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La coopération franco-britannique sur le nucléaire, dans le détail

La fin des explosions en atmosphère (ici à Mururoa) oblige à recourir aux simulateurs, comme à Valduc (crédit : Service Historique de la Défense - SHD, droits réservés)

(BRUXELLES2, analyse) Après les grandes effusions du renouvellement de l’amitié franco-britannique, on entre dans le détail des projets. La coopération dans le domaine du nucléaire est un des domaines les plus sensibles qu’il soit, à la fois en termes opérationnels (confidentialité des tests) comme de responsabilité (que faire des déchets ? que se passe-t-il en cas d’accident ?…) et d’espérance d’économies. Un traité spécifique – comprenant une vingtaine d’articles – qui répond à toutes ces questions, est en passe d'être ratifié. Le parlement français a, de son coté, approuvé cette ratification (la loi est parue au JO du 28 mai dernier) et examiné certaines des questions les plus litigieuses.

Deux projets

Le programme prévoit deux projets : la construction et l’exploitation conjointe d’une installation radiographique et hydrodynamique dénommée ÉPURE, construite sur le site de Valduc de la direction des applications militaires du CEA (CEA-DAM), et un programme commun de technologies radiographiques et diagnostiques dans une installation commune dénommée « Centre de développement technologique TEUTATES ».

le centre de Valduc (crédit : CEA)

L’installation EPURE

Les expériences réalisées sont des expériences de simulation. Une épreuve devenue primordiale pour les pays signataires du traité d’interdiction des essais nucléaires (TICE) qui « ne peuvent plus vérifier l’efficacité d’un mécanisme nouveau par un essai réel (et) doivent désormais se contenter d’une validation par la simulation ».

EPURE sera constituée à terme par « une plate-forme d’expérience (dite pas de tir) autour de laquelle se trouveront trois machines radiographiques ainsi que par un deuxième pas de tir associé à des moyens de mesure plus légers que le premier et qui permettra de réaliser des expériences de physique des matériaux ».

La première machine radiographique proviendra de l’accélérateur à induction de radiographie pour l’imagerie X (AIRIX) du site de Moronvilliers. Une seconde machine radiographique sera construite par le Royaume-Uni, d’ici 2019 ; et une troisième machine construite en commun par la France et le Royaume-Uni d’ici 2022.

L’intérêt ne réside pas que dans l’économie de moyens, comme le précise le rapport de l'Assemblée nationale. « Alors qu’il n’y a qu’une machine radiographique dans AIRIX, il y en aura trois dans ÉPURE, ce qui permettra d’effectuer des radiographies sous trois axes de vue différents. Il sera donc possible, si l’on effectue les radiographies en même temps, d’obtenir une vue tridimensionnelle et interne de l’objet expérimenté ou, si l’on effectue les radiographies à des temps différents, de suivre l’évolution temporelle. »

Outre les deux plates-formes de tir et les machines radiographiques, qui correspondent à la partie commune de l’installation, ÉPURE comprendra des locaux propres à chaque pays où les équipes pourront, « en toute souveraineté, préparer les dispositifs expérimentaux et les placer dans des cuves étanches qui assurent un confinement total des produits de l’expérience ». Ces locaux propres incluent également « des espaces de bureaux et des systèmes d’acquisition des mesures réalisées pendant les expériences ».

Un laboratoire commun

Un programme commun de technologies radiographiques et diagnostiques dans une installation commune dénommée « Centre de développement technologique TEUTATES. Cette installation (dite « TDC ») sera construite au Royaume-Uni sur le site de l’Atomic Weapons Establishment d’Aldermaston. TDC sera constitué d’un laboratoire et de locaux de bureaux associés. Des chercheurs français et britanniques y travailleront, l’objectif de l’AWE et du CEA étant d’y rassembler les équipes et d’y constituer une équipe de recherche- développement de niveau mondial. TDC doit être mis en service d’ici 2014. L’installation abritera entre 2015 et 2017 la machine radiographique de conception britannique qui constituera, à partir de 2017, le second axe de visée radiographique d’ÉPURE. Par la suite, la machine radiographique franco- britannique y sera élaborée.

 

Economies à la clé : 450 millions sur la période

La réalisation d’infrastructures communes devrait permettre – selon l’étude d’impact - un partage des coûts et une économie de 450 millions d’euros pour chaque pays sur la période : 200 millions d’euros pour la période 2015-2020, de 200 à 250 millions pour la période après 2020. Pour mémoire, le maintien d’une capacité nucléaire militaire représente un « effort annuel de l’ordre de 3 milliards d’euros pour le Royaume-Uni et de près de 3,5 milliards d’euros pour la France ». NB : L’économie réalisée est donc relativement faible, ramenée par an, de l’ordre de moins de 40 millions d’euros annuel, dans la phase de montée en puissance, beaucoup moins ensuite.

La répartition des charges est fixée. La France prend en charge les coûts de la phase 1 de l’installation ÉPURE, le Royaume-Uni ceux de l’installation TDC. À partir du 1er janvier 2015, les parties partagent à parts égales les coûts et les bénéfices résultant de leur participation au programme commun, y compris tous les coûts administratifs et indirects associés, à l’exception des travaux entrepris exclusivement dans le cadre de programmes nationaux.

Précisons que les entreprises françaises et britanniques et européennes bénéficient « des mêmes possibilités de soumissionner à tous les contrats liés à l’installation TDC ou à la Phase 2 de l’installation ÉPURE ».

Un cycle de vie au long cours

Le cycle de vie total, y compris la conception, la construction, l’exploitation, l’arrêt définitif et le démantèlement, des installations ÉPURE et TDC est de 50 ans, qui se décompose en trois phases : 10 ans de construction, 25 à 30 ans d’exploitation et 10 ans de déconstruction. Le démantèlement de l’installation est donc prévu entre 2065 et 2081.

 

Le respect de la confidentialité

Bien que les installations soient communes à la France et au Royaume-Uni, le traité assure l’indépendance des expériences réalisées par chacune des deux parties. Le Royaume-Uni n’aura pas accès aux travaux réalisés par la France et inversement. La configuration des bâtiments permettra d’assurer cette indépendance. Ainsi, « le hall d’assemblage français ne sera accessible qu’au personnel français ». Et vice-versa.

Si les autorités de sûreté française et britannique pourront inspecter conjointement, pour les installations situées en France, les locaux du Royaume-Uni afin de s’assurer qu’ils sont conformes aux exigences de sûreté, l’autorité de sûreté française n’aura accès à aucune information sur les édifices expérimentaux britanniques ». Et les personnels britanniques « n’auront pas accès aux autres installations du site de Valduc ». L’ÉPURE sera « située dans un espace spécifique, séparé par une clôture réglementaire du reste du centre du CEA ». L’accès à ÉPURE ne donnera accès pour les Britanniques qu’à la cantine du centre et au centre médical.

Pas de partage d'informations

Les modalités de validation et les procédés de tests pourraient être échangés entre la France et le Royaume-Uni sans que les deux pays aient besoin de communiquer des informations liées à la technologie nucléaire. Il s’agirait bien « de discussions portant sur des protocoles scientifiques et sur une démarche plus que sur une technologie. » En revanche, à plus long terme, rien n’interdit « un partage d’expériences de physique fondamentale ». Un partage qui « n’est pas identifié à l’heure actuelle » précise le rapporteur de l’Assemblée nationale.

Des tests avec des matériaux de substitution

La plupart des expériences utiliseront des matériaux de substitution au plutonium (comme le tantale, le plomb ou l’uranium appauvri). Dans les quelques cas où les matières nucléaires seront utilisées, « il s’agira d’expériences sous-critiques où les quantités de matière fissile qui seront utilisées seront très basses afin de garantir qu’il n’y aura aucun dégagement d’énergie nucléaire. Aucune arme nucléaire ne sera jamais testée au sein d’ÉPURE ou de TDC. (...) Il n’y aura pas de reproduction contrôlée d’explosions nucléaires. »

Responsabilité pour les dommages nucléaires

La responsabilité civile pour des dommages nucléaires résultant d’opérations menées dans l’installation ÉPURE relève du CEA en sa qualité d’exploitant nucléaire. Cependant, le CEA dispose d’un droit de recours à l’encontre du Royaume-Uni si l’incident ou le dommage est imputable à une négligence ou à une violation des obligations légales, des règlements ou des procédures par le personnel du Royaume-Uni.

Déchets

Les déchets provenant des essais et expériences demeurent la propriété et la responsabilité du pays d’origine. Les déchets provenant des essais réalisés par le Royaume-Uni dans l’installation ÉPURE lui sont restitués après traitement et conditionnement. Et la réciproques est vraie, pour les déchets provenant des opérations françaises dans l’installation TDC qui « sont restitués » à la France.

En général, il s’agira « très majoritairement de mélanges entre les résidus de la détonation de l’explosif (produits à base de carbone, d’azote d’oxygène et d’hydrogène) et les matériaux de substitution (plomb, tantale, acier). Il ne s’agira pas de déchets nucléaires ». Tous ces matériaux seront « confinés dans les cuves expérimentales qui seront nettoyées et les déchets seront évacués comme des déchets ordinaires ». Pour les quelques expériences où l’on utilisera des matières nucléaires, « celles-ci seront extraites dans une partie spécifique de l’installation ÉPURE et les cuves pourront être évacuées dans une dépose existante. Une installation de traitement des déchets sera mise en place à partir de 2022. »

Autres cas de responsabilité

« En cas de dommage causé à des biens ou de blessure ou de décès résultant d’un acte ou d’une omission volontaire ou d’une négligence grave » commis par l’une des parties, son personnel ou ses agents, cette partie est « pleinement responsable de la satisfaction ou du traitement du toute demande d’indemnisation ».

Dans les autres cas, la responsabilité en cas de blessure ou de dommage causé à des biens résultant d’ « opérations britanniques menées par le personnel britannique soit dans la zone du Royaume-Uni, soit dans les zones communes de l’installation ÉPURE ou dans l’installation TDC », relève du Royaume-Uni exclusivement. Et vice-versa pour la partie française.

Télécharger le rapport dans la section « Docs de B2 »

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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