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L’Europe en proie à un Waterloo économique ?

(BRUXELLES2) Ce site fait rarement la part belle à ces questions. Mais une fois n'est pas coutume ; la crise de l'euro et ses différents rebondissements méritent une lecture attentive.

Il ne s'agit en effet plus seulement d'une question purement économique mais bien politique et stratégique. L'Europe fait face à un risque majeur : un affaiblissement notable non pas d'un pays mais de l'ensemble du continent.

L'Europe est en danger

Cet affaiblissement a une origine, un carburant : des attaques répétées des "marchés". Mais aussi un accélérateur formidable : l'imprévoyance, l'absence de réaction à la crise et les erreurs stratégiques des Européens qui se succèdent et s'empilent depuis plusieurs mois. A coté de la défaite stratégique qui se prépare, la bataille de Waterloo pourrait (presque) apparaître comme une victoire pour les Français et celle d'Austerlitz une victoire des Autrichiens. -:) S'il s'était agi d'un conflit armé, les armées européennes auraient été défoncées. On décompterait les morts par dizaines et centaines de milliers ; et la moitié de l'Europe serait "occupée".

Dans cette véritable "guerre économique", l'Europe a déjà perdu plusieurs batailles et plusieurs divisions. On peut même dire que depuis quatre années que dure la crise, toutes ses lignes de défense ont été sinon brisées, du moins sérieusement enfoncées, contournées, à peine édifiées, obligeant à remettre en place une autre ligne de défense. On a l'impression que les Européens s'acharnent encore à réparer le plâtre de leur ligne Maginot alors que les ennemis franchissent allègrement la frontière par les autres côtés.

Imprévoyance

Que n'a-t-on pas entendu en effet pour se dédouaner de toute action ? La première ligne défense était : l'Europe n'est pas concernée par ce qui se passe aux États-Unis (la crise des subprimes). Elle n'a pas la même structure économique et de prise de risques. Une ligne qui s'est modifiée par la suite : en soulignant combien les banques européennes étaient peu exposées aux mêmes risques. Quand la crise a commencé à gagner le continent européen, et ses banques, à commencer par le Royaume-Uni, on a considéré qu'elle était limitée à quelques établissements, mal gérés. Et c'était la proximité des banques britanniques et américaines, leur interpénétration qui entraînaient leur crise. Idem quand la crise a concerné l'Irlande (proximité avec le Royaume-Uni, les Etats-Unis, etc.).

Quand la crise a atteint la Grèce... ce sont la falsification des chiffres, la mauvaise gestion du pays, de l'économie qui ont été mises en avant. La crise n'était d'ailleurs que passagère, précisait-on. Et d'ici 2010 et 2011, la croissance économique allait reprendre le dessus. Un expert de Bercy (dont je tairais le nom par charité), que j'avais interrogé, m'avait fait comprendre combien ils étaient sûrs de la reprise et que les quelques doutes qui pouvaient s'exprimer reflétaient un certain pessimisme et des notions d'économie qui n'étaient pas "up to date"...

Quand la crise a commencé à s'étendre à l'Espagne, au Portugal, on a aussi doctement expliqué que, pour l'Italie, cela ne risquait rien car la dette n'était pas exposée sur le marché mondial et détenue en grande partie par les Italiens eux-mêmes, etc...

Impéritie

Les dirigeants européens ont non seulement empilé les erreurs les unes sur les autres. N'ayant pas bien saisi ou voulu faire comprendre la gravité de la crise, ils ont mal préparé leurs populations à accepter des mesures plus drastiques qui révolutionnent leurs comportements. Ce, dans tous les pays. La mise en place d'une administration fiscale robuste et efficace dans un pays qui en est dépourvu (Grèce) ne peut se faire en quelques semaines. La mise en place de mécanismes de solidarité plus puissants, et le revirement sur une constante constitutionnelle et culturelle - la non intervention des autorités européennes et le fonctionnement de la planche à billets (Allemagne) - ne peut se faire en un seul discours. L'acceptation d'un mode de gouvernance plus fédéral, et non pas fondé sur des a coups politiques. Etc. Tout cela nécessite un peu de temps, des explications qui ne sont pas venues. Dans toutes les mesures prises, on n'a pas ou très peu tenu d'un facteur, pourtant essentiel, la population, et son avatar, la démocratie.

Erreurs à la pelle

Les dirigeants européens ont multiplié les sommets à courte vue, avançant mesure(tte) par mesure(tte), qui n'avaient même pas le temps d'être mises en place qu'elles étaient déjà dépassées. Il a fallu plusieurs mois pour mettre en place un fonds européen de stabilité financière qui n'était pas doté suffisamment alors que la crise avait déjà gagné plusieurs pays ; plusieurs années pour aboutir à un timide encadrement des agences de notation (et encore n'est-il pas en vigueur) à une semi-interdiction des systèmes spéculatifs tels que les achats à découvert ou CDS. Encore aujourd'hui, les dirigeants rechignent à passer à des mesures assez drastiques. La Banque centrale européenne reste interdite de prêter aux États. Les agences de notation, laissées à l'air libre, ne sont pas sanctionnées quand elles commettent des erreurs graves. La mise en place d'eurobonds n'a pas encore été lancée. Et on repousse la mise en place de dispositifs un peu plus contraignants comme la taxe sur les transactions financières ou l'interdiction de notation des dettes souveraines des États sous aide. Les pays - et les populations - les plus riches se croient protégés des dangers qui menacent les pays les plus faibles et rechignent toujours à un effort. Etc.

Le changement de braquet

La convocation des sommets à répétition et les petits changements à courte vue semblent avoir vécu. Après la Belgique, dégradée, ce devrait être le tour du noyau dur : les Pays-Bas, puis la France et l'Allemagne. La prévision politique devrait prendre en compte cette hypothèse et développer les instruments en conséquence. Il faut adapter le mécanisme institutionnel à la crise. Cela ne nécessite aucun changement institutionnel. On peut penser qu'une réunion continue des dirigeants européens, jusqu'à trouver un accord complet qui ne prévoit pas une solution pour la crise qui précède mais pour les suivantes. En prévoyant le pire.

Une dimension démocratique sous-estimée

La dimension démocratique, et explicative, ne devrait pas être laissée pour compte comme aujourd'hui. Cette réunion devrait être suivie, ou interrompue, par la réunion en urgence des différents parlements dans les pays concernés ainsi que du Parlement européen pour permettre d'entamer la discussion sur les modifications nationales nécessaires à la transposition de ces mesures. Le modèle, développé par Angela Merkel avec une réunion du Bundestag entre deux réunions du Conseil européen (en octobre), ne devrait pas être critiqué mais développé et amélioré. On perdra quelques jours ou quelques semaines qui seront regagnées ensuite. Certaines mesures devront sans doute être retravailler. Mais c'est le prix de la démocratie. Et de l'efficacité. A quoi sert de décider rapidement si les mesures mettent ensuite 1 à 3 ans à être appliquées.

Sérier les sujets

Les sujets devraient être aussi sériés selon leur priorité. Les Européens devraient aussi se concentrer sur une régulation plus stricte du système financier, un encadrement des agences de notation qui reste encore lâche aujourd'hui. Il est assez étonnant que "l'erreur" de notation de Standard and Poor's vis-à-vis de la France ait donné lieu à autant de mansuétude. De nouvelles ressources basées sur de nouvelles accises - qui ne soient pas celle du travail - devraient être trouvées. Enfin, le système des plans d'austérité à répétition me semble aussi condamnable, sinon condamné. A force de serrer la vis, on serrer la croissance, et on augmente la dette. On est en passe de mettre autour de plusieurs pays européens le noeud qu'on a coulé autour de la Grèce. Résultat: au lieu d'une dette de quelques dizaines de milliards, c'est en centaines de milliards que l'on évalue maintenant son montant.

Attention à la crise de confiance

Aujourd'hui, l'heure n'est plus à la tergiversation. L'Europe est en danger ! Mais d'abord d'elle-même. Si les leaders européens ne réagissent pas avec plus de verve, d'intelligence, et de savoir-faire, d'explications et de compréhension, la crise continuera de nous occuper de longues années. L'affaiblissement ne sera pas alors passager mais pourrait se prolonger. Le continent sera à la merci du premier venu, du premier régime autoritaire ou extrémiste né de la crise. Car il se doublera d'une crise de confiance, d'un schisme entre une partie de la population, notable, majoritaire, qui ne comprendra plus le projet européen et ses leaders. A la crise économique s'ajouterait alors une crise politique.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “L’Europe en proie à un Waterloo économique ?

  • Bon article, qui correspond bien au sujet de la “géopolitique”, puisque c’est l’Allemagne qui essaie de rafler la mise. Je crains que Belrin n’est pas disposé a faire bcp de compromis, comme j’ai expliqué sur mon propre blog http://lostineurope.posterous.com/der-deutsche-moment (en allemand)

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