (voir ci-dessous) en Afrique a, particulièrement, prouvé son utilité dans le passé, mais surtout récemment. C’est un fait attesté par tous les observateurs comme les officiers supérieurs français, la force Serval au Mali n’aurait pas pu se déclencher aussi rapidement et efficacement sans les forces prépositionnées en Côte ivoire, au Sénégal, au Tchad ou au Gabon. Mais il importe aujourd'hui de préserver son outil ... à une heure de restrictions générales.

Un apport, indéniable, dans les opérations et dans la connaissance du continent

Pour avoir visité trois de ces bases, et constaté leur apport pratique dans certaines opérations – que ce soit d’évacuation ou de déploiement d’opérations françaises comme européennes (EUFOR Tchad par exemple), leur apport est effectivement indiscutable. Aux notions opérationnelles de prépositionnement des forces, bien présentes à l’esprit, j’en ajouterai un qui est la formation, l’acclimatation au climat, à l’esprit, aux coutumes des pays africains. Cela facilite d’autant plus l’action rapide le cas échéant.

La France peut-elle soutenir l'effort seule ?

Mais il faut aussi s’interroger sur l’avenir. Deux questions se posent. D’une part, les restrictions budgétaires qui peuvent amener à revoir le dispositif. D’autre part, la légitimité politique. Un problème qu’il ne faut pas négliger. Si aujourd'hui les pays africains sont plutôt demandeurs, leur pérennité n’est pour autant pas assurée. Comme l’explique un officier supérieur français, vieux routier de l’Afrique, « ses présences ne seront légitimes que dans l’adossement à des structures régionales (africaines). Ce ne sont pas les évacuations de ressortissants français » qui peuvent le justifier aux yeux des Africains.

Equation budgétaire et politique

On est devant cette équation : les maintenir apparaît indispensable mais la France n’en a plus les moyens seuls. On pourrait donc s’interroger si on ne devrait pas leur donner une couleur européenne. C’est fait, aujourd'hui, de manière ad hoc quand une base accueille des Européens déployés en mission (par exemple pour la base de Port Bouet qui vient d’accueillir les C130 Belges). Mais cette couleur « européenne » pourrait être plus permanente. Cela aurait plusieurs avantages.

Le double intérêt de l'européanisation

Au niveau politique, ils sont multiples, et dans les deux sens. Cela marquerait pour l’Europe sa présence, comme pour la France, qu’il ne s’agit pas seulement d’une présence historique mais de liens de partenariat privilégié.

Au niveau tactique, cela permettrait à différents contingents, de venir « tâter » le terrain africain, à moindres frais, s’entraîner dans différents lieux, leur permettre de s’acclimater, un peu comme le font les unités françaises. Cela permettrait aussi une meilleure interopérabilité en terrain extérieur aux forces européennes qui sont appelées de plus en plus à se déployer en Afrique (*).

Concrètement...

Chacun peut vouloir garder son autonomie. Mais il est plus facile sur certaines emprises de dédier un bâtiment ou un secteur européen, Ainsi les autres pays européens ne veulent pas être « mêlés » à des opérations proprement françaises et les Français pourront garder leur marge d’autonomie d’action discrète. L’association des autres pays européens peut être faite au niveau des 27 mais sans doute de façon plus facile avec quelques pays, au besoin en recourant à une structure ad hoc, type EATC. Cette ouverture pourrait aussi être utilisée pour stocker du matériel ou des équipements.

Une participation financière d’entretien des bases pourrait être ainsi demandée. Même s’il ne faut pas rêver. Chaque État serre au plus juste ses moyens. Mais, en même temps, on peut s’interroger par exemple pourquoi des militaires allemands ou espagnols (pour les supports aériens) sont logés de façon quasi-permanente à l’hotel à Djibouti (**) là où existe une base française qui pourrait, au besoin, dédier un bâtiment à l’accueil des différents Européens qui servent dans les différentes opérations anti-piraterie (CTF-465) ou anti-terroriste (CTF-150).

Le réseau français, 

Au niveau européen, la France dispose d’un réseau de bases inégalé. Entre les départements et territoires d’outre-mer (La Réunion, Martinique, Guyane, Polynésie) et les bases dans les pays tiers : Emirats arabes Unis et Djibouti, sur l’Océan indien et la façade est de l’Afrique ; Gabon, Sénégal, Côte d’Ivoire sur la façade Ouest de l’Afrique et Tchad au centre — véritable « porte-avion du désert » comme le dénomme un officier — elle dispose d’une structure permettant d’intervenir sur les trois continents. « C’est très intéressant pour dirigeants des pays de disposer de telles bases permettant d’intervenir » souligne ainsi un officier supérieur en poste à Djibouti. Mais la France n’est pas la seule à disposer d’emprises « intéressantes » : les iles des Antilles néerlandaises face au Venezuela, comme les bases militaires britanniques à Chypre face au Moyen-Orient, peuvent aussi être des vecteurs intéressants opérationnels, un jour...

(*) L’Union européenne a aujourd’hui des missions de l’Europe de la Défense, militaires ou civiles, présentes dans sept pays, bientôt dix. De l’est à l’ouest : Djibouti-Seychelles-Kenya (EUNAVFOR Atalanta et EUCAP Nestor), Ouganda-Somalie (EUTM Somalie), Sud-Soudan (EUAVSEC), Libye (EUBAM), Niger (EUCAP Niger), Mali (EUTM Somalie), Congo (EUSEC et EUPOL Congo).
 
(**) Si les Allemands ont choisi un hôtel de confort raisonnable (le Sheraton), les Espagnols jusqu’à encore récemment étaient logés au Kempinski, l’hôtel de luxe de la ville. On peut se demander vraiment si des économies ne pourraient pas être faites ! (Maj) Ajoutons que les Italiens et Suédois logent dans le même hotel. NB : de source espagnole, on précise que la négociation d'un tarif préférentiel avec l'hôtel aboutit à un prix de revient inférieur à celui de l'hôtel choisi par leurs homologues allemands. Avis à la concurrence 😉

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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