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Les fauteurs de trouble en Somalie (suite) : le trésor de Al-Shabab (maj)

(BRUXELLES2) Une organisation autant commerciale que politique, les Al-Shabab ? C'est un peu le sentiment qu'on peut avoir à la lecture du rapport du groupe d'experts des Nations-Unies sur la Somalie (que j'ai déjà évoqué). La santé économique de Al-Shabaab est « plus solide que jamais », estiment-ils. Le mouvement islamiste continue de consolider son contrôle sur des sources multiples de revenu : les taxes sur l'exportation et l'extorsion, le commerce et la contrebande, le soutien de la diaspora, l'assistance extérieure.  Mais « dans le même temps, Al-Shabaab a évolué d'une faction armée à un consortium d'intérêts du business, en Somalie et aux alentours (qui) recourt aux pratiques commerciales de type cartel. Il existe aussi certaines indications que les réseaux de négoce des Al-Shabaab peuvent aussi être utilisés comme camouflage des contributions charitables de sympatisants des Etats du Golfe. »

Un budget de près de 100 millions $ par an

Le tout cumulé procure aux Al-Shabaab entre 70 à 100 millions $ par an. Suffisamment de quoi soutenir des opérations militaires et des achats d'armes. D'autant que le système fiscal des Al-Shabaab « est plus sophistiqué et large que n'importe quelle autorité en Somalie, y compris celles du Puntland et du Somaliland ». Il recouvre ainsi tous les domaines des télécommunications aux agences de transfert monétaires en passant par les magasins, l'agriculture et l'élevage. Même le trafic de quat - sur lequel il ferme les yeux - ne lui échappe pas. Ainsi on estime à 500.000 $ le revenu généré par ce trafic sur l'aéroport K50 de Mogadiscio Ouest, tenu alors par les islamistes.

Des Islamistes plus compétitifs que le GFT

La prise du port de Kismayo en octobre 2009 a été un point clé dans l'assise financière des Shabaab. Il leur assure la moitié de leurs revenus, entre 35 et 50 millions $ dont au moins 15 millions proviennent du charbon (à l'export) et du sucre (à l'import). Ce port ne dessert pas seulement les zones contrôlées par les islamistes, mais toutes la Somalie. Tout simplement car les taxes y sont inférieures à celles pratiquées à Mogadiscio par exemple. Le tout est complété par des check points militaires mobiles qui assurent une perception supplémentaire le long des routes. Mais cependant pour un importateur, il est plus simple de passer par Kismayo pour aller à Mogadiscio que de desservir directement ce port. Le rapport donne un exemple, sonnant et trébuchant : un véhicule de gamme moyenne livré à Mogadiscio coute à l'importateur 1300 $ de taxes. En passant par Kismayo, il devra acquitter environ 200 $ auxquels il faut ajouter 200 autres $ pour le convoyage.

...et très pragmatiques

Le port islamiste bénéficie également de sa proximité avec le Kenya. « Une très opportune 'pax commerciale', pleine d'avantages mutuels » règne ainsi entre les businessman et trafiquants Kenyans et les islamistes pour tirer partie des 682 km de frontière, poreuse qui séparent le Kenya de la Somalie et en font un paradis de la contrebande.

L'aide de la diaspora

Plus inquiétant est l'implication de la diaspora. Il existe des preuves et des procédures judiciaires engagées dans plusieurs pays européens (Suède, Royaume-Uni, Norvège) et aux Etats-Unis impliquant des résidents accusés d'être impliqués dans un soutien matériel et financier avec les Al-Shabaab.

Une menace très présente sur toute l'Afrique de l'Est

Al-Shabaab présente une menace "croissante au niveau régional comme international". Il a monté les attentats à Kampala dans deux nightclubs en juillet 2010 qui ont fait 79 tués. Il entretient des réseaux autochtones au Kenya engagés dans la mobilisation, les ressources, la radicalisation et le recrutement pour son compte. Il aurait planifié - selon le gouvernement éthiopien - 10 cibles à Addis Abeba (information qui n'a pu être confirmée par les experts de l'ONU). La tendance actuelle - écrit le rapport - montre que « non seulement Al-Shabab possède la volonté et la capacité de conduire des attaques mais donne lieu à une nouvelle génération de groupes jihadistes dans l'Afrique de l'Est qui représente un nouveau défi pour la sécurité dans la région et pour la communauté internationale, plus largement ». Les experts de l'ONU ont appris l'existence des réseaux au Kenya liés à Al-Shabaab qui non seulement recrutent ou ramassent des fonds pour l'organisation mais aussi conduisent des formations et orientent au Kenya. Une influence qui n'est plus limitée uniquement à la communauté somalienne. Le rapport prend ainsi l'exemple du Gaman Hotel à Eastleigh (Nairobi) qui est devenu une plaque tournante pour l'organisation dans le trafic humain, de papiers et a hébergé des combattants blessés. Par ailleurs, « Al-Shabaab a ainsi établi des liens fonctionnels avec d'autres groupes jihadistes dans l'Afrique du nord, de l'ouest et australe ».

(maj) § sur les menace ajouté le 13 septembre.

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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