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L’opération Odyssey Dawn passe sous commandement de l’OTAN. Enfin presque…

Le drapeau de l'OTAN avait été hissé dès le début de l 'opération sur le Charlottetown, le navire canadien (crédit: Forces canadiennes)

(BRUXELLES2) Même si les autorités françaises ne veulent pas l'avouer ouvertement, on semble bien se diriger vers un accord pour permettre un pilotage quasi-total des opérations de No Fly Zone et de frappes aériennes ("protection des civils") par l'OTAN ? En tout cas, tout le laisse supposer. Certes les réunions se sont succédées à l'OTAN. Plutôt orageuses à en juger par les différentes informations qui transpirent. Les portes ont claqué ces derniers jours. Et, tour à tour, l'Allemagne, la France ou la Turquie ont connu "prises de bec" et "mots doux". Le secrétaire général, A.F. Rasmussen, ne ménage pas sa peine, depuis plusieurs jours, pour arriver à ses fins : remettre l'opération dans le droit fil de l'OTAN. Mais la discussion a vraiment été tout, sauf amicale. A coté, les discussions à l'Union européenne pouvaient "presque paraître courtoises" raconte un expert au fait du dossier.

Une pression forte de toutes parts

La pression a été, en effet, très forte tant du coté des pays engagés dans la coalition militaire que dans ceux qui y sont hostiles pour que l'OTAN s'implique. En résumé...

Du coté de la coalition, plusieurs pays ont souligné que l'OTAN constitue le seul cadre possible pour leur implication dans l'opération (Italie, Grèce, Danemark, Norvège, voire Belgique...), la Norvège allant même jusqu'à suspendre sa participation tant qu'aucune solution "claire" de commandement n'a pas été trouvée. Quant aux Américains, ils souhaitent se désengager de l'opération sans pour autant laisser une coalition dirigée par les Européens (et les Français). Les Britanniques, alliés de circonstance aux Français, suivent, ils sont décidés avant tout à préserver leur lien "privilégié" avec les Etats-Unis et à conforter l'Alliance atlantique.

Du coté des réticents à l'action militaire, la Turquie qui refuse toute frappe militaire sur un pays arabe et musulman et une solution politique a bloqué l'opération de l'OTAN. Mais joue d'autres cartes en coulisse (cf. plus loin). Quant à l'Allemagne qui ne veut pas être mêlée de près ou de loin à une opération militaire, et juge les frappes militaires inefficaces et contre-productives, ne s'oppose pas à la saisine de l'OTAN. Au contraire, elle la réclame. Selon nos informations, elle ne s'est ainsi ni opposée au plan d'opération (OpPlan) de la "No Fly zone" ni à celui sur le contrôle de l'embargo sur les armes, même si elle a repris le commandement de tous ses navires en Méditerranée.

La France plutôt isolée

Résultat, la France, partisane de garder l'autonomie de l'action de la coalition pour des raisons à la fois opérationnelles (ne pas laisser prendre le pouvoir par les pays réticents aux frappes) et politiques (éviter un coté occidental "croisade" à l'opération) tout en évitant l'extension de l'OTAN sur la rive sud, a dû céder. On est ainsi passé en quelques jours d'une opération "menée en coalition" à une opération "menée avec le soutien de l'OTAN sous contrôle de la coalition" puis à une opération "où l'OTAN aura un rôle-clé". Un glissement qui n'est pas uniquement sémantique mais recèle également des conséquences politiques et opérationnelles.

La chaine de commandement de l'OTAN, un "NAC +" et/ou un groupe de contact

De fait, la chaîne de commandement de l'OTAN serait ainsi intégralement préservée : du SHAPE avec l'amiral Stravridis au JFC de Naples qui servira de OHQ/FHQ — sous l'autorité de l'amiral ... Lockwear (US), qui commande déjà l'opération menée en coalition, et du Ltt Général Bouchard, son adjoint canadien. Coté aérien, ce serait le centre d'Izmir (Turquie) qui pourrait être désigné pour structurer la "No Fly zone". Ce qui serait de facto l'intégration de la Turquie au dispositif.

Le pilotage politique est le point délicat du dispositif. Certains voulaient que l'OTAN prenne le contrôle politique de l'opération, la France veut conserver l'autonomie stratégique des pays partisans de l'intervention (et la sienne). La solution d'un NAC +, élargi aux pays contributeurs extérieurs (comme le Qatar) était la solution préconisée par les premiers. La solution d'un pilotage politique totalement distinct de l'OTAN avait la préférence de la France. Avec la mise en place d'un "groupe de contact" regroupant les pays participants à l'opération (la première réunion a lieu mardi à Londres). La liaison et le rôle du NAC, dans cette hypothèse, doit encore être précisé.

* Précisons que l'opération "Odyssey Dawn/Harmattan" regroupe en fait deux opérations aux objectifs et bases juridiques différentes : la No Fly Zone et la Protection des civils (qui obéissent à deux chapitres distincts de la résolution 1973 de l'ONU). Des solutions différenciées peuvent être trouvées pour chacune de ces deux opérations. Sans compter des solutions pragmatiques qui pourraient permettre à la France de garder une certaine autonomie d'action tactique, sur certaines zones géographiques ou certains objectifs (une sorte de caveat à l'envers).

* Un haut diplomate français a confirmé que l'on s'orientait vers cette solution : un NAC+ pour la "no fly zone" et un groupe de contact pour l'opération "protection des civils". Les deux opérations étant de toute façon coordonnées et centralisées par le QG de l'OTAN à Naples, sorte de tour de contrôle pour la soixantaine d'avions qui vont participer à l'opération.

Derrière cette discussion...

D'autres intérêts sonnants et trébuchants

Hormis les grandes idées géostratégiques, il y a des intérêts sonnants et trébuchants, notamment du coté des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Faire intervenir l'OTAN, c'est aussi s'assurer qu'ils ne seront pas les seuls à payer mais que tous les pays contribueront à hauteur de leur engagement. Du coté du secrétaire général, A.F. Rasmussen, cela permet de masquer que le budget de l'OTAN ne sera pas tenu dans d'aussi étroites marges budgétaires que voulues. Une opération générant des dépenses, il peut être logique de voter une rallonge budgétaire, ou à tout le moins de desserrer l'étau budgétaire.

Les suites du sommet de Lisbonne

Et, surtout, il y a les suites du sommet de Lisbonne de l'OTAN, avec l'engagement de réduction du personnel, du nombre de bases, et une nouvelle répartition des commandements. Une décision devrait être prise avant juin au plus tard. Le nombre de quartiers généraux de composantes doit être réduit de moitié. On passe de 6 à 3. Si on sait que coté maritime sont en concurrence Naples (Italie) et Northwood (Royaume-Uni), que coté aérien sont en "concurrence" Ramstein (Allemagne) et Izmir (Turquie), si on sait que parmi les trois commandements de Brunssum (Pays-Bas), Naples (Italie) ou Lisbonne (Portugal - commandé par un Français), un doit disparaître également, ... on comprend mieux certaines positions. Certains sont en apparence durs mais ouverts à la négociation (Turquie), d'autres réticents à l'opération au départ mais enthousiastes ensuite (Italie) ou plein d'hésitations (Allemagne). Au final, l'Allemagne pourrait avoir perdu Ramstein et l'Italie sécurisé un des commandements à Naples (pour le JFC).

Lire également :

(Mis à jour 23h, opération différenciée, et 1h du matin, haut diplomate)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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