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La dernière ligne droite pour le Livre blanc français. Une règle d’or…

(BRUXELLES2) Les projections les plus pessimistes, circulent allègrement dans la presse sur les contours du futur Livre Blanc qui doit être publié à la mi-avril (mais dont les derniers arbitrages sont en passe d'être rendus ces prochains jours). Selon mon confrère J. Guisnel (Le Point/Le Telegramme) une apocalypse budgétaire pour les armées,se prépare, le budget de défense pouvant passer, selon une piste, de 1,5% du PIB à 1,1% du PIB. L''Apocalypse n'est pas pour la semaine prochaine... réplique JD Merchet (Marianne) estimant que la fourchette se situerait davantage entre 31,5 milliards (l'option de la rue St Dominique, le ministère de la défense, soit un budget gelé) et 28 milliards d'euros (l'option de Bercy, le ministère du Budget). Dans un article intitulé Défense : les scénarios noirs des coupes budgétaires, paru dans le Monde aujourd'hui (25 mars), Nathalie Guibert développe et détaille les deux hypothèses pour les années futures : le scénario Y avec 15 milliards de moins pour 2014 à 2020 (soit 2 milliards par an) et le scénario Z avec 30 milliards de moins sur la même période (soit 4 milliards par an). De quoi réveiller le Landerneau endormi...

Les députés montent au créneau

Plusieurs députés français - membres de la commission défense - se sont inquiétés récemment de cett tournure du Livre blanc. Un des premiers à s'exprimer a été le député PS du Morbihan, Gwendal Rouillard, fin connaisseur des questions de défense mais avant tout un fidèle et un proche de Jean-Yves Le Drian — il a été son attaché parlementaire, avant de reprendre le siège de député après le décès de son suppléant (lire : Le Drian, le monsieur “Défense” de F. Hollande. Portrait d’un Européen). Il « en appelle au président de la République » (dans une lettre ouverte publiée sur son site lire ici).

Un affaiblissement stratégique et des conséquences pour l'emploi

« Notre pays doit impérativement garder son ambition stratégique, qui s’exprime notamment par son droit de veto à l’ONU, et y conférer les moyens adaptés et opérationnels » explique-t-il, estimant « totalement incohérent » de vouloir « sabrer l’outil de la Défense nationale par rapport à la décision d’intervenir militairement au Mali et à notre nouvelle stratégie en Afrique ». Les scenarii de Bercy auraient des « répercussions inacceptables pour notre Industrie de Défense, ses 320 000 emplois, ses 4000 PME et sa capacité d’innovation et d’exportation de plusieurs milliards d’euros » alerte-t-il ensuite, rappelant le « fort levier de croissance et d’investissement indispensable » qu'elle représente. Argument qui porte en temps de crise.

L'intervention au Mali n'aurait pas eu lieu

De l'autre coté de l'échiquier politique, on ne sent pas vraiment de divergence d'approche. Christophe Guilloteau (UMP), également membre de la commission Défense, vient d'adresser une lettre ouverte au gouvernement, exprimant son inquiétude. « Si ces propositions devaient être adoptées, il ne s'agirait pas d'une simple réduction supplémentaire de crédits, mais bel et bien de l'abandon par notre pays de son rang de grande puissance, de sa capacité à intervenir partout où la démocratie est menacée, comme notre armée l’a fait en Afghanistan, en Lybie, et aujourd’hui au Mali » explique le député du Rhone. « Avec un budget de la Défense établi à 1,2 % du PIB, notre intervention se serait certainement arrêtée le 11 janvier au soir. »

Commentaire : un atterrissage brutal programmé

Un jeu habituel de dramatisation...

Tout d'abord, méfions des ébats. Nous sommes dans le jeu habituel de la dramatisation nécessaire de l'exercice. Bercy fait plusieurs projections, affichant un objectif drastique. Le ministère de la Défense joue le plan noir pour mobiliser toutes ses forces de façon indirecte dans la bataille (députés, industriels, lobbys, journalistes...). Ce qui permet de mesurer les forces. Puis on va tailler selon les résistances affichées et les objectifs définis. De façon médiatique, annoncer une baisse drastique des moyens de défense permet ensuite au gouvernement de justifier que, finalement, l'effort a été limité et que le ministère s'est bien battu pour sauvegarder ses moyens. Mais ne voir dans cette bataille de chiffres qu'un exercice politico-médiatique serait une erreur.

Un leurre sur la nature de l'exercice

Jusqu'à récemment, il y avait une illusion d'optique sur la nature de l'exercice. Le Livre Blanc se contenterait d'une remise à jour des menaces. Il était un exercice géopolitique, et l'essentiel serait préservé. Un leurre, d'autant mieux entretenu qu'avec l'engagement en Libye, puis au Mali, on pouvait se dire que la France avait un outil de défense qui méritait d'être préservé. Certes. Mais il y a aussi des réalités économiques, qui ne datent pas du mois de janvier ou décembre, mais préexistaient bien avant (les élections d'ailleurs). La dette française est importante. Elle ne diminue pas. Elle augmente même. Et la barre des 100% du PIB de dette se rapproche...

La règle d'or a des impératifs

La France - comme les autres Européens - se sont engagés à donner un coup d'arrêt à l'augmentation de cette dette. C'est la fameuse "règle d'or" qui n'est pas une règle théorique. Elle ne se contente pas d'ancrer de façon constitutionnelle, une limitation des déficits, elle conforte juridiquement aussi une règle drastique, implacable : le différentiel entre le niveau de la dette et la limite acceptable de 60% du PIB doit être réduit chaque année d'un 1/20e durant 20 ans ! En quelque sorte, la règle d'or impose de couler du bronze !

Prenez une calculette !

Si les projections que B2 sont exactes, on arrive à une réduction de l'ordre de 30 milliards d'euros par an pour l'ensemble du budget public (Etat, collectivités locales, assurances sociales), le tout sur 20 ans, à condition qu'il n'y ait pas de déficit budgétaire. Ce qui est déjà difficile. Un simple calcul de proportionnalité donne pour le budget de la défense une contribution (arithmétique) de 1 milliard d'euros au minimum chaque année. En incluant l'effort à l'arrivée au déficit 0, en sachant que certaines dépenses ne peuvent pas être réduites dans cette proportion, et qu'il vaut mieux donner un coup de collier tout de suite, plutôt qu'au renouvellement des élections législatives/présidentielles, ce devrait être certainement plus, entre 1 et 2 milliards au minimum. L'atterrissage sera donc brutal ! Mais il était tout à fait prévisible.

Sauver l'essentiel : les OPEX. Réfléchir sur l'accessoire : le nucléaire ?

Crier au loup aujourd'hui est donc un peu tardif et même contradictoire. L'enjeu n'est donc plus aujourd'hui de dire "non, non, non" à toute coupe budgétaire. Mais de savoir comment effectuer une coupe rapide, proportionnée et qui ne nuise pas au format des armées, à sa capacité opérationnelle et de défense. Dans cet esprit, c'est, à mon sens, la capacité d'entrer en premier qui doit être préservée (les A400M, les hélicoptères, le renseignement, la protection du fantassin, l'entraînement des militaires, les frégates...). Et, bon gré mal gré, il faut entamer une réflexion sur la sacro-sainte dissuasion nucléaire qui grève des ressources devenues aujourd'hui rares et plus nécessaire ailleurs (lire : La capacité d’entrer en premier…)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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