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L’armée britannique sous la coupe de la hache

Le Premier ministre à bord de l'Ark Royal à Halifax (Crédit : Royal Navy)

(mis à jour 20h) Le "comité de la hache" a frappé. David Cameron, le Premier ministre britannique, est à la Chambre des communes cet après-midi (16h30) pour présenter les coupes budgétaires frappant l'armée britannique. Selon les dernières "fuites", celle-ci sera soumise à une réduction d'environ 8% du budget (le Trésor demandait 10%, le ministre de la défense ne voulait pas plus que 4%). 3 milliards de £ sur un budget annuel du ministère de la Défense de 37 milliards £. NB : le déficit global du budget britannique se monte pour l'année fiscale 2009-2010 à 155 milliards £.

Coté équipements, le renouvellement de la force de frappe nucléaire Trident pourrait être reporté jusqu'à 2015 (au moins). Ce qui permettrait d'économiser 750 millions £ estime le gouvernement. Mais la marine semble frappée de plein fouet.

La Navy dans le champ de tir

Le porte-avion Ark Royal va être "démantelé avec effet immédiat", annonce ainsi Sky News. La construction de deux portes-avions  - le HMS Queen Elizabeth et le HMS Prince of Wales - est confirmée. Coût : environ 5,2 milliards £ (cela aurait coûté plus cher d'arrêter la commande). Mais leur destination future reste encore floue selon nos confrères britanniques. Ils seront convertis pour être disponibles auprès d'alliés. L'un d'entre eux pourrait, à terme être vendu... (aux Français :-). Les jets Harriers vont être retirés du service. Durant cet intermède, qui va durer plusieurs années, la Royal Navy n'aurait donc plus autant de possibilité de faire décoller des avions de la mer, et devra se reposer davantage... sur ses alliés américains et français comme le suggère le ministre de la Défense Liam Fox qui estime que ses moyens sont préservés (avec les JSF, les Tornados et les hélicoptères, écouter sur la BBC). La Navy pourrait perdre également une partie de sa capacité maritime avec une baisse de 24 à 19 navires. 4 frégates et 1 navire de soutien amphibie classe Bay vont être retirés. Mais il y aura 6 nouveaux destroyers Type 45 et les nouvelles frégates Type 26 argue le ministère de la Défense.

La Royal Air Force (RAF) va payer également son tribut à la réforme avec une fermeture de plusieurs bases aériennes même si le nombre d'escadrons de Tornado pourraient être sauvegardé. Le nombre de JSF F-35 commandés va diminuer de façon drastique. On parle de 40 JSF commandés sur les 138 envisagés ! Tandis que le programme des avions de reconnaissance Nimrod MRA4 pourrait être abandonné. Les avions de transport Hercules seront retirés 10 ans plus tot quand la capacité d'A400M sera opérationnelle. De meme que le VC-10 and les trois variantes de TriStar remplacés par l'A330 MRTT.

L'armée de terre se voit privée de 40 o/o de sa capacité en chars (tanks Challenger 2) et 35o/o en artillerie lourde. Mais finalement elle ne semble pas s'en tirer trop mal. Aucun régiment ne sera supprimé tant que les opérations en Afghanistan dureront a estimé Liam Fox, le ministre de la Défense.

Coté personnel, on parle de 5.000 hommes en moins dans la RAF (33.000 d'ici 2015 et 31.500 d'ici 2020), 5.000 dans la Navy (soit 30.000 marins et personnels d'ici 2015, 29.000 d'ici 2020) et de 7.000 dans l'armée de terre (soit 96.000 militaires d'ici 2015 et 94.000 d'ici 2020). Le personnel civil du ministère sera diminué de 25.000 personnes.

Inquiétudes publiques

Depuis quelques jours, les unes se succèdent et les échanges entre responsables politiques filtrent dans la presse. "Est-ce que la Navy est réellement nécessaire ?" s'interrogeait récemment le Financial Times, soulignant que l'on fête actuellement le 205e anniversaire de la victoire de Trafalgar. Car la fierté britannique fond à vue d'oeil : dotée au lendemain de la 2e guerre mondiale de 900 navires et 1 million d'hommes, elle n'avait plus, début 1980, que 70 navires et 70.000 hommes. Et bientôt plus qu'une vingtaine de navires. "La Royal Navy sera sans moyens pour sauver les Falklands comme elle l'a fait il y a 28 ans" renchérissait Sir Jonathon Band, l'ancien Premier amiral de la flotte dans The Sun. "Etes-vous d'accord avec la mise à l'écart du HMS Ark Royal" s'interroge la BBC aujourd'hui. Le ministre de la Défense, Liam Fox, a même envoyé une lettre, assez abrupte, au Premier ministre (1). Même les alliés américains y sont allés de leur petit mot. Robert Gates puis Hillary Clinton se sont inquiétés ainsi publiquement de la diminution du format de l'armée britannique. "I think we do have to have an alliance where there is a commitment to the common defense" expliquait la secrétaire d'Etat US sur la BBC avant le week-end. Au point que le Premier ministre Cameron s'est senti obligé de s'entretenir directement, lundi, avec Obama pour lui expliquer combien le Royaume-Uni restera "un allié robuste". Et que le Royaume-Uni restera au-dessus de la barre de 2o/o fixée par l'OTAN.

Echanges vifs entre "terriens" et "marins"

Des échanges particulièrement vifs ont également eu lieu au sein du ministère de la Défense, notamment entre "terriens" et "marins". Ce qui devrait laisser quelque traces. Des commandants de la Navy n'ont ainsi pas hésité à accuser leurs collègues de l'Armée de terre d'utiliser des méthodes de "blacks ops" (opérations clandestines)  pour promouvoir leurs intérêts auprès de Whitehall (la rue des ministères) et dans les médias. "Nous ne l'oublierons pas et nous ne pourrons jamais l'oublier" expliquait ainsi un officier dans le Daily Telegraph. En réplique, un "terrien" a accusé les marins de "smoking a crack pipe". Ambiance ! Chacun est venu, tour à tour expliquer, auprès des politiques et dans les médias, pourquoi la réduction était plus justifiée chez l'autre. La Navy a "accepté de sacrifier une partie de sa flotte amphibie pour sauvegarder ses portes-avions", explique un terrien "Ce qui signifie la fin des Royal marines". Faut-il parler "des QG fantômes qui ne servent à rien, des officiers supérieurs en surnombre et des 800 millions de £ dépensées dans le futur véhicule blindé sans jamais en voir un bout", réplique un marin... Ambiance !

Un nouvel équilibre européen

Cette révision stratégique pourrait entraîner un bouleversement de l'ordonnancement européen qui, s'il perdure, pourrait changer la donne stratégique sur le continent. A la faveur de cette réduction budgétaire, la France pourrait, en effet, dépasser le Royaume-Uni et devenir ainsi l'Etat membre de l'UE qui consacre le plus de moyens à la Défense, que ce soit en termes de pourcentage du PIB ou de montant net, ou de militaires sous les armes.

NB : pour lire le communiqué final du MOD publié ce 19 octobre

(1) Liam Fox part en guerre contre les coupes budgétaires dans la défense

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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