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Les accords de Londres font une victime : l’Europe de la Défense

Le General Sir David Richards, en tant que responsable de l'ISAF, avec des officiers français au Camp Bastion en Afghanistan (Crédit : ministère Uk de la Défense / : Con Coughlin)

Que penser de l'accord signé le 2 novembre entre France et Royaume-Uni ? On peut le regarder avec une lunette "rose" - et les yeux enamourés du premier rendez-vous amoureux -, ou avec une lunette noire - du vieux routier des accords internationaux qui sait très bien ce que durent ces rapprochements de circonstance -. Personnellement, j'observerai cet accord à la loupe "bleue" des engagements européens. Cet accord fait-il avancer l'Europe de la défense, à la manière de l'accord de Saint-Malo ? Respecte-t-il ses partenaires européens ? Tient-il compte des promesses, purement françaises, du président Sarkozy de renforcer l'Europe de la Défense en réintégrant pleinement l'OTAN. On peut en douter...

Lunette "rose" ...

On peut le regarder avec une lunette "rose". Cet accord est utile à l'Europe car il concerne les deux premiers acteurs "militaires" de l'Europe. C'est un fait qu'on ne peut nier. Comme les deux protagonistes le rappellent, France et Royaume-Uni représentent, à eux seuls, « la moitié des budgets de défense des pays européens et les 2/3 des dépenses de recherche et de technologie » et ils sont « parmi les rares pays à avoir la capacité et la volonté d'assumer les missions militaires les plus exigeantes ». C'est, donc, d'une certaine façon, logique pour les deux partenaires de « mettre (leurs) forces en mesure d'agir ensemble, optimiser nos capacités et mieux rentabiliser notre investissement de défense. » Ces deux grandes nations se sont d'ailleurs toujours senties, à part, dans le concert européen et unir leurs forces, la convergence politique aidant et la nécessité économique oblige, fait le rêve de Churchill devenir une réalité...

... ou lunette "noire" ?

On peut l'observer avec une "lunette noire". La coopération franco-britannique ne repose pas sur un mécanisme d'intégration très poussé. Il reste ainsi à la merci d'aléas politiques comme économiques internes. Sur nombre de sujets, les engagements pris par les deux pays sont très conditionnels et se cantonnent à une louable bonne intention, du type "on va étudier ce qu'il est possible de faire" (par exemple sur les ravitailleurs...). Et on sait quelle est la valeur d'une "lettre d'intention" si elle n'est pas soutenue par un circuit "bureaucratique". Il n'est pas sûr que d'ici deux ou trois ans, on en ait oublié certains aspects, voire que certains soient tout simplement passés par pertes et profits sous le joug d'intérêts industriels et politiques et divergents.

Sous la loupe "bleue", une première victime : l'Europe de la Défense

Dans cet accord, on peut trouver une victime immédiate : l'Europe de la Défense, telle qu'elle a été voulue et mise sur pied, il y a une dizaine d'années... justement entre Français et Britanniques. C'est même en soi un accord de Saint-Malo à l'envers.

Un accord de Saint-Malo à l'envers

Autant l'accord de Saint-Malo se voulait précurseur, d'avant-garde, ouvert aux autres Etats européens, autant les "accords de Londres" se veulent exclusif des autres nations européennes et tournés autour de projets bilatéraux. C'était d'ailleurs une des conditions mises par les Britanniques à la signature de l'accord comme le rappelait récemment Hervé Morin (1). Pas une fois, ainsi, n'est mentionnée, dans les projets envisagés, la possibilité de travailler au moins partiellement au niveau européen. Quant au paragraphe, sur l'Union européenne, c'est le service minimum : les deux partenaires disent soutenir « les objectifs et la mise en œuvre complète des décisions prises en décembre 2008 par le Conseil européen, sous la présidence française de l’UE », « encourager une coopération plus étroite et la complémentarité entre l’UE et l’OTAN » et espérer « de nouveaux progrès d’ici la fin de 2011 ».

Or si plusieurs projets (nucléaire, missiles...) peuvent se concevoir uniquement de manière bilatérale, d'autres s'inscrivent résolument dans une perspective européenne (formation A400M, communication par satellite...) et pourraient intéresser d'autres partenaires. En renforcant la coopération franco-britannique, on ôte de fait tout intérêt d'une coopération européenne sur certains de ces domaines. De même, on ne peut s'empêcher de penser que le groupe de travail franco-britannique de haut niveau, et les 100 millions d'euros mis sur la table pour la Recherche et Technologie, effectue un travail similaire à celui que pourrait remplir une Agence européenne de la Défense un peu renforcée.

Quant à la force "expéditionnaire" franco-britannique (NB : la dernière fois que ce terme a été employé, c'était pour l'intervention, ratée, à Suez), elle semble vouloir être le pendant de la brigade franco-allemande et de l'Eurocorps. Espérons, simplement, qu'elle aura plus d'avenir que quelques exercices en commun et une planification sur le papier. Si cette "force" prend l'astreinte comme battlegroup de l'UE, par exemple dans un des espaces restés libres, elle aura son utilité. Dans le cas contraire, elle n'aura qu'une utilité très limitée pour l'UE, le Royaume-Uni restant toujours réticent à l'emploi de la force dans ce cadre. On trouvera peut-être à l'employer quelque part au Moyen-Orient dans une mission de l'ONU... éventuellement.

Et une promesse non tenue

Il y a plus de deux ans, lors du sommet de l'OTAN, quand Nicolas Sarkozy et le gouvernement français entérinaient la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'Alliance, cette décision devait s'accompagner - déclaraient-ils alors - d'un renforcement de l'Europe de la Défense. Aujourd'hui, force est de constater que si la première décision est en application et a trouvé son rythme de croisière, la seconde peine à entrer en vigueur, voire n'a pas trouvé le moindre commencement d'exécution. Et l'accord signé, le 2 novembre, avec les Britanniques ne va certainement pas dans ce sens.

D'autant que le climat est pour le moins morose pour l'Europe de la Défense. Il est un fait patent aujourd'hui qu'aucun projet n'est "dans les tuyaux" sur la PeSDC. Tous les interlocuteurs rencontrés le confirment ou, au moins, ne l'infirment pas. La Haute représentante de l'UE, Cathy Ashton, semble faire de l'Europe de la défense le cadet de ses soucis (2). Ce n'est pas Londres, avec qui elle correspond régulièrement, qui va la motiver dans ce sens. Au contraire.... Résultat, les structures européennes de gestion de crise tournent, dans le vide, sans instruction ni impulsion politiques.

En cela, la décision française est, bel et bien, à la fois le manquement à une promesse mais aussi un coup de poignard dans le dos de l'Europe de la Défense qui n'avait pas besoin d'une telle traitrise.

(1) De quoi discutent réellement Français et Britanniques ?

(2) L’Economique ou le Politique comme vecteur de la politique extérieure ?

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

6 réflexions sur “Les accords de Londres font une victime : l’Europe de la Défense

  • x.delcourt

    Excellente analyse, me semble-t-il, à mettre en relation avec les résultats du mémorable Conseil européen de la semaine dernière. L’économie sous couleurs allemandes, la politique étrangère et la Pcsd montée par le Royaume-Uni. La France un pied à l’étrier de chaque cheval. Bref, le grand écart ou le grand dépècement d’Europe comme piste électorale.
    Pas vraiment tenable sur la distance, ni pour sortir dans le monde.

  • Tout à fait d’accord avec votre analyse avec néanmoins 2 remarques:
    – vous jugez l’affaire de Suez comme ratée, effctivement politiquement elle l’a été mais militairement c’est une réussite, planification franco-anglaise, opération interarmées, commandement unique…et l’armée égyptienne complètement écrasée. Si l’URSS n’avait pas menacé la France et la GB…il en aurait été différemment mais seul le résultat compte
    – je pense que la France qui a été le moteur de la PESD pui de la PSDC en est arrivée à être déçue, la plupart des pays de l’Europe n’ont plus de volonté internationale et ne pensent qu’a sauver leur industrie de défense…il est logique que France et GB agissent en cohérence. C’est aux autres pays d’Europe de se réveiller…pour l’Allemagne en supprimant par exemple ses restriction d’emploi géographiques en Astan, idem pour l’Italie pour les bombradements par avions.
    Cordialement

  • Je ne pense pas que cet accord puisse servir les intérêts de la france sur le long terme…

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