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La crise économique atteint les budgets de défense. Le Parlement sonne l’alarme

(BRUXELLES2) Quel impact la crise économique a sur les budgets de défense ? La question hante tous les militaires et les industriels du continent. Sans aucune exception. Car aucun pays ne semble épargné par les reports ou suppressions d'investissements, fermeture de casernes, diminution des effectifs quand ce n'est pas le licenciement sec ou la fin de contrats de plusieurs centaines de militaires, civils ou contractuels, sans oublier les répercussions pour l'emploi dans l'industrie. La question suscite aussi de l'inquiétude au Parlement européen qui doit adopter un rapport d'initiative, préparé par le polonais de la plate-forme civique, Krzysztof Lisek, et qui sera adopté en commission ce 17 novembre (en plénière en décembre). Le parlement s'inquiète « des coupes sans précédent opérées dans les budgets de la défense, trop souvent mises en œuvre au coup par coup, avec peu ou pas de coordination avec les partenaires de l'UE ou de l'OTAN ». Ces coupes budgétaires non coordonnées « risquent d'entraîner la perte totale de certaines capacités militaires en Europe ».

Un rappel au règlement

Le Parlement s'alarme également de « l'actuelle dépendance disproportionnée vis-à-vis des États-Unis dans les affaires liées à la défense » Les USA contribuent à 75% des dépenses de défense totales de l'OTAN, précise-t-il. Les États membres dépensent collectivement environ 200 milliards d'euros par an pour la défense, « soit à peine un tiers du budget américain de la défense ». Il appelle ainsi tous les États membres de l'Union à « assumer pleinement leur part de responsabilité dans la paix et la sécurité de l'Europe, de son voisinage et du monde dans son ensemble ». Chaque Etat s'est engagé « dans le Traité et dans les conclusions du Conseil européen notamment, à renforcer leurs capacités militaires ».

Seul moyen : changer de méthode, travailler plus en commun

Pour les eurodéputés, la seule « façon d'aller de l'avant » repose sur « une coopération accrue ». Ils proposent de mettre en place une nouvelle démarche : une meilleure coordination de la planification de la défense, ce qui inclut l'harmonisation des exigences militaires, la mise en commun et au partage de certaines fonctions et moyens, une coopération améliorée dans la recherche et le développement technologique, la collaboration et de la consolidation industrielles, l'optimisation du processus de passation des marchés et à la suppression des entraves au marché. L'Union européenne ayant en la matière « des outils et des mécanismes qui peuvent aider les Etats membres à atteindre cet objectif », notamment en « identifiant les domaines qui pourraient bénéficier de fonds européens accrus ».

Un semestre européen de la défense

Le Parlement demande aux Etats de procéder à des « examens systématiques de la sécurité et de la défense selon des critères et un calendrier communs ». Mais pas seulement. Il veut aller plus loin et suggère d'en faire un « exercice régulier lié aux procédures budgétaires, à l'instar d'un "semestre européen" des examens de la sécurité et de la défense » à l'image de ce qui se fait en matière économique et sociale. Dans l'esprit des parlementaires, c'est l'Agence européenne de défense qui aurait un rôle moteur dans cet exercice.

L'agence européenne de défense chargée de définir l'utile et l'inutile

Dans une première étape, les États membres soumettraient « pour avis » leur projet d'examen de la sécurité et de la défense nationales à l'Agence, laquelle les évaluera à la lumière du plan de développement des capacités, des plans des autres États membres et des initiatives pertinentes de l'OTAN ; estime qu'à très court terme, l'AED pourrait également jouer un rôle important dans la définition des priorités en matière de capacités et dans l'identification des « répétitions inutiles au niveau des capacités des États membres ».

Supprimer le superflu

La prochaine étape pourrait passer par « un processus de consultations mutuelles des États membres en vue d'harmoniser leurs exigences militaires ». Le Parlement estime que les États membres devraient profiter « de ce processus pour évaluer également les surcapacités existantes, surtout en ce qui concerne les ressources matérielles et humaines moins prioritaires sur le plan opérationnel ».

La mise en commun (pooling) n'est plus un choix

Le Parlement se montre « fermement convaincu que la mise en commun et le partage des capacités ne sont plus une option, mais une nécessité ». Il estime que plusieurs secteurs peuvent être au coeur de cette mise en commun : « le transport stratégique, du soutien logistique, la maintenance, les capacités spatiales, le soutien médical, l'éducation et la formation ». Tout comme les Etats ont intérêt à rechercher en commun comment résoudre les déficits de capacités : le ravitaillement en vol, la surveillance maritime, les véhicules aériens sans pilote (UAV), la protection CBRN (chimique, biologique, radiologique et nucléaire), la lutte contre les engins explosifs improvisés, la communication satellitaire, les capteurs et plateformes de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (RSR) et les systèmes de combat et d'information.

Plusieurs modèles existent pour cette coopération, détaille le rapport qui ne se contente pas de généralités mais donne quelques exemples concrets qui pourraient/devraient être mis en coopération :

- la propriété conjointe (à l'image de Galileo, par exemple les capacités spatiales, les drones, les avions de transport stratégique) ;

- la mise en commun de moyens détenus nationalement (à l'image de l'EATC, par exemple hélicoptères de transport, les avions de patrouille maritime et les moyens d'évacuation par mer) ;

- la mise en commun de l'acquisition de biens (à l'image de l'A400M) ;

- le partage des rôles et des tâches (par exemple, les académies militaires, les installations d'essai et d'évaluation et des installations de formation des pilotes, les unités CBRN les avions sanitaires).

Passer des alliances

La coopération peut passer par des alliances bilatérales. A l'image de l'accord franco-britannique, les eurodéputés pourraient appeler au lancement d'autres projets de coopération, notamment parmi les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Rép. Tchèque et Slovaquie). Mais, plus généralement, les Etats doivent « exploiter le potentiel offert par l'Agence en termes de soutien administratif et juridique et à lui confier la gestion de leurs initiatives de coopération ».

Miser sur la recherche et le technologie (R&T)

Les parlementaires estiment que les États membres devraient « exclure absolument la R&T de leurs coupes budgétaires ». Ils esitment qu'un certain nombre de projets (protection CBRN, avions ou bateaux sans pilote, surveillance maritime, cyberdéfense, lutte contre les IED...) ont des aspects civils comme militaires et souhaiteraient que l'agence européenne de défense et la Commission européenne travaillent ensemble.

Trouver de nouveaux financements

L'objectif est de pouvoir utiliser davantage les fonds européens, en les fléchant davantage vers des projets de défense. Il faut d'ailleurs « trouver de nouvelles formes de financement européen » dans le prochain cadre financier pluriannuel. Le programme Erasmus militaire devrait ainsi pouvoir être financé par le budget européen à l'image de son grand frère civil.

Un quartier général est nécessaire

Enfin, ce n'est pas la première fois que les parlementaires le disent. Mais ils enfoncent, à nouveau, le clou en axant. « La création d'un quartier général de l'Union européenne ne renforcerait pas seulement la capacité de l'Union à soutenir la paix et la sécurité internationales, mais entraînerait également à long terme des économies pour les budgets nationaux grâce à la mise en commun et au partage ». Et le rapport d'appeler la Haute représentante « explorer les options juridiques existantes pour établir une capacité européenne permanente de planification et de commandement militaires de ce type ».

Télécharger le projet de rapport : docs de B2

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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